Transports routiers : l'imbroglio juridique de la majoration des heures supplémentaires

Transports routiers : l'imbroglio juridique de la majoration des heures supplémentaires

06.12.2018

Convention collective

Les fédérations CGT et FO du transport routier appellent à une grève illimitée à partir de dimanche. Au cœur du conflit, la majoration des heures supplémentaires du secteur, dont l'origine remonte à la loi Travail. Le gouvernement compte sur la loi d'orientation de la mobilité pour apaiser la colère des routiers.

Le conflit qui secoue les transports routiers n'a que peu à voir avec celui des "gilets jaunes". Certes, si l'on peut trouver une dénominateur commun qui est le pouvoir d'achat, ce conflit date déjà de 2016 et ne fait que se poursuivre. Il s'est joué en plusieurs actes et le gouvernement espère bien y mettre un terme définitif dans le cadre du projet de loi d'orientation des mobilités.

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Un conflit en six épisodes

1er épisode : La loi Travail du 8 août 2016 a permis aux accords d'entreprise d'abaisser la majoration des heures supplémentaires de 25 % à 10 % maximum par accord d'entreprise et de pouvoir ainsi déroger aux accords de branche.

2e épisode : un décret du 17 novembre 2016 a modifié le code des transports, prévoyant que la convention collective étendue, l'accord d'entreprise ou d'établissement fixant le taux de majoration des heures supplémentaires étaient régis par les dispositions du premier alinéa de l'article L. 2253-3 du code du travail, tel que rédigé avant les ordonnances Travail du 22 septembre 2017, définissant la liste des thèmes pour lesquels les accords d'entreprise ne peuvent pas déroger à un accord de branche. La majoration des heures supplémentaire restait donc à la main de la branche des transports routiers.

3e épisode : l'entrée en vigueur des ordonnances Travail du 22 septembre 2017 étendent la primauté des accords d'entreprise, notamment sur certaines primes, et déclenchent un nouveau courroux des transporteurs routiers, notamment s'agissant de la prime de 13e mois dont ils demandent la sanctuarisation dans le salaire minimum hiérarchique.

4e épisode : à la suite de ce conflit, un protocole d'accord est signé le 4 octobre 2017. Il prévoit un engagement à réviser la convention collective nationale de branche sur un certain nombre de points :

  • l'intégration des éléments de rémunération compensant le travail de nuit, les jours fériés et les dimanches dans le salaire minimum hiérarchique ;
  • le maintien des minima de rémunération liés aux amplitudes, coupures et vacations ;
  • l'intégration de la prime de 13e mois dans le salaire minimum hiérarchique ;
  • le maintien du régime social et fiscal spécifique à la branche des transports routiers.

Signalons qu'à l'heure actuelle, aucun avenant de révision n'a été signé.

5e épisode : coup de théâtre !  le Conseil d'Etat annule le décret du 17 novembre 2016 dans une décision du 28 novembre. Les juges estiment que le pouvoir réglementaire n'était pas autorisé à déroger à la règle fixée par l'article L.2253-3 du code du travail. Toutefois, cette annulation ne sera effective qu'à l'issue d'un délai de neuf mois à compter de la décision, soit le 28 août 2019. Par ailleurs, les effets de cette annulation ne seront pas rétroactifs. Seules les actions déjà engagées au 28 novembre 2018 contre les actes pris sur le fondement de la disposition annulée resteront valables. Une faille temporelle bienvenue pour le gouvernement qui lui laisse le temps de sécuriser le dispositif.

6e (et dernier ?) épisode : le projet de loi sur l'orientation des mobilités reprend les dispositions annulées par le Conseil d'Etat dans son article 42 qui modifie le code des transports. Actuellement, l'article L. 1321-2 du code des transports prévoit des dérogations réglementaires au code du travail actuellement sur trois sujets :

  • la période de référence servant au décompte des heures supplémentaires, dans la limite de trois mois ;
  • le droit à une compensation obligatoire en repos et ses modalités d'attribution ;
  • la durée maximale hebdomadaire moyenne de travail, dans la limite de 46 heures par semaine, calculée sur une période de référence de trois mois.

L'article 42 ajoute à ce dernier thème "les conditions dans lesquelles un accord collectif de branche peut déterminer leur taux de majoration", mais attention seulement pour les transports routiers de marchandises.

L'article 42 y ajoute également un quatrième thème qui figurait parmi les revendications intégrées dans le protocole de 2017 :

  • les conditions de définition, par voie d’accord collectif de branche, du régime d’indemnisation applicable à l’amplitude, aux coupures et aux vacations dans les entreprises de transport routier.

Par ailleurs, l'article 42 prévoit qu'un arrêté conjoint des ministres chargés du travail et des transports peut, en tenant compte, le cas échéant, d'un accord collectif de branche, fixer un niveau minimal pour l'indemnisation des frais de déplacement des salariés des entreprises de transport routier de personnes ou de marchandises, lorsqu’ils ne sont pas remboursés intégralement par l'employeur sur justificatifs.

Une sanctuarisation qui fragilise les ordonnances ?

Une telle disposition peut-elle prospérer ? Selon le Conseil d'Etat, dans son avis sur le projet de loi, le législateur peut tout à fait, "amender les règles générales de la négociation collective, dès lors que les dispositions retenues ne méconnaissent aucun principe de valeur constitutionnelle ni aucune règle conventionnelle. Le Conseil d'Etat estime que les dispositions du projet répondent à ces exigences et énoncent des règles satisfaisant à l'objectif d'intelligibilité et d’accessibilité de la loi".

Reste que cette sécurisation du secteur du transport ouvre une brèche légale dans les ordonnances de 2017 en réinjectant dans le bloc 1 (les thèmes réservés à la branche) des dispositions qui relèvent normalement du bloc 3 (les thèmes pour lesquels la négociation d'entreprise prime) susceptible de créer une tentation pour d'autres secteurs qui pourraient s'engouffrer dans cette ouverture.

Florence Mehrez
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