Toujours pas d’exportation de gamètes vers l’étranger pour une procréation post mortem, sauf circonstances particulières

06.06.2023

Droit public

Par une décision du 17 mai 2023, le Conseil d'État réitère son opposition de principe à une exportation de gamètes vers l’étranger pour réaliser une insémination post mortem dès lors qu'il n'y a pas de circonstances particulières justifiant de voir dans les interdits légaux une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme.

Le contentieux en la matière est devenu récurrent. Il ne date pas de la réforme opérée par la loi relative à la bioéthique du 2 août 2021. Déjà sous l’empire du droit antérieur, le Conseil d’État avait eu à en connaître. Il avait jugé en principe, dans le respect de la loi, que le refus d’une demande d’exportation vers l’étranger de gamètes stockés en France en vue d’une procréation post mortem ne constituait pas une atteinte la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CE, 13 juin 2018, n° 421333 ; CE, 4 déc. 2018, n° 425446 ; pour un rejet du recours devant la CEDH contre l’arrêt du 4 décembre 2018, v. CEDH, déc., 12 nov. 2019, n° 23038/19, Petithory Lanzmann c/ France, Petihory Lanzmann c/ France ; CE, 28 déc. 2021, n° 456966). La même solution avait été appliquée, malgré des différences de situations, en matière de transfert embryonnaire post mortem (CE, 24 janv. 2020, n° 437328). Mais le Conseil d’État avait introduit une sorte d’exception aux interdits législatifs fondée sur des circonstances particulières pour admettre qu’un refus d’exportation pouvait constituer dans de telles circonstances une atteinte manifestement excessive au droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention précitée. Il avait admis cette exception à propos d’un refus d’exporter vers l’Espagne les gamètes d’un mari décédé, stockés en France, en vue d’inséminer son épouse, d’origine espagnole et retournée vivre en Espagne (CE, 31 mai 2016, n° 396848). Il n’en a pas fallu davantage pour donner un appel d’air au contentieux.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Celui-ci se poursuit sous l’empire de la loi du 2 août 2021, d’autant que cette loi, en assouplissant les conditions de conservation des gamètes et d’accès à l’AMP, notamment en faveur des couples de femmes et des femmes seules, a dopé les revendications en la matière. Le Conseil d’État adopte néanmoins la même analyse à propos des demandes d’autorisation d’exportation de gamètes en application des nouvelles dispositions législatives, en continuant de distinguer selon qu’il existe ou non des circonstances particulières (v. à propos de demandes d’exportation d’ovocytes vers l’étranger, refusées en l’absence de circonstances particulières justifiant l’exportation : CE, 27 oct. 2022, n° 467726 ; CE, 27 oct. 2022, n° 467727).

Rien de bien nouveau donc dans la décision du 17 mai 2023 rendue à propos d’une demande d’exportation de gamètes vers l’étranger pour réaliser une insémination post mortem. En l’espèce, un homme marié, atteint d’un cancer, avait en prévision d'un traitement par chimiothérapie procédé au dépôt de ses gamètes au sein d’un centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS), ce que la loi française autorise. Après son décès, sa veuve avait sollicité le transfert des gamètes conservés vers un établissement de santé étranger, ce que ne permet pas la loi française (C. santé publ., art. L. 2141-11-1, R. 2141-24 à R. 2141-32). Cette demande avait logiquement été rejetée par l’Agence de la biomédecine (ABM). La veuve a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif sur le fondement de l'article L.521-2 du code de justice administrative d'une demande d'injonction à l'administration de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l’exportation des gamètes de son défunt mari. Sa requête ayant été rejetée, elle a relevé appel devant le Conseil d’État, statuant lui-même comme juge des référés.

Le Conseil d’État rejette à son tour la requête. Comme il avait pu déjà le dire dans ses décisions précitées du 27 octobre 2022, le Conseil d’État juge le dispositif résultant de la loi du 2 août 2021 relatif à l’exportation de gamètes conservés en France vers l’étranger compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme sous réserve de circonstances particulières caractérisant une atteinte disproportionnée aux droits qu’elle garantit, spécialement à l’article 8 relatif au respect du droit à la vie privée et familiale. Or, en l’espèce, la requérante, si elle avait bien eu avec son mari, de son vivant, « un projet parental construit et réfléchi », ne démontrait aucun lien particulier avec un quelconque État étranger vers lequel exporter les gamètes de son mari défunt. Le Conseil d’État en conclut qu’en l'absence de circonstances particulières, la décision contestée ne porte pas, au regard de la situation de la requérante et des finalités poursuivies par le législateur, une atteinte excessive aux stipulations de l'article 8 de la Convention européenne droits de l’homme.

Dit autrement, le Conseil d’État continue de se réserver le pouvoir d’apprécier, au cas par cas, selon les circonstances, si l’application d’un dispositif législatif, qu’il juge pourtant conforme au droit conventionnel européen, constitue ou non une « ingérence disproportionnée » dans les droits garantis par ce droit conventionnel, en l’occurrence la Convention européenne des droits de l’homme.

En la matière, la méthode peut cependant sembler de moins en moins convaincante. Non pas seulement en raison du pouvoir que se donne le juge d’apprécier subjectivement, selon les circonstances qu’il estime opportun de retenir, s’il y a lieu ou non d’appliquer la loi française mais aussi parce qu’en amont, se réfugier derrière la marge d’appréciation laissée aux États pour dire le dispositif législatif résultant de la loi du 2 août 2021 compatible avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme élude la démonstration. Or, quoi que l’on en pense, en ouvrant l’accès à l’AMP à des couples de femmes et à des femmes seules, le législateur français de 2021 a bouleversé le paradigme qui prévalait jusqu’alors. Quelle cohérence y a-t-il désormais à refuser à une veuve le droit de procréer avec les gamètes de son mari ou compagnon défunt au nom du projet parental qu’ils avaient formé alors qu’une femme seule peut accéder à l’AMP sans avoir à justifier d’autre chose que de son propre désir ou projet parental ? Il peut sembler vain aujourd’hui de chercher une réponse dans l’intérêt supérieur de l’enfant à ne pas être conçu sans un père pour l’accueillir en vue d’expliquer la distinction et peu convaincant de s’en remettre, sans autre explication qu’une simple affirmation, à la marge d’appréciation des États pour tenter de justifier cette distinction au regard du droit conventionnel européen.

Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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