S’il nous assure que les professions du droit ne vont pas disparaître avec le développement de l’intelligence artificielle, Olivier Chaduteau, associé fondateur et managing partner du cabinet Day One, estime néanmoins qu’il y aura moins de recrutements pour les profils "administratifs" et que les juristes se reconcentreront, à terme, sur des missions à forte valeur ajoutée.
La transformation digitale de notre société et la nécessité pour les professions juridiques de s’y préparer sont mises en avant dans la dernière étude « Droit et digital : réalité et prospectives » du cabinet Day One. Quels sont les emplois juridiques menacés ? Quel est l’impact des outils digitaux sur le métier de juriste ? Le directeur juridique devra-t-il être formé à ces nouveaux outils ? Olivier Chaduteau fait le point sur ces problématiques.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Quels sont les différents types de services proposés par les legaltechs faisant usage de l’intelligence artificielle (IA) ?
Il existe plusieurs types de services sur le marché des legaltechs.
Concernant la production de services juridiques, l’IA peut être utilisée pour la création de contrats ou pour apporter des réponses automatiques à des questions simples posées par le client, via la mise en place de chatbots. En pratique, lorsque le client pose une question en langage naturel, c’est le chatbot qui lui répond automatiquement.
Il existe également des services d’aide à la prise de décision. On fait appel à de l’analyse textuelle et sémantique pour regarder, dans les différents contrats de l’entreprise, si la jurisprudence est pertinente par rapport au contexte ou, au contraire, s’il existe de la jurisprudence plus à jour, si les clauses utilisées sont les bonnes, etc…
La dernière utilisation de l’AI est l’analyse prédictive (notamment utilisée avec la technologie Big Data). Elle permet d’analyser certaines données afin de répondre à des questions précises. Par exemple, quelle est notre probabilité de gagner un contentieux en fonction de données historiques disponibles et de variables diverses à définir ? Cette clause, régulièrement utilisée dans nos contrats, est-elle utile dans le cadre d’un litige si l’on regarde un grand nombre de cas ? Le problème, aujourd’hui, est davantage d’avoir accès à une multitude de données fiables qu’aux outils pour les analyser.
Certains emplois dans le domaine juridique sont-ils menacés par le développement des outils digitaux ? Si oui, lesquels ?
A court terme, non. Les outils digitaux permettent à l’ensemble des équipes d’une direction juridique de dégager 10 à 15 % de leur temps. On a tous dans nos métiers des tâches administratives ou à faible valeur ajoutée. L’idée est de trouver la tâche à faible valeur ajoutée qu’on peut retirer au juriste et de la faire réaliser par l’outil. Le temps gagné pourra alors être utilisé pour des tâches à plus forte valeur ajoutée. Ainsi, les paralegal, les juristes (junior et senior) et les directions juridiques pourront se reconcentrer sur des missions à forte valeur ajoutée avec les qualités propres au juriste : son analyse, sa pertinence, son expérience, sa déontologie, son jugement...
A moyen terme, les profils « administratifs », paralegal et junior ne vont pas disparaître mais il y aura moins d’ETP (équivalent temps plein) sur tous ces domaines. Parallèlement, on aura besoin de nouveaux profils : les « legal IT experts » (spécialistes du digital, de la technologie, de la statistique et de la probabilité), pour venir en support des juristes aussi bien dans les cabinets d’avocats que dans les directions juridiques.
Demain, la question que se poseront les directions juridiques est « le prochain que je recrute : doit-il être juriste ou plutôt expert en digital ? » sachant que le legal IT expert est celui qui permettra aux 10 autres salariés de gagner du temps. La transformation digitale aide aujourd’hui les juristes à « faire plus avec moins », à véritablement partager et à travailler de façon collaborative.
Quel sera l’impact de la transformation digitale sur les conditions de travail du directeur juridique ?
Qui dit outil, dit traçabilité et transparence. Désormais, on va savoir qui fait quoi, qui modifie le contrat et quand, qui fait une erreur, etc… et j’inclus le client interne bien évidemment ! L’outil digital va également permettre la mise en place d’indicateurs de performance et de suivre de façon très opérationnelle la vie d’un contrat ou l’évolution d’un contentieux ou d’un arbitrage, par exemple. Cela va apporter plus de transparence, de structure et de discipline à la fonction et une nécessaire focalisation sur ce qui est utile pour bien accomplir la double mission-clé de tout juriste : « Être gardien du temple et business partner ».
Le développement de l’IA au sein des entreprises permet-il de réaliser des économies ou, au contraire, représente-t-il un coût trop élevé ?
Il faut faire la balance entre le coût d’une embauche et celui d’un outil digital. Prenons pour exemple le recrutement d’un temps complet en CDI qui s’élève à 100 000 € par an en coût complet et celui d’un outil digital au même prix. La première année, en termes de budget, cela reviendra au même. En revanche, pour les années suivantes (hors coût de maintenance ou de licence), l’entreprise fera de grandes économies, sans compter l’amélioration de l’efficience de l’équipe grâce à l’outil. Le traitement budgétaire et comptable ne sera pas le même non plus : l’un va passer en charges et être amorti, l’autre va passer en ETP avec tout ce que cela signifie…
Toutefois, il ne faut pas croire que le prix des outils digitaux est très élevé. On peut d’ores et déjà optimiser ceux qui sont utilisés par l’entreprise. Apprendre à bien s’en servir ne coûte rien mais permet d’être plus opérationnel. La qualité, la disponibilité, la rapidité de l’outil, les menus déroulants peuvent faire la différence. L’entreprise doit avoir une vision à 360 degrés de ses outils. Elle doit savoir qui est responsable de chaque information et mettre en place des API « application programming interface » (passerelles) garantissant une bonne communication entre les différents services, afin d'éviter, par exemple, que plusieurs départements aient à saisir la même information (juridique, comptabilité, achats, commercial…).
Il est possible d’obtenir certains outils pour seulement quelques milliers d’euros. Ce qui peut coûter cher en revanche, c’est l’accompagnement lors de leur mise en place : plus l’entreprise est grande, plus le chantier est important. Mais ce qui sera encore plus onéreux, c’est s’il n’y a pas cette conduite du changement ou si elle est inefficace. Dès lors, les outils ne seront pas ou mal utilisés !
Comment les directeurs juridiques peuvent-ils se préparer à l’arrivée de l’IA au sein de leur entreprise ?
Pour se préparer à la révolution digitale, les juristes doivent en premier lieu réfléchir à leur valeur. C’est-à-dire faire le tri et regarder, dans toutes les tâches accomplies au quotidien, celles qui ont une faible, moyenne ou haute valeur ajoutée.
La deuxième réflexion concerne le travail collaboratif. On peut déléguer certaines tâches sur un dossier : au niveau hiérarchique, de façon horizontale ou externaliser. L’avantage : on gagne du temps et la tâche est faite par les bonnes personnes. Il faut se poser les questions suivantes : sur quels sujets je peux déléguer ? Quelles tâches ? Et à qui ?
Et enfin, il faut se demander quelle technologie est disponible. Quelle est la plus utile et la plus efficiente ? La technologie doit être complètement adaptée à l’entreprise, au projet et à la tâche en question.
Le directeur juridique devra-t-il acquérir de nouvelles compétences techniques ?
On ne va pas demander aux juristes de devenir des experts en statistiques et en probabilité mais ils devront tout de même avoir une première couche de formation dans ces domaines. Par exemple, être capable de comprendre a minima le fonctionnement des algorithmes utilisés par les outils de l’entreprise, comment les données entrantes sont travaillées et analysées par l’outil, et enfin savoir interpréter les statistiques, car c’est à partir de celles-ci qu’il faudra prendre des décisions. Les legal IT experts de la direction juridique devront, eux aussi, avoir un bon vernis en droit afin de devenir de réels partenaires pour les juristes.
Les directeurs juridiques sont-ils prêts pour la technologie ?
Tous les directeurs juridiques devraient, au moins, se poser la question de l’impact du digital sur leur métier. Il faut ensuite faire un état des lieux sur les outils existants. Que faut-il changer ? La technologie utilisée par l’entreprise est-elle obsolète ou au contraire efficiente ? Y a-t-il des marges d’optimisation, des pistes d’améliorations ?
Certains de nos clients sont déjà équipés en outils digitaux (par exemple, signature électronique, logiciel de gestion de contrats, systèmes de « e-parapheur ») et cela fonctionne très bien. Si vous n’avez rien ou pas grand-chose, c’est une opportunité pour réfléchir à ce que vous voulez mettre en place et pour trouver les outils adaptés.
Auditer sa direction juridique, cela prend-il beaucoup de temps ?
Non, pas énormément mais on ne fait pas sa transformation digitale tout seul dans son coin : les directions juridiques sont transversales. Si elles travaillent différemment, si elles changent de process, toute l’entreprise est impactée. Il faut alors prendre le temps d’accompagner et d’expliquer aux autres salariés (opérationnels, ressources humaines, comptabilité, finances, marketing, achats, etc.) pourquoi on décide de faire autrement. J’ai coutume de dire que faire autrement ne veut pas nécessairement dire « faire mieux », mais, aujourd’hui, pour faire mieux, il faut nécessairement faire autrement ! Et le digital nous y aide.
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