Les engagements éthiques affichés par une entreprise peuvent-ils être constitutifs de pratiques commerciales trompeuses s’ils ne sont pas respectés dans ses usines à l’étranger ? Éclairage sur l’affaire en cours d’instruction au TGI de Paris suite à la plainte déposée par l’association Sherpa à l’encontre du géant de l’électronique Samsung.
La quatrième tentative aura été la bonne pour Sherpa. Au cours des sept dernières années, l’association de protection et de défense des populations victimes de crimes économiques a engagé quatre actions en justice pour pratiques commerciales trompeuses à l’encontre de Samsung Electronics France et de sa maison mère en Corée.
Sherpa reproche à l’entreprise d’afficher des engagements éthiques sur les droits de travailleurs qui ne seraient pas respectés dans ses usines en Chine, en Corée du Sud et au Vietnam. Des accusations étayées par différents rapports établis par des ONG dans ces trois pays et faisant état de conditions de travail indignes (travail d’enfants, intoxications, cadences infernales, etc.). L’association demande donc à la justice française de condamner et de sanctionner cette distorsion entre ces pratiques et la communication du groupe en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE).
En 2013, Sherpa a déposé une première plainte simple contre Samsung France (dont le siège est en Seine-Saint-Denis) auprès du TGI de Bobigny. Elle a été classée sans suite après une enquête préliminaire qui a conclu que les engagements éthiques de l’entreprise n’étaient pas des pratiques commerciales. « Cette décision a notamment été prise sur la base d’un avis - très sommaire - de la Direction départementale de la protection des populations », indique Clara Gonzales, chargée de contentieux et de communication de l’association Sherpa.
Deuxième tentative fin décembre 2015. Sherpa et Indecosa-CGT ont cité à comparaître devant le TGI de Bobigny la filiale française et sa maison mère coréenne. Avant d’abandonner l’action. « Nous nous sommes retirés de la citation directe parce que nous avons obtenu de nouveaux éléments, dont des nouveaux rapports d’enquête de l’ONG China Labor Watch, nous permettant de constituer une plainte simple ». En janvier 2018, Sherpa et ActionAid France ont donc déposé une plainte simple auprès du TGI de Paris. Ce dernier s’est déclaré non compétent et a transféré l’affaire à Bobigny en janvier 2018, où elle a rapidement été classée sans suite.
Nouvelle tentative en juin 2018. Sherpa et ActionAid France ont porté plainte avec constitution de partie civile contre Samsung France et sa maison mère auprès du TGI de Paris. « Le juge Van Ruymbeke nous a convoqués dans son bureau pour que nous lui expliquions pourquoi nous estimions le TGI de Paris compétent », poursuit Clara Gonzales. L’association a alors avancé « le principe de compétence de toutes les juridictions dans lesquelles la pratique commerciale, c’est-à-dire le propos incriminé, est accessible », ainsi que « le principe général de compétence du parquet national financier pour les dossiers complexes de délinquance économique ». Les plaignants ont reçu l’avis de compétence du TGI de Paris en octobre 2018.
Le juge d’instruction, Renaud Van Ruymbeke, qui s’est constitué sur le dossier, a étudié la plainte « qui fait une soixantaine de pages, accompagnées de plus de 70 pièces. Nous avons fourni une analyse juridique très complète, ainsi que l’ensemble des éléments matériels constituant des éléments de preuve des infractions », précise Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux à Sherpa. Le juge a ensuite convoqué un représentant de la filiale française pour un interrogatoire de première comparution, à l’issue duquel il a prononcé la mise en examen de Samsung France, en avril 2019.
Dans un communiqué publié en juillet dernier, le groupe Samsung dit contester le bien-fondé de cette plainte, qui concerne « des faits datant de plusieurs années et des rapports et des incidents auxquels Samsung a déjà répondu par le passé », mais ne pas souhaiter commenter une procédure en cours. L’entreprise déclare qu’assurer « la santé et la sécurité de [ses] 310 000 employés à travers le monde est [sa] toute première priorité », qu’elle pratique une « tolérance zéro » à l’égard du travail des enfants et que ses politiques en matière de respect des droits de l’Homme et des travailleurs sont conformes aux principes et standards définis par les Nations Unies, l’OCDE ou l’Organisation internationale du travail.
Contacté par Actuel Direction juridique, Samsung France ne dit pas autre chose dans la réponse transmise par son agence de relations publiques :
« nous considérons qu’il est de notre responsabilité de veiller à ce que Samsung Electronics, ses fournisseurs et sous-traitants suivent les meilleures pratiques relatives aux conditions de travail et à la protection de l’environnement ainsi qu’au respect des règlementations locales. Ainsi, lorsqu’un problème potentiel est identifié, nous menons une enquête et, s’il est avéré, nous prenons les mesures nécessaires pour corriger la situation. S’agissant de la plainte déposée contre Samsung Electronics en France, nous en contestons le bien-fondé, mais nous ne pouvons faire aucun autre commentaire dans le cadre d’une procédure en cours ».
C’est la première fois, en France, qu’un juge d’instruction met en examen une entreprise en reconnaissant un caractère commercial aux engagements éthiques qu’elle affiche. Il a donc suivi l’argumentation défendue par Sherpa ayant fourni plusieurs études attestant que les consommateurs prennent en compte, dans leur acte d’achat, les principes éthiques affichés par les entreprises.
Pour caractériser l’infraction, l’association s’est attachée à démontrer qu’il s’agit d’engagements « précis et prescriptifs », « de nature commerciale », « accessibles au consommateur français moyen », et « imputables à l’entreprise dans la mesure où ils sont décidés au niveau du groupe puis adaptés par les filiales », précise Marie-Laure Guislain. Quant au non-respect de ces engagements, il serait attesté « par tous les rapports fournis par les associations chinoises, coréennes et vietnamiennes ». Le juge a donc estimé les preuves suffisantes à ce stade de l’enquête pour mettre en cause la responsabilité de l’entreprise. C’est la juge d’instruction Patricia Simon qui a repris l’affaire après le départ à la retraite de Renaud Van Ruymbeke en juin dernier.
Quels précédents et quelles tendances à l’étranger ? Le cabinet d’avocats Norton Rose Fulbright a établi un état des lieux assez détaillé de différentes affaires de violation des droits humains portées devant la justice (et devant des tribunaux arbitraux) basées sur le droit des consommateurs et les pratiques commerciales déloyales trompeuses et concernant des filiales ou des fournisseurs à l’étranger : The components of effective supply chain management (paragraphe intitulé case law). |
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