Dans une décision du 15 décembre 2020, le tribunal judicaire de Paris a débouté la CGT qui entendait faire reconnaître, via une action de groupe, une discrimination syndicale chez Safran Aircraft Engines. Une audience rendue possible par la loi de modernisation de la justice du 21e siècle de 2016, qui a élargi au monde du travail le champ des actions de groupe. Les réactions de Pierre Safar, avocat conseil de l’entreprise, associé au sein du cabinet Dupuy & associés.
La CGT a été déboutée de son action de groupe contre le motoriste Safran Aircraft Engines qu'elle attaquait pour discrimination syndicale. Le Défenseur des droits était lui-même intervenu en soutien du syndicat, demandant au tribunal de constater "une discrimination collective et systémique en raison de l'exercice des activités syndicales". Est-ce un revers pour les syndicats ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Il ne s’agit pas d’une décision par nature pénalisante pour les organisations syndicales. Ce jugement applique le principe de l’application de la loi dans le temps. La loi date de novembre 2016 et c’est donc seulement à compter de ce moment que l’analyse peut porter. Le tribunal a passé en revue la situation de chaque salarié s’estimant victime de discrimination et a considéré qu’il n’y avait rien d’anormal. C’est ce qu’avait confirmé, au préalable, l’entreprise : l’avancement répond à des critères professionnels. L’accord de 2006, précurseur de la loi Rebsamen de 2015, signé par la CGT, détaille justement les outils mis en place au sein de l’entreprise pour suivre l’évolution des salaires et le déroulement des carrières des représentants du personnel, en terme de salaires, de poste, de parcours et de qualifications.
Ce jugement pose, toutefois, la question de la reconnaissance des faits de discrimination. Lesquels supposent d'être démontrés dans la durée via notamment l'utilisation des panels comparatifs entre salariés partageant les mêmes niveaux de qualification et traités différemment, que ce soit sur leur rémunération ou leur évolution de carrière.
Le jugement ne vient pas pointer de difficulté en général dans la constatation d’une discrimination. Il note une discordance entre les prétentions de la partie adverse, la CGT, et la loi. Dans son délibéré, le tribunal judiciaire de Paris a, en effet, estimé qu'il n'était pas en mesure de condamner Safran en raison de la non rétroactivité de la loi du 18 novembre 2016 qui a élargi au monde du travail le champ des actions de groupe. Pour rappel, la CGT ayant assigné le motoriste le 30 mars 2018 : aussi seule une période de 16 mois pouvait être examinée par le tribunal, soit un laps de temps beaucoup trop bref sur le plan méthodologique et probatoire pour permettre de dégager une tendance quelconque.
La CGT a pourtant indiqué, à l’issue de cette décision, qu’elle fera appel. Selon l’avocate du syndicat, le juge devra mettre en balance le principe de procédure de non rétroactivité du droit avec le droit à ne pas être discriminé, un droit associé au droit d'égalité dont le principe est constitutionnel…
Nous avons appris dans la presse l’intention de la CGT de faire appel. Nous en prenons acte, tout en constatant qu’elle a engagé cette démarche sans nous en informer ni d’abord chercher à dialoguer. Cela étant dit, le jugement du tribunal judiciaire est quand même très étayé, très motivé. On ne pourra pas le balayer aussi facilement que cela. Il repose sur un raisonnement rigoureux en droit. Sur la question de la mise en balance entre le principe de non rétroactivité de la loi et le droit à ne pas être discriminé, ces deux notions ne sont absolument pas en conflit. Soutenir l’inverse supposerait que la CGT aurait démontré l’existence d’une discrimination. Or, cela n’est pas du tout le cas.
Il s’agissait de la première action de groupe engagé sur la discrimination syndicale. Pensez-vous que ce type de contentieux va se développer ?
Effectivement, il s’agit de la première procédure de ce type en France. Dans le passé, nous avons eu à faire à des contentieux individuels et sériels, plusieurs salariés saisissant le tribunal en même temps devant les prud’hommes. Soulignons également une deuxième action de groupe notoire sur les discriminations hommes/femmes (1). Et il est évident que ces actions ont une valeur de test puisque aucune décision n’avait été rendue jusqu’ici. Ces décisions viennent clarifier les conditions juridiques de l’action de groupe, autorisée par la loi de novembre 2016. A l’avenir, l’action de groupe pourrait aider à la prévention des discriminations, ce qui serait souhaitable, à condition d’être exercée avec discernement…
Cette décision est-elle susceptible de rassurer les DRH très inquiets de ce type de procédure ?
Cette première action de groupe en matière de discrimination confirme en tout état de cause l’importance donnée à la question des discriminations au travail et à la nécessité d’y remédier. S’agissant des discriminations syndicales, tout le droit de ces 20 dernières années porte une attention particulière à cette question. Cette décision renforce l’utilité d’établir un dialogue social avec les organisations syndicales, de disposer le cas échéant d’outils de suivi visant à comparer l’évolution des salaires et le déroulement des carrières des représentants du personnel et de leurs collègues. Elle ne doit en aucun cas être interprétée comme un coup d’arrêt à la lutte contre les discriminations syndicales.
(1) Action de groupe pour discrimination sexiste que la CGT a engagé contre la Caisse d’Epargne Ile-de-France
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