«Say on climate» : la bataille juridique (1)

«Say on climate» : la bataille juridique (1)

29.06.2022

Gestion d'entreprise

Une certaine fébrilité aura marqué la saison 2022 des assemblées générales. Au menu, la montée en puissance des résolutions climat. Si le nombre d’entreprises concernées demeure encore restreint, le sujet a fait grand bruit, notamment face à la volonté d’un consortium d’actionnaires de TotalEnergies d’inscrire une résolution climat à l’ordre du jour. Une action qui soulève plusieurs questions majeures : les actionnaires peuvent-ils imposer le sujet climat dans les entreprises et les contraindre dans leur action ? Le conseil d’administration a-t-il des domaines réservés ? Les interprétations des textes existants divergent et créent d’âpres discussions.

Cette année, onze sociétés françaises du SBF 120 – dont quatre du CAC 40 – ont présenté une résolution climat en assemblée générale. Par rapport à l’année dernière, c’est une de plus pour le CAC 40 et deux pour le reste du SBF 120. « On ne retrouve pas exactement les mêmes sociétés qu’en 2021, mais on remarque une représentation de secteurs d’activité et d’empreintes carbones très variées, puisque sont par exemple concernés Carrefour, EDF, Amundi, Nexity… », commente Dominique Stucki, avocat associé au sein du cabinet Cornet Vincent Segurel, qui réalise un Baromètre de l’investissement et de la gouvernance responsables.

L’augmentation des résolutions climat, Dominique Stucki l’attribue notamment à la pression des investisseurs institutionnels.

« Ils sont désormais contraints d’avoir une politique d’engagement actionnarial, qui les pousse à interpeler les conseils d’administration sur leur action climat. Cela ne se traduit cependant pas systématiquement par la présentation d’une résolution climat en AG. »

Si les discussions se déroulent souvent loin de l’espace public, l’assemblée générale de TotalEnergies a cette année bouleversé les usages. Deux consortiums d’actionnaires ont, en effet, souhaité déposer des résolutions alternatives pour contraindre l’entreprise à prendre des engagements plus poussés en matière de climat. Des résolutions que le groupe a refusé de soumettre au vote, arguant qu’il est de la compétence du conseil d’administration de fixer la stratégie de la société. Une réponse loin de satisfaire l’un des deux consortiums et qui ouvre la voie à une véritable bataille d’interprétations.

Lire entre les textes

Pour justifier leur refus de mettre des résolutions climat d’actionnaires à l’ordre du jour, les entreprises se basent notamment sur la loi Pacte, qui donne au conseil d’administration la responsabilité de veiller à l’intérêt social de l’entreprise, notamment en intégrant à sa stratégie des critères sociaux et environnementaux.

Autre texte largement cité, l’arrêt Motte, qui date de 1946, et porte sur la séparation des pouvoirs entre l’assemblée générale et le conseil d’administration. « Cet arrêt a donné lieu à de nombreux débats houleux. Lorsque le droit positif est confus, il faut alors s’interroger sur l’objectif des textes. Or, on voit bien que la séparation des pouvoirs entre l’AG et le CA n’est pas un dogme et que le CA ne peut écarter les compétences de l’AG sur ce seul fondement, ce qu’il fait pourtant en refusant d’inscrire à l’ordre du jour une résolution destinée à obliger l’entreprise à poursuivre des objectifs environnementaux », explique Paul Oudin, avocat collaborateur au sein du cabinet Vermeille & Co.

Ce dernier représente le consortium de onze actionnaires qui souhaitait pousser TotalEnergies à prendre des engagements climatiques plus forts, en lien avec les Accords de Paris. Ces divergences de points de vue sont loin d’être tranchées. « On observe que les acteurs de la place, des émetteurs aux professionnels du droit, sont très divisés sur ce sujet. Cette division s’est exacerbée en 2022 avec la saisine de l’Autorité des marchés financiers (AMF) par cinq actionnaires en vue de l’AG de TotalEnergies », observe Eole Rapone, avocat associé et co-fondateur du cabinet Emeriane Avocats.  

Nul ne peut ignorer… le débat

Ce n'est pas parce qu’il n’existe pas encore de texte clair sur le traitement des résolutions climatiques que la question peut être balayée d’un revers de main par les entreprises. Il ne faudrait, en effet, pas négliger les répercussions négatives en termes d’image qui découleraient d’un refus des résolutions climat émanant des actionnaires, ou de la mise au vote d’un texte vide de contenu. « A l’enjeu réputationnel s’en ajoute en effet un autre, plus juridique, poursuit Dominique Stucki.

Même si les résolutions climat sont consultatives et facultatives, si les données soumises au vote par le conseil d’administration sont basées sur des informations trompeuses, alors la responsabilité des administrateurs est engagée ».

Or, comme le rappelle l’avocat, la direction juridique est bien souvent sollicitée pour rédiger les résolutions présentées en AG. Il est donc essentiel qu’elle prenne en compte la façon dont la résolution peut lier l’entreprise et le risque encouru si les engagements ne sont pas respectés.  

  

 

   

 

 

 

 

  

Ingrid Labuzan

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