Stratégie européenne de santé et sécurité au travail : quels enjeux pour les six prochaines années ?

Stratégie européenne de santé et sécurité au travail : quels enjeux pour les six prochaines années ?

03.06.2021

HSE

L'Union européenne planche actuellement sur l'élaboration du nouveau cadre stratégique en matière de santé et sécurité au travail pour la période 2021-2027. Amiante, statut des travailleurs non standards, TMS, risques psychosociaux : passage en revue de tous les sujets phares sur lesquels la Commission européenne pourrait se pencher dans les années à venir.

Il y a 6 ans, l’Union européenne adoptait son cadre stratégique en matière de santé et sécurité au travail pour la période 2014-2020. Aujourd’hui, l’heure est venue d’adopter celui qui couvrira les 6 prochaines années.

Au programme : le Covid, bien entendu, mais pas seulement. La Commission européenne, dans sa feuille de route adoptée fin octobre 2020, indique vouloir également prendre en compte les rapides "changements sociétaux, technologiques ou scientifiques" qui ont apporté "de grands avantages, mais aussi de nouveaux risques", sans oublier risques les plus classiques – exposition à des substances dangereuses ou accidents du travail, notamment. Inspiré par la baisse de 70 % des accidents mortels entre 1980 et 2018, le commissaire à l'emploi Nicolas Schmit a affirmé au Parlement européen, lors d'une audition le 18 mars 2021, vouloir "continuer dans ce sens" et fixer l'objectif de zéro accident mortel au travail.

Pour identifier tous ces sujets, des consultations publiques et auditions ont bien été lancées, mais "la Commission se présente avec des idées très vagues et rien de très précis sur ses ambitions", fait remarquer Laurent Vogel, chercheur à l'Etui spécialisé en santé-sécurité au travail. Parce qu'il est difficile de savoir quel sera le niveau d'intervention communautaire, le chercheur souhaiterait que la Commission européenne détermine l'instrument envisagé pour chaque sujet (révision d'une ancienne réglementation, nouvelle directive, etc.), et donne un calendrier pour chaque action, afin de renforcer la légitimité de la législation européenne.

 

Quel calendrier ?

Pour cette nouvelle stratégie, les avis ont été recueillis entre le 29 octobre et le 26 novembre 2020. La consultation publique a eu lieu entre le 7 décembre et le 1er mars 2021. Le 18 mars, la Commission s’est réunie européenne. L’adoption est prévue d’ici le second trimestre 2020.

 

Certes, le cadre stratégique ne sera pas juridiquement contraignant. Mais il est quand même "politiquement engageant", précise Laurent Vogel. Surtout, il a une influence sur les stratégies nationales, et c'est un avantage intéressant, qui permet aux partenaires sociaux ou ministères du travail de faire bouger les choses dans leurs pays. Et pour cette édition 2021-2027, il y a de quoi être optimiste, car les facteurs sont favorables : au premier semestre 2022, la France prendra la présidence du Conseil de l'UE. Comme elle est globalement plus avancée en matière de santé-sécurité au travail, elle "pourrait jouer un rôle dynamique" à l'échelle de l'Union, projette Laurent Vogel.

De belles ambitions, donc, et une stratégie qui, pour la Commission européenne, requiert une approche "inclusive et transversale". Mais plus concrètement, à quoi peut-on s'attendre ?

Amiante

Premier sujet important : la révision de la directive amiante. L'amiante n'est plus utilisée dans l'Union, mais Nicolas Schmit redoute le problème de son héritage : avec le pacte vert et les vagues de rénovations ou démolitions de bâtiments qui arrivent, les travailleurs intervenant sur ces chantiers risquent d’être exposés à l’amiante. Pourraient notamment être discutés :

  • l'élaboration d'une nouvelle VLEP moins élevée : dans certains États membres – France et Pays-Bas, notamment, les VLEP nationales sont inférieures à celle fixée par l’Union ;
  • l’élaboration d’un registre européen de présence de l'amiante : certains États membres s’en sont dotés, mais une VLEP européenne sans un registre européen n’aurait pas de sens, pour le : "on peut avoir les meilleures VLEP, il faut pouvoir savoir que l’on est en train de travailler avec de l’amiante".

Le 27 mai, les députés européens ont d'ailleurs examiné les 208 amendements déposés sur un projet de rapport contenant des recommandations à la Commission européenne sur la protection des travailleurs contre l’amiante. Le Parlement européen voudrait développer une stratégie européenne pour l'élimination totale de l'amiante, qui passerait par la révision de la directive amiante, la reconnaissance des maladies professionnelles ou les travaux d'inspection avant rénovation énergétique, et s'articulerait de façon cohérente avec le cadre stratégique.

 

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Travailleurs non standards

L'une des "plus grandes leçons de la crise", d'après Christa Sedlatschek, directrice de l'agence EU-Osha, est que le prochain cadre doit "être ambitieux dans le domaine de l'inclusivité". Les travailleurs saisonniers, domestiques, ceux des plateformes doivent pouvoir être couverts, car ils travaillent dans des environnements peu sûrs. Or, la directive-cadre sur la santé-sécurité ne s'applique pas à ces catégories de travailleurs. La députée européenne Lucia Ďuriš Nicholsonová (Renew Europe) appelle à la réviser pour mieux protéger ces travailleurs.

Pour Laurent Vogel, il "serait temps que la Commission européenne se positionne dans ce domaine important, jusqu'à présent oublié de l'Europe". D'autant que la jurisprudence, dans plusieurs États membres, semble suivre la tendance d'assimilation à la situation de salarié.

Reprotoxiques

C’est le très gros enjeu de ces prochaines années, pour Laurent Vogel. La Commission européenne "ne dit pas un mot, parce que le sujet est sensible, mais il est étudié pour la 4ème vague de révision de la directive cancérogènes au Parlement".

Les industriels producteurs ne s'y opposent pas nécessairement, puisque "le Cefic (conseil européen de l'industrie chimique) a dit assez clairement aux parlementaires qu’ils pouvaient vivre avec le fait que les toxiques repro soient introduits dans la directive", explique Laurent Vogel. La position peut surprendre, mais elle n’est pas inédite : pour une entreprise, une législation santé-sécurité est un moindre mal par rapport aux contraintes qui pourraient exister sous Reach, fait remarquer Laurent Vogel.

 

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Directive agents biologiques

En Juin 2020, le commissaire Schmit a prudemment évoqué, devant le Parlement, révision de la directive agents biologiques pour l’adapter aux pandémies. 

Pour l'heure, la directive est construite sur le schéma d’une exposition très limitée et connue (hépatite C en milieu infirmier, par exemple). Du côté du groupe travailleurs, on demande une révision de la directive pour y intégrer des mesures spécifiques en cas de pandémie. Le patronat, qui y voit seulement une dimension de santé publique, mais pas de santé au travail, s'y oppose, nous apprend Laurent Vogel. Pourtant, dans certains secteurs, les règles d’hygiène publique ne répondent pas totalement aux enjeux : il faut des plans plus spécifiques.

D'autant qu'adopter des mesures de prévention peut aggraver d'autres risques. Dans les hôpitaux, on utilise des produits de nettoyage plus dangereux qu’avant la crise Covid, ce qui a pour effet d'exposer le personnel de nettoyage à des substances plus coriaces. "Ce sont des questions importantes : on ne pourra pas tout résoudre avec la directive agents biologiques, mais elle peut arranger certaines choses", estime Laurent Vogel.

TMS et risques psychosociaux

"Les troubles musculo-squelettiques et psychosociaux sont inclus dans notre campagne", a assuré Christa Sedlatschek au Parlement européen. Plusieurs syndicats appellent également à l'élaboration de directives sur ces sujets, car les risques changent avec la digitalisation et le télétravail, mais ne disparaissent pas.

Pour l'heure, difficile de savoir quel le niveau d’intervention communautaire, nous fait remarquer Laurent Vogel. Un échange de bonne pratiques, un rapport sur les TMS, un webinaire sur les troubles psychosociaux ? En réalité, il n'est pas dit qu'une législation contraignante soit élaborée : dans sa lettre de mission envoyée au commissaire Schmit, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen promeut une politique de "one in, one out", en vertu de laquelle "chaque proposition législative qui génère une nouvelle charge doit délester les citoyens et les entreprises d’une charge équivalente au niveau de l’Union dans le même domaine d’action". Concrètement, les commissaires sont placés sous une pression assez lourde : pour adopter une nouvelle législation dans un domaine, l'idée est d'en sacrifier une déjà existante.

 

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Maladies professionnelles

La reconnaissance du Covid comme maladie professionnelle devrait également occuper l'Union. Aujourd'hui, la recommandation européenne en matière de maladies professionnelles indique seulement que pour les professions de la santé, les maladies infectieuses contractées dans le domaine professionnel doivent être reconnues comme maladies professionnelles.

Mais c’est vague, et un peu trop arbitraire : les personnels de soin directement exposés sont différenciés de ceux qui n’y sont pas directement. Pourtant, ces derniers ont également pu être exposées au virus. Et ce n’est pas le seul problème, puisqu'il y a celui du personnel qui n’exerce pas dans le domaine de la santé, comme les enseignants ou les aides ménagères.

Avant la prise en charge et l'indemnisation, se posera la question de la reconnaissance pour les travailleurs décédés. L'autre défi qui risque de se poser, c'est celui du champ d'application de la reconnaissance : que reconnaître comme maladie professionnelle ? La seule incapacité successive à l'infection, ou le Covid long ? Pour le moment, aucun État membre n’a bougé sur la question.

Dernier constat, les questions soulevées par le Covid sont révélatrices d'un problème plus large : en Europe, il n'y a pas de directive sur la reconnaissance et l'indemnisation des maladies professionnelles, simplement une recommandation. Thilo Janssen, de la fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois, appelle ainsi à l'élaboration d'un texte plus contraignant.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Olivia Fuentes
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