« Il y a un secret du conseil relatif à l’exercice des droits de la défense qui peut être déplacé entre deux personnes non-avocates en l’occurrence deux directeurs juridiques »

« Il y a un secret du conseil relatif à l’exercice des droits de la défense qui peut être déplacé entre deux personnes non-avocates en l’occurrence deux directeurs juridiques »

14.02.2022

Gestion d'entreprise

Vincent Nioré, vice-bâtonnier du barreau de Paris, revient sur un arrêt rendu récemment par la Cour de cassation en matière de secret professionnel de l’avocat qui sécurise les échanges au sein de la direction juridique.

Le 26 janvier 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation validait une décision innovante rendue en matière de secret professionnel de l’avocat. Des courriels échangés par des juristes d’une entreprise reprenant la stratégie de défense de leur avocat et saisis par l’Autorite de la concurrence dans le cadre d’une enquête pour entente devenaient inexploitables. Explications.

Quel est l'apport de cet arrêt ?

C'est un arrêt fondamental. L’Ordre des avocats de paris était intervenant volontaire dans cette procédure pour la défense du secret. En cette matière particulière de la visite domiciliaire de l'Autorité de la concurrence - que l'on peut appeler perquisition - le secret de la défense est consacré dans la relation de l'avocat avec son client, en l'occurrence une personne morale, mais pas uniquement. Par extension, est consacré le secret de la correspondance échangée entre deux salariés, directeurs juridiques non-avocats, car cette correspondance reproduit les termes de la correspondance avocat-client, elle-même confidentielle et relative à la stratégie de défense perçue comme une donnée essentielle. J’insiste : cette stratégie de défense participe de l’activité de conseil stricto sensu de l’avocat à l’égard de son client personne morale pour la défense à envisager dans l’éventualité d’une visite domiciliaire. En revanche, le secret du conseil à propos de l’activité juridique, en tant qu'il se déplacerait d'une correspondance avocat/client à deux juristes n'est pas en l’état consacré par cet arrêt. 

En d’autres termes : la Cour de cassation - comme avant elle le premier président de la cour d'appel de paris ayant rendu l'ordonnance validant des contestations de saisies d’éléments confidentiels - consacre le fait que la stratégie de défense contenue dans un courrier confidentiel, couvert par le secret professionnel, puisse être considérée comme une donnée à ce point essentielle qu'il faut la partager et en discuter entre juristes d’entreprise. Il y a un secret du conseil relatif à l’exercice des droits de la défense qui peut donc être déplacé entre deux personnes non-avocates en l’occurrence deux directeurs juridiques. Cette extension du secret de la défense participe du droit du justiciable à un procès équitable notamment en ce qu’il comprend le droit de tout « accusé » de ne pas contribuer à sa propre incrimination comme le juge la CEDH.

La loi pour la confiance dans l’ institution judiciaire du 22 décembre 2021 contient des dispositions sur le secret professionnel de l'avocat (article 3) qui entrent en vigueur le 1er mars. Que peut-on déduire de la mise en perspective de cette loi avec ce dernier arrêt de la Cour de cassation ?  

Cette question s'impose de manière rédhibitoire. La loi pour la confiance telle qu'elle a été modifiée après la protestation des avocats dont précisément celle de l’Ordre de Paris, renforce les droits du bâtonnier en matière de contestation de perquisitions chez l'avocat précisément en matière de secret du conseil dans les hypothèses de corruption, de trafic d’influence, de fraude fiscale, de financement du terrorisme et blanchiment de ces infractions. Elle institue aussi une nouveauté pour le justiciable : le droit pour un tiers non-avocat - donc notamment le client personne physique ou personne morale - de contester lui-même ou par son directeur juridique, la saisie en matière judiciaire d'éléments relatifs au secret professionnel de la défense et du conseil. L'article 56-1-1 nouveau du code de procédure pénale qui institue cette faculté de contester une saisie en perquisition chez le client, renvoie au deuxième alinéa réformé de l'article 56-1 sur les perquisitions chez l’avocat consacrant le secret du conseil et de la défense dans les termes suivants : Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d’avocat et « à ce qu’ aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret de la défense et du conseil prévu par l’article 66-5 de la loi de 1971 ne soit saisi et placé sous scellé ». C’est surtout la mission du bâtonnier. C’est aussi celle du client également. Aujourd'hui, il est donc permis au client de contester la saisie de ces éléments effectuée dans ses murs par l’autorité judiciaire à charge pour cette autorité de saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) qui tranchera cette contestation. Nous nous retrouvons alors dans la configuration mécanique de la perquisition au cabinet d'avocat contestée par le bâtonnier, le magistrat devant saisir le JLD lui-même. La loi nouvelle représente un progrès considérable au plan de l’exercice des droits de la défense en perquisition par le client lui-même et en pratique pour les personnes morales par leurs directeurs juridiques qui doivent se former à cette contestation car ils seront présents lors de l’audience du JLD. Des séances de formation à la contestation doivent absolument être mises en place entre juristes d’entreprise et avocats. A plus forte raison dans les hypothèses de perquisitions simultanées chez l’avocat de l’entreprise et chez son client. La contestation du bâtonnier interviendra simultanément à celle du client lui-même. Et ils se retrouveront tous deux devant le JLD pour organiser une stratégie de défense commune partagée aussi avec les avocats de la défense de l’avocat perquisitionné et du client perquisitionné.

Nous aurons en pratique un débat sur l'étendue du secret protégé. Le conseil précède la défense. Il conviendra que la Cour de cassation fasse évoluer sa jurisprudence, en matière de concurrence notamment, à propos du secret du conseil pour l’activité juridique qui doit être consacré, ce qui n'est pas le cas actuellement contra legem. La jurisprudence devra aller au-delà du texte de l’article 56-1 réformé de la loi pour la confiance et consacrer que le client est bien fondé, par son directeur juridique en pratique conseillé par son avocat, à organiser une contestation de toute saisie d'éléments relatifs au secret du conseil dans son acception de secret professionnel de l’activité juridique. 

Pensez-vous alors que la jurisprudence puisse consacrer un jour la protection de l'échange de documents entre juristes d'entreprise reproduisant des échanges entre la direction juridique et son avocat, échanges couverts par le secret professionnel du conseil ?

L'article 56-1 dans sa rédaction nouvelle est une incitation à la consécration, par la Cour de cassation, du secret professionnel en matière de conseil juridique pur hors stratégie de défense dans ce domaine de la visite domiciliaire par l'autorité administrative, comme l'Autorité de la concurrence, par exemple. Il faudra que la chambre criminelle consacre ce qui est déjà dans la loi à savoir l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. C'est le sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'UE (CJUE) qui contrairement à la loi française ne divise pas le secret professionnel en matière de conseil et de défense mais en assure son unicité. Sa jurisprudence depuis le célèbre arrêt REYNERS du 21 juin 1974 et par suite l’arrêt MINISTERAAD du 6 juin 2019 consiste à dire que le secret professionnel s'applique d'évidence tant à la défense qu'au conseil juridique préalable à la défense ou encore au conseil isolé qui correspond à une activité strictement juridique en dehors de tout exercice d'une activité judiciaire ou juridictionnelle précisément à la « consultation » et à « l’assistance juridique ». 

Cependant la CJUE réserve le secret uniquement à l'avocat...

Le client n'est pas tenu au secret professionnel mais on voit qu'avec les nouvelles dispositions de la loi pour la confiance, le client a la possibilité de défendre un secret du conseil et de la défense. Est-il pour autant astreint au secret professionnel ? Par exemple, dans un autre domaine (l’article 114-1 du CPP), en matière de communication d'un dossier pénal en cours d’instruction, lorsqu'un avocat ne se voit pas opposer un refus par un magistrat instructeur à remettre la copie d’un dossier d'instruction en cours à un client, ce dernier ne peut pas transmettre ce document à un tiers parce qu'il est notamment couvert par le secret de l’instruction ou par le secret professionnel de l'avocat à l'occasion de l'instruction. Les sanctions en cas de violation ont été lourdement aggravées par la loi pour la confiance qui prévoit des peines de 45 000 euros d'amende et de 3 ans d'emprisonnement (auparavant, il s'agissait de 10 000 euros d'amende). Il semble donc que pèse également sur le client, qui pourtant n’est pas tenu au secret, à propos du dossier pénal, une obligation de respect du secret de l'enquête ou de l'instruction qui est avant tout une déclinaison du secret de l'avocat. On s'oriente ainsi vers un nouveau statut du client qui doit respecter le secret dans ce cas précis et à qui l'on transmet en outre la possibilité de défendre en perquisition le secret professionnel de l'avocat. Il devient ainsi un acteur du procès qui se doit de respecter le secret et de défendre le secret de la défense et du conseil. L’autre réforme qui alors s’impose urgemment est celle de la présence de l’avocat de la défense en perquisition judiciaire d’autant que les textes prévoient qu’il est déjà présent en matière de perquisitions administratives de droit commun comme d’ailleurs le bâtonnier en cette même matière des perquisitions administratives est présent chez l’avocat. Il n’existe aucune difficulté à cette évolution.

Si les échanges entre juristes venaient à être couverts par le secret professionnel en matière de conseil, cela ne reviendrait-il pas à donner le legal privilege aux juristes ? 

Si on pousse le raisonnement jusqu'au bout, certes il y a un progrès. Mais se profile en réalité un autre statut de l’avocat, celui de l’avocat en entreprise, indépendant, souverain avec une déontologie forte, un secret professionnel unique pour le conseil juridique et la défense judiciaire, d’ordre public, général, absolu, éternel. Je pose la question : l’avenir s’annonce-t-il radieux ? 

 

 

 

propos recueillis par Sophie Bridier

Nos engagements