Alors que la discussion autour du projet de loi Travail bat son plein, Bertrand Martinot, économiste et ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, propose dans un ouvrage rédigé avec Franck Morel, avocat au sein du cabinet Barthélémy, une réforme du droit du travail alternative.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
La négociation d'entreprise est au cœur de vos propositions. Vous vous inscrivez dans la philosophie du projet de loi Travail. C'est une évolution devenue incontournable quelles que soient les opinions que l'on défend ?
Nous assistons à un mouvement de fond d'individualisation de la relation de travail. Le droit du travail bâti sur le modèle "EDF" ne correspond plus au monde d'aujourd'hui. Nos propositions se veulent pragmatiques et non idéologiques. Elles visent à reconstruire des digues afin de maintenir un collectif ce qui suppose une plus grande légitimité des acteurs, de nouveaux outils. Or, c'est dans l'entreprise que se développe aujourd'hui une négociation dynamique et innovante ; les branches sont très faibles en France contrairement à l'Allemagne. Contrairement à ce qui est parfois dit, la loi de 2008 est plutôt un succès en matière de durée du travail.
Mais ce modèle laisse sur le bord de la route les petites entreprises ?
C'est pour cela qu'il faut conforter les branches professionnelles pour les petites entreprises dépourvues de délégués syndicaux et développer le mandatement et le référendum. Nous proposons aussi qu'à défaut d'accord dans les deux ans, le dirigeant de la TPE puisse fixer lui-même - unilatéralement - la durée du travail de référence.
Vous accompagnez le développement de la négociation d'entreprise de propositions détonantes comme la suppression du principe général d'égalité de traitement. Pourquoi est-ce un impératif selon vous ?
Le principe d'égalité dégagé par la jurisprudence est aujourd'hui un obstacle aux transformations ou aux fusions d'entreprise, mais aussi à la fusion des branches professionnelles ou à la différenciation des rémunérations. Le code du travail énumère les domaines dans lesquels il faut respecter l'égalité (hommes/femmes par exemple) ; il faut s'en tenir là. Seule les discriminations doivent être empêchées et non des différenciations de traitement qui sont imposées aujourd'hui par les juges au nom du principe d'égalité général.
Il faut aussi - insistez-vous - cesser de mettre la négociation d'entreprise sous pression, notamment par la menace de pénalités financières que vous jugez contre-productives. Vous prônez plutôt le "name and shame" pour faire bouger les entreprises
En France, la loi étouffe le dialogue social même si cela part d'une bonne intention. Regardez ce qui se passe avec les accords sur l'emploi offensifs prévus dans le projet de loi Travail. Il faut un accord majoritaire - certes - mais aussi un préambule, un diagnostic partagé, l'impossibilité de baisses de rémunération,... On assiste à une infantilisation du dialogue social. Le législateur croit savoir ce qui est bien pour l'entreprise, mieux que les syndicats majoritaires. Paradoxalement, la loi est très prescriptive surtout dans les domaines les plus ouverts au dialogue social.
Il ne faut pas supprimer les obligations de négocier mais ne pas les lester de trop de détails. La pratique du "name and shame" sera beaucoup plus efficace ! De toutes façons, cela va se développer spontanément avec l'open data ; l'Etat doit faire en sorte qu'il n'y ait pas d'obstacles à son développement.
Vous militez non seulement pour un développement quantitatif de la négociation d'entreprise mais aussi qualitatif, en lui conférant de nouvelles prérogatives
Oui. L'accord d'entreprise doit pouvoir prévoir les cas de recours au CDD, mais aussi prévoir les causes de rupture du CDI. A défaut d'accord d'entreprise ou de branche, elles seraient directement prévues dans le contrat de travail. L'accord ou le contrat de travail devrait être homologué par l'administration sur le modèle de la rupture conventionnelle.
La nouvelle définition du motif économique, dans le cadre du projet de loi El Khomri, ne vous semble donc pas suffisamment sécurisée ?
La loi veut tout faire, tout détailler ! Plutôt qu'un inventaire à la Prévert, comme le prévoit le texte afin d'encadrer la jurisprudence - une bonne intention au départ - il faut plutôt laisser cela aux accords d'entreprise. Cela permettra de limiter les contentieux inutiles. Ils seront réduits, comme en matière de rupture conventionnelle, aux vices du consentement. Il faut éviter que le juge ne construise lui-même des motifs auxquels le législateur n'avait pas pensé et lutter contre la dérive qui fait que le juge fait le droit au lieu de l'interpréter.
Vous souhaitez d'ailleurs que les juges réalisent une étude d'impact lorsque leur décision risque de remettre en cause des dispositions conventionnelles ou procède à un revirement de jurisprudence ?
Il faut que les juges auditionnent les partenaires sociaux de la branche, de l'interprofessionnel, des administrations concernées. L'étude d'impact conduirait à une motivation plus fournie de l'arrêt lorsqu'il y a un revirement jurisprudentiel. Il faudrait aussi limiter la rétroactivité des décisions de justice, qu'elles ne produisent des effets que pour l'avenir, afin de laisser un délai aux branches et aux entreprises pour se réorganiser, comme elles ont du le faire après l'annulation par les juges d'accords de branche sur les forfait-jours.
(*) "Un autre droit du travail est possible. Libérer, organiser, protéger", de Bertrand Martinot et Franck Morel (Editions Fayard), réalisé en partenariat avec l'Institut Montaigne, publié le 11 mai 2016. Bertrand Martinot, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, a été aussi conseiller social de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2008. Franck Morel était précédemment directeur-adjoint au cabinet de Xavier Bertrand, alors ministre du travail.
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