"Face à la crise, la priorité est de favoriser les amortisseurs sociaux pour relancer la croissance"

"Face à la crise, la priorité est de favoriser les amortisseurs sociaux pour relancer la croissance"

11.06.2020

Gestion du personnel

Michel Ghetti, président-directeur général de France Ingénierie Emploi (FIE), revient sur les différents leviers des entreprises pour contrer la crise économique. S’il juge le nouveau régime d’activité partielle longue durée proposé dans le projet de loi Covid-19 prometteur, il reste circonspect quant à l’essor des accords de performance collective ; ce dispositif ne prévoyant aucun contrepartie légale en termes de maintien dans l’emploi.

Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a prévenu mardi 9 mai sur RTL que des "centaines de milliers" de personnes allaient perdre leur emploi dans les mois à venir en France. Vos observations de terrain confirment-elles ce scénario noir ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Les prévisions de Bruno Le Maire semblent, en effet, tout à fait réalistes. La crise est inédite. Elle pourrait même être plus catastrophique que celle de 2008. Avec, à la clef, une nette dégradation du marché du travail. Le tourisme, l’hôtellerie-restauration, à l’arrêt pendant la période de confinement, vont connaître une reprise d’activité très lente voire incertaine. Mais au-delà de l’aspect conjoncturel, la pandémie a révélé une crise plus structurelle. De nombreux projets de restructurations, à l’instar de celui de Renault ou encore du secteur de l’aéronautique, étaient déjà dans les cartons avant la pandémie. Mis en sommeil pendant la crise,  ils sont aujourd’hui réactivés dans une optique de sauvegarde de la compétitivité plutôt que d'une simple sortie de crise.

Le projet de loi Covid-19, adopté définitivement hier, prévoit un nouveau régime d’activité partielle longue durée pour les secteurs les plus touchés. Il doit permettre une réduction du temps de travail compensée en partie par l’Etat. Certains économistes préconisent une prise en charge des salaires de l’ordre de 30 %. Qu’en pensez-vous ?

 En subventionnant les salaires, l’Etat maintient le pouvoir d’achat des salariés, indispensable à la relance de l’économie

C’est un outil très intéressant. Les entreprises pourraient bénéficier d'une indemnisation au titre de la réduction de l'horaire de travail en échange d'un engagement de maintien de l'emploi matérialisé dans un accord collectif. L’activité partielle, massivement demandée par les entreprises, joue, de fait, son rôle d'amortisseur social. En aidant les entreprises à faire de la rétention de la main-d’oeuvre, on leur permet de conserver leurs compétences, leur expertise. Elles pourront donc repartir plus facilement quand la crise sera terminée.

Surtout en subventionnant les salaires- dans ce scénario, l’entreprise ne verserait plus que 70 % de la fiche de paie. L’Etat maintient le pouvoir d’achat des salariés, indispensable à la relance de l’économie. C’est une très bonne moyenne.

La reprise de l'activité va-t-elle passer par des accords de performance collective ?

Des accords plus anciens signés chez Bosch, Michelin, Continental, n’ont pas empêché les fermetures d’usine, malgré les efforts consentis 

La tentation sera forte pour de nombreuses entreprises de négocier ce type d’accord pour s’adapter à la crise. Les directions redécouvrent ce dispositif baptisé hier accords de compétitivité ou de maintien dans l’emploi, et réajusté en 2017 par les ordonnances Travail. Reste que les syndicats se méfient de ce dispositif et des promesses non tenues. Des accords plus anciens signés chez Bosch, Michelin, Continental, n’ont pas empêché les fermetures d’usine, malgré les efforts consentis. Je ne suis pas un adepte de ce dispositif qui n’engage d’aucune façon l’employeur en termes de maintien d’emploi, hormis des clauses de revoyure.

Seuls quelques accords prévoient des contreparties, à l’instar du quotidien L’Equipe qui promet ne procéder à aucun licenciement économique pour la période 2020-2024. Mais il ne s’agit pas là d’une obligation légale.

De plus, les marges de négociation des partenaires sociaux sont très faibles. Or, tout dépend du niveau de salaire. Ce n’est pas la même chose de négocier une baisse de salaire de 10 % sur un revenu de 1 600 euros que sur celui de 5 000 euros. D’autant que l’activité partielle mise en place pendant la période de confinement a d’ores et déjà fait chuter les revenus.

Les PSE risquent-ils de revenir en force dans le paysage social ?

Il faut davantage impliquer l’entreprise dans son obligation de revitalisation 

Les grandes entreprises préparent d’ores et déjà des PSE, entraînant dans leur sillage leurs sous-traitants. Autrement dit, en générant un effet domino dramatique sur l’emploi. Il est donc impératif d’être plus attentif que nous l’étions jusqu’ici sur l’impact de ces restructurations. D’une part, en prenant en compte les conséquences directes sur l’emploi dans un bassin d’emploi ou une zone géographique. D’autre part, en examinant en détail les mesures d’accompagnement proposées : on ne peut pas promettre deux offres raisonnables d’emploi dans un bassin exsangue.

Enfin, il faut davantage impliquer l’entreprise dans son obligation de revitalisation ; beaucoup se contentent de payer la taxe. Or, ce dispositif les exonère de toutes responsabilités en transférant l’argent privé vers le public. L’expérience montre pourtant que chaque fois que l’entreprise s’implique, les résultats sont meilleurs.

Pourquoi ?

L’administration vise davantage les actions structurantes qui permettent de consolider un tissu industriel. Il peut s’agir, par exemple, de conforter la recherche, dans une filière déterminée, en lien avec les activités du bassin d’emploi. Ou de mettre en place des plans d’actions endogènes qui visent à détecter des emplois dormants dans une petite entreprise du bassin d’emploi concerné. Les agences de développement public financent beaucoup ce type de projets. Mais cela crée plus d’effets d’aubaine que d’emplois.

Les entreprises privilégient davantage les plans exogènes, visant l’implantation d’entreprises extérieures via des partenariats tissés avec des entreprises d’autres régions ou d’autres pays. Cette approche n’est pas à négliger.

Il faut donc réexaminer la conduite des plans sociaux en axant davantage sur la création d’emplois de compensation via la réindustrialisation ou la revitalisation.

Qu’attendez-vous de la concertation sur l’emploi qui a démarré mardi au ministère du travail entre Muriel Pénicaud et les partenaires sociaux ?

 Il faut redonner toute la place aux partenaires sociaux pour négocier des accords, prioritairement de branche

L’enjeu est aujourd’hui de favoriser les amortisseurs sociaux pour relancer la croissance. Pour ce faire, il faut redonner toute la place aux partenaires sociaux pour négocier des accords, prioritairement de branche ; les accords d’entreprise mettant davantage les salariés dans une position de faiblesse, un peu comme s’ils avaient un couteau sous la gorge… Surtout, il faut relancer des programmes de relocalisation de la production et des moyens de R&D, initiés en 2009 par Christian Etrosi, alors ministre de l’industrie, puis abandonnés ensuite. Ces relocalisations constituent, selon différentes études, de réelles opportunités pour les entreprises, non seulement parce qu’elle génère une réduction des coûts logistiques, mais aussi par qu’elle représente un gain en termes de qualité de produits et un atout en termes d’image et de notoriété.

Anne Bariet
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