Suicides chez France Télécom : quand les techniques managériales déstabilisent des salariés déjà fragiles

Suicides chez France Télécom : quand les techniques managériales déstabilisent des salariés déjà fragiles

26.06.2019

HSE

Suite du procès France Télécom. Le 24 juin, la cour s’est penchée sur deux suicides et deux tentatives de suicide. Dans les quatre cas, les salariés étaient déjà fragiles voire atteints d’une maladie psychiatrique. La défense réfute tout lien de causalité entre ces gestes et le travail.

"Je fous le feu et après je me suicide […] Je ne peux pas tout faire, j’ai que deux bras […] J’en ai ras-le-bol". Le message vocal que Dominique Mennechez, 53 ans, a laissé à son supérieur est glaçant. Surtout quand on sait qu'il a mis fin à ses jours dix mois plus tard. Ce salarié de France Télécom avait déjà fait plusieurs tentatives de suicides, la première en 1999. Mais pour les magistrats instructeurs, pour qui la fragilité psychique de Dominique Mennechez était incontestable, ce sont les méthodes de management imposées au sein du service qui "ont contribué à dégrader ses conditions de travail et par la suite accentué l’altération de sa santé mentale".

Son histoire ressemble tristement aux trois autres sur lesquelles s’est penchée la 31ème chambre du tribunal correctionnel de Paris le 24 juin, dans le cadre du procès dit France Télécom. Sept anciens cadres dirigeants et l’entreprise en tant que personne morale y comparaissent depuis le 6 mai 2019 à la suite de la vague de suicides de salariés entre 2007 et 2010. Ils sont poursuivis pour harcèlement moral ou complicité de ce délit.

 

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"Faire plus attention"

Les quatre affaires étudiées lundi concernent des personnes fragiles voire atteintes d’une maladie psychiatrique. Alors, pour la défense, la responsabilité de l’entreprise ne devrait pas être engagée. À l’inverse, "ses difficultés d'ordre personnel ne sont pas la cause de son passage à l'acte [...] Justement, ses difficultés auraient dû conduire France Télécom à faire plus attention", explique Eric Cesbron, avocat du fils de Dominique Mennechez.

D’autant plus que dans certains cas, l'entreprise avait été alertée. Par exemple, le médecin du travail qui suivait le service dans lequel travaillait Noël Rich a fait part de ses inquiétudes en 2006. Le 8 février 2010, il tentait de se suicider sur son lieu de travail. Dans sa lettre d’adieu, il s'explique : "France Télécom détruit des emplois. L'unité détruit des hommes [...] Ils m’ont eu, je prends la décision, et ce n’est pas un appel au secours, d’en finir".

Moins armé

Noël Rich avait déjà été hospitalisé plusieurs semaines en service psychiatrie. "Il était moins armé que d’autres pour affronter une situation de mutation professionnelle", observent alors les magistrats instructeurs dans l’ordonnance de renvoi. En l’occurrence, passer du service des renseignements téléphoniques à celui des réclamations. Noël Rich dénonce un manque de formation et une mise en concurrence avec ses collègues, et revient sur la pratique de la double écoute (écoute de des conversations avec les clients).

"Je pars à cause du travail à France Télécom et rien d’autre", a écrit Stéphane Dessoly avant de se donner la mort le 11 février 2010 à l’âge de 32 ans. Ici encore, même si sa bipolarité était incontestable, "les comportements et techniques de management ont manifestement entraîné la détérioration de son état de santé", estiment les juges d’instruction. À son retour de long arrêt maladie, Stéphane Dessoly avait dû changer de poste. "Après trois ans d’arrêt maladie, on ne peut pas imaginer retrouver le même poste", a expliqué Didier Lombard, PDG de l’époque, lors de l’instruction. Ce 24 juin, Frédéric Besnoit, avocat de la famille de Stéphane Dessoly, rappelle que le code du travail l’impose pourtant. "Oui, il y a le droit, mais aussi le bon sens", rétorque Olivier Barberot, ancien directeur des ressources humaines.

 

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"Dimension personnelle"

Marc Pelcot a essayé de mettre fin à ses jours en janvier 2010. Il avait déjà tenté de se suicider en 96, et était suivi pour troubles bipolaires. Dans sa déposition, il n’incombe pas à France Télécom son passage à l’acte mais explique : "Si je n’avais pas quitté le marketing [poste qu’il a dû quitter lors d’une réorganisation du service, ndlr], tout ce qui s’est passé dans ma vie personnelle n’aurait pas eu lieu".

Pour son avocat Jean-Paul Tessonnière, ce dossier est caractéristique. Il étaie : "Il y a incontestablement une dimension personnelle mais aussi de nombreux éléments qui déstabilisent le salarié". Par exemple, Marc Pelcot aurait appris son changement de poste en découvrant un organigramme diffusé en réunion. "Il est répertorié dans l'entreprise comme salarié fragile, sa situation était parfaitement connue", ajoute-t-il. Pour l’une des nombreuses avocates de la défense, il faut retourner la question : "Est-ce que France Télécom pourrait éviter une telle tentative de suicide ?" questionne-t-elle de manière rhétorique.

À la question posée par Jean-Paul Tessonnière de savoir comment a été gérée la prévention des risques dans ce contexte de choix d'affectation, "puisque monsieur Pelcot est un bon commercial mais une personne à risque", les prévenus et leurs conseils restent par contre sans voix. 

 

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HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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