"Être capable de suivre la trésorerie peut faire la différence auprès du banquier"

"Être capable de suivre la trésorerie peut faire la différence auprès du banquier"

10.04.2020

Gestion d'entreprise

Pour faire face à la crise actuelle, la trésorerie des entreprises et des cabinets comptables doit être surveillée comme le lait sur le feu. Stéphane Régnier, directeur de RCA Consulting, livre son analyse.

Quelle est la situation de trésorerie des entreprises et des cabinets comptables ?

Cette question est vaste. La situation a évolué très sensiblement depuis la fin de l’année 2019 laquelle était plutôt bonne malgré tout ce qui s’est passé ces dernières années avec les grèves ou le mouvement des gilets jaunes. Depuis une bonne dizaine d’années, la tendance était à la fois à un raccourcissement des délais clients et des délais fournisseurs plus ou moins imputable à la LME [loi de 2008 de modernisation de l’économie]. Les trésoreries n’étaient pas mauvaises et globalement on était sur des en-cours clients inférieurs à 60 jours dans la plupart des entreprises, mais c’est une moyenne, avec un délai client d’un peu plus de 40 jours et un délai fournisseurs d’un peu moins de 60 jours.

Cette situation à fin 2019 se répercutait sur le fait d’avoir environ 50 000 défaillances d’entreprises par an alors qu’on a connu un rythme proche de 60 000. En 2020, ça risque de remonter très fort. Depuis mars, toutes les entreprises, à l’exception de celles des secteurs dits vitaux tels que l’alimentaire ou le médical, ont été mises à l’arrêt ou presque. L’économie a pris un énorme coup de frein partout. Au bout d’un mois, ce n’est pas encore la catastrophe pour tout le monde mais dans deux ou trois mois, notamment au niveau des petits commerces ou des petits artisans peut-être aussi, ca va devenir très compliqué.

En termes de scoring d’entreprise, notion qui sert aux entreprises pour obtenir un meilleur taux d’emprunt, il y a à peu près 25 % qui sont notées en rouge, c’est à dire qu’elles ont une note Fiben inférieure à 5 +. Celles-là vont souffrir très vite, au printemps ou au début de l’été. Si «tout va bien», il y aura au moins 3 mois avec un chiffre d’affaires extrêmement bas ou nul. C’est le cas dans beaucoup de secteurs d’activité qui ne peuvent pas du tout travailler aujourd’hui. Ces entreprises vont bénéficier des dispositifs gouvernementaux tels que le report d’Urssaf. Cela va effectivement éviter qu’elles ne plongent trop fortement. Mais à un moment donné on va leur dire qu’il faut payer l’Urssaf, le loyer, etc. Et si en plus on les laisse s’endetter, il faudra aussi rembourser ça. Peut-être que pendant 3 à 6 mois il n’y aura pas une trop grosse hécatombe.

C’est peut-être au second semestre que l’on va commencer à voir les premiers effets pour pas mal de petites entreprises pas très solides. D’autant que ce n’est pas aussi facile que ça d’obtenir des choses tels qu’un prêt PGE [prêt garanti par l’Etat] ou le chômage partiel. Ca ne va pas toujours aussi vite que le gouvernement le voudrait.

Pour revenir au scoring, dans les 75 % d’entreprises qui ont une note d’au moins 5+, il y en a environ 30 % qui sont entre deux eaux. Elles naviguent entre le vert et le rouge car elles ont des faiblesses structurelles qui apparaissent quand on analyse leur bilan. Celles-là vont être impactées elles aussi par la problématique actuelle et risquent de se dégrader et de partir dans la catégorie rouge, c’est-à-dire inférieure à la cotation Fiben 5+. Et même avec une bonne ou une très bonne cotation, pour celles qui se trouvent dans les mauvais secteurs d’activité, par exemple dans le tourisme ou l’évènementiel, c’est dramatique car elles se retrouvent à 0 de chiffre d’affaires du jour au lendemain. Et elles ne savent pas à quel moment cela va repartir.

Les en-cours clients dans les cabinets comptables sont en général trop importants

Et pour toutes les entreprises de services qui sont dans le b to b, les délais clients sont souvent plus importants que la moyenne. Il est proche de 75 jours. Pour les avocats, c’est même 100-110 jours voire 120 jours. Pour les experts-comptables, cela avait diminué un petit peu il y a quelques années, avec un délai revenu vers 105 jours. Aujourd’hui, c’est en train de revenir à 115/120 jours.

Les en-cours clients dans les cabinets comptables sont en général trop importants. Les cabinets risquent d’en perdre une partie surtout que certains d’entre eux n’ont pas du tout de prélèvement automatique et n’ont donc pas la main sur le retour du cash. Si les entreprises commencent à bloquer tous les paiements, ce ne sont pas les cabinets qui seront payés les premiers. Les cabinets comptables ne sont pas vitaux en termes de fournitures pour faire travailler l’entreprise. Par contre, dans pas mal de cabinets, plutôt les moyens et gros, il y a souvent des stocks de trésorerie plus ou moins importants, je dirai plusieurs mois de masse salariale, qui leur permettent de tenir le coup au moins 3 à 6 mois. Mais ce n’est pas un an ou deux ans.

Dans les petits cabinets, la situation est plus contrastée. Dans nos nombreuses missions au contact de la facturation et de la trésorerie de ces cabinets, on se rend compte que c’est beaucoup plus tendu. Leur trésorerie n’est souvent pas très importante, souvent pas plus d’un mois de réserve. Cela veut dire que ceux-là ont déjà les mêmes soucis que les petits commerçants dont on parlait. Et ils ont des en-cours qui sont dehors et sur lesquels ils risquent de devoir passer des provisions le moment venu. Au niveau des cabinets, la problématique est triple. Premièrement, il y a des factures plus ou moins anciennes qui ne seront probablement jamais payées. Deuxièmement, les premières défaillances d’entreprise parmi les plus petites vont impacter directement les honoraires récurrents du cabinet. Troisièmement, avant l’été, voire tout de suite après, des entreprises, en tout cas pour celles qui seront encore là, demanderont des reports de délais. Cela rejoint quelque part l’avis du président d’Exco qui a déjà anticipé qu’il aura peut-être 50 % de sa trésorerie qui risque de se décaler, ce qui l’a amené à déjà prendre des mesures.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Quelle approche les entreprises, y compris les cabinets comptables, doivent-elles privilégier autour du sujet de la trésorerie ?

Dans un premier temps, les mesures d’urgence sont en train d’être prises par tout le monde. Les chefs d’entreprise ont très vite contacté leur expert-comptable, quand ils en on un, pour obtenir les reports, le chômage partiel, etc. et aussi pour voir s’ils pouvaient bénéficier d’un prêt PGE. L’autre catégorie d’action consiste à examiner ce que l’on peut couper comme petites charges, soit en suspendant l’abonnement à ces services-là soit en en suspendant leur paiement. Certains cabinets commencent même à avoir des retours de prélèvements impayés davantage que cela n’était le cas jusqu’à présent. Pour l’instant tout le monde est surtout sur les mesures d’urgence et les experts-comptables sont là-dessus avec leurs clients depuis le début du mois de mars. C’est la première étape. Ca va peut-être les amener encore jusqu’à mi-avril ou fin avril. La deuxième étape, et on a commencé à le voir, c’est la mise en place d’une prévision de trésorerie et de simulations pour voir en fonction de différentes hypothèses comment l’entreprise va sortir de cette période de crise. Cela ne sera pas pareil selon qu’elle dure 3 mois, 6 mois ou un an et selon sa prodondeur.

Justement, comment, dans ce contexte-là, faire un prévisionnel de trésorerie y compris avec plusieurs scénarios ?

C’est très compliqué. C’est ce qui fait que je dénonce souvent de le réaliser sous Excel. Il peut y avoir beaucoup de combinaisons différentes entre des hypothèses de chiffre d’affaires et soit d’économie de charges soit d’endettement via des prêts de type PGE. Cela ne se limite pas à trois hypothèses qui seraient la mauvaise, la moyenne et la bonne. On ne connait pas le contexte économique dans lequel on va revenir à 3 mois, 6 mois, un an, deux ans. Et sectoriellement parlant, qui va pouvoir se remettre à travailler tôt ? Personne ne le sait. Et chaque entreprise a ses propres contraintes. Les commerçants que je rencontre sont très inquiets car pour eux la saison d’été est très forte. Pour ceux qui sont dans le tourisme, ce serait une catastrophe si le confinement durait au-delà de l’été.

Une entreprise qui fait une prévision en espérant obtenir le PGE n’obtiendra au maximum que 25 % du chiffre d’affaires de la dernière année close. Elle ne sait pas si le banquier va accorder le prêt ni pour quel montant ni si elle pourra le rembourser au bout d’un an, ce qui semble très peu probable, ou sur 5 ans de plus. Quand on combine toutes ces possibilités-là, il vaut mieux avoir un outil que de le faire sous Excel.

Un prévisionnel est souvent très faux

Pour autant, il n’y a rien de pire que l’incertitude pour un chef d’entreprise. Et de ne pas avoir du tout de visibilité. Le fait de se dire j’ai 3 variantes de chiffre d’affaires et trois variantes sur les charges, cela fait donc 9 hypothèses. Où est-ce que ça m’amène ? Avec le temps qui va s’écouler, est-ce que je me situe plutôt dans telle ou telle hypothèse ? Un prévisionnel est souvent très faux. Les experts-comptables et les banquiers le savent. Mais en même temps c’est une façon de se situer dans l’espace et dans le temps afin, à un moment donné, de raccrocher les chiffres à telle ou telle hypothèse qui semble la plus crédible.

Quels sont les facteurs déterminants sur lesquels les banques vont s’appuyer pour accorder les prêts et pour déterminer leur montant ?

Les banques se sont engagées à octroyer largement le PGE. Et ce dans un délai de 5 jours à réception du dossier si possible simplifié. Ce n’est pas toujours le cas. Parfois elles envoient au minimum un tableau Excel pour y mettre quelques chiffres dedans. Et pour les experts-comptables qui ont des choses, ils essaient de donner une sorte de petit business plan ou un prévisionnel d’exploitation et de trésorerie. Pour ceux qui ont cette notation au-delà de 5 +, ça va le faire à peu près. C’est plus compliqué pour ceux qui sont en-dessous. Et pour les startups. Et pour les entreprises créées plus ou moins récemment et qui ne peuvent pas avoir une notation qui soit représentative de leur qualité à court ou moyen terme.

Très vite, le banquier va se faire une opinion avec quelques chiffres clés

On voit déjà des entreprises qui se voient refuser complètement un prêt même si elles peuvent s’adresser à d’autres banques et à la médiation du crédit. Bien que le banquier, en ce qui concerne les prêts aux TPE, n’ait que 10 % à assumer, la décision sera vite rendue si les chiffres en sa possession ne sont pas réalistes du tout par rapport au vécu antérieur de la société demandeuse, que les hypothèses émises par l’expert-comptable ne sont pas réalistes dans le contexte actuel et que la société bat déjà de l’aile. Et le banquier peut éventuellement récupérer des liasses fiscales. Et il dispose d’informations pour savoir si tel secteur est plus impacté qu’un autre et quel sera le rythme de redémarrage. Des secteurs ont des capacités de rebond plus ou moins importants. Mais certains ne récupéreront jamais les 3 mois perdus. Le banquier va se projeter avec toutes ces notions-là. Mais très vite, il va se faire une opinion avec quelques chiffres clés. Il ne va pas passer 4 heures à analyser les données des entreprises.

Être capable de suivre la trésorerie peut faire la différence auprès du banquier. Cela va au-delà de l’élaboration d’un document à un instant t, ce qui est un peu théorique. Le fait que la société puisse prouver avec l’aide ou non de son expert-comptable que la trésorerie soit suivie de façon dynamique et que peut-être qu’il y aura un peu de contrôle de gestion, c’est-à-dire qu’on va pouvoir contrôler que les comptes de classe 6 et de classe 7 sont à peu près suivis et qu’on les maîtrise, c’est un deuxième niveau de bétonnage de l’approche de trésorerie.

Il y a encore deux choses derrière. Il existe des techniques pour travailler autour de la contrainte de trésorerie. Cela consiste à dire qu’avec la trésorerie actuelle de l’entreprise et avec l’évolution de son chiffre d’affaires et de ses paiements, etc. on est capable de mesurer une durée de vie maximale de l’entreprise. Ce travail est basé sur des hypothèses mathématiques. En inversant ces hypothèses-là, et notamment la vitesse de retour du cash dans l’entreprise, on peut remettre une entreprise d’aplomb. Si je prends l’exemple d’une société qui se fait payer en 70 jours, en se faisant payer moins cher par ses clients et en leur demandant de la payer plus vite du coup, quasiment au comptant, le cash va rentrer plus vite même si cela coûte très cher en apparence. Et ce cash va être réinvesti pour raccourcir le cycle de production de l’entreprise, ce qui rétablit sa trésorerie.

On peut aussi faire une sorte de pilotage stratégique à base d’analyse financière. L’idée est de scorer l’entreprise et de voir comment améliorer sa notation bancaire. Un exemple : le simple fait dans certains cas de changer la date de clôture des comptes et de mieux la caler sur ses cycles de production, sur ces cycles saisonniers peut augmenter la notation. Car la notation Fiben peut être moins bonne pour l’entreprise qui se retrouve avec de gros en-cours.

Propos recueiilis par Ludovic Arbelet
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