Michel Barabel, directeur de l’Executive Master RH de Sciences Po Paris, insiste sur la nécessité de créer des parcours multimodaux de formation. Objectifs visés ? Personnaliser les continus, rendre les formations plus attractives, faire face aux contraintes budgétaires et surtout adapter en permanence les individus aux métiers.
A l’heure où la gestion de l’investissement dans les compétences est plus que jamais à l’ordre du jour pour faire face à la crise économique, quelles sont les stratégies mises en place par les entreprises ? Quelles sont les pistes à explorer ?

La crise sanitaire a arrêté en quelques heures ce qui représentait jusqu’à présent la principale modalité de formation des salariés : la formation présentielle. Si dans de nombreuses entreprises, la digitalisation de dispositifs de développement des compétences étaient engagées, le Covid-19 a réalisé en trois mois ce qui aurait pu prendre encore plusieurs années à se déployer en temps normal. Les entreprises ont mis en place des formations en urgence pour développer de nouvelles compétences indispensables pour travailler pendant le confinement : savoir travailler à distance, gérer sa vie professionnelle/personnelle, manager à distance, se servir des outils Teams, Zoom…
Cette agilité restera. A l’avenir, il faudra savoir construire et diffuser plus rapidement les dispositifs de développement des compétences.
Par ailleurs, il semble acquis que la nouvelle norme pédagogique sera le blended learning (hybridation des dispositifs présentiels et distantiels). D’une part, parce que les contraintes de coûts poussent à ce format (réduction des budgets formation suite à la crise). D’autre part, parce que l’apprentissage ne peut plus être séquentiel et ne concerner que certains collaborateurs. Face à un environnement chaotique et à la diminution de la durée de vie des compétences, notamment techniques, les entreprises doivent aujourd’hui créer les conditions d’une formation "en continu" pour permettre à tous les collaborateurs d’acquérir les compétences nécessaires à l’exercice de leur métier avec un niveau de performance adéquate mais aussi pour assurer l’adaptation permanente des individus aux métiers, dans une logique de re-skilling/up-skilling, en lien avec les enquêtes prospectives telles celles réalisées par les observatoires des branches professionnelles.
L’entreprise apprenante, inventée dans les années 90 notamment par Peter Senge, n’est plus qu’un concept séduisant. Il doit devenir une réalité pour permettre aux organisations d’affronter un environnement VUCA (volatile, incertain, complexe et ambigu) et de naviguer dans un contexte d’hypercompétition.
Quelles sont les innovations en matière de pédagogie ? Concrètement, comment construire un parcours multimodal ?

Les entreprises ne doivent pas s’y tromper. Un cours sur un outil de visioconférence tel Zoom est le niveau 0 de la formation digitale. Nous devons repenser les modes d’apprentissage. Il ne s’agit pas de substituer un dispositif en présentiel par un dispositif distantiel mais d’exposer un individu à une diversité de dispositifs de formation afin de le faire progresser et d’ancrer ses apprentissage. Or, dans ce domaine, le champ des possibles est infini.
L’action de formation se décline aujourd’hui en de multiples facettes, formation formelle, informelle, digitale, coaching, échanges avec des pairs. D’où la nécessité de construire des parcours multimodaux. Ils peuvent inclure du coaching à distance, du tutorat, des actions de formation en situation de travail (Afest), des ateliers de co-développement, des challenges d’innovation (hackaton), du micro-learning (capsule d’apprentissage de deux à trois minutes en moyenne interactives). Ils peuvent également intégrer des chat sessions, des chatbots, des quiz, des communautés apprenantes… De même la réalité virtuelle permet de créer une situation immersive : faire face à un incendie et adopter les bons gestes, par exemple. Tout peut contribuer au développement des compétences.
Cette diversité doit signer la fin des dispositifs standards pour une population donnée, sans adaptation possible et ouvrir la voie à une plus grande individualisation des parcours. A charge pour les responsables formation de s’atteler à l’acquisition d’une expertise en matière d’ingénierie pédagogique multimodale. Un responsable formation sera légitime et reconnu s’il est capable, face à un objectif pédagogique donné, de combiner une diversité de formats appropriés à la problématique soulevée.
Que peut apporter l’intelligence artificielle dans la formation professionnelle ?
Il ne faut pas être technophobe (rejet de toute innovation technologique) ou technophile (rêver d’une panacée universelle). Il faut mobiliser les technologies à bon escient. L’IA, à condition d’avoir des datas en quantité et en qualité, peut améliorer l’expérience apprenante. L’intelligence artificielle, par exemple, peut, grâce à des tests adaptatifs positionner le niveau d’un apprenant en entrée de programme et personnaliser son parcours.

La personne est-elle en train de décrocher ? Prend-elle du plaisir ? Passe-t-elle 8 heures ou 20 heures sur les exercices donnés ? Selon les résultats obtenus, on peut proposer un programme ad hoc, activer des coachs virtuels ou des chatbots pour encourager l’apprenant, insérer des recommandations de pairs confrontés à la même difficulté ou encore proposer certaines ressources pédagogiques complémentaires.
Les organismes de formation ont-ils pris la mesure du problème ? Vont-ils proposer de nouveaux contenus ? Le plan de relance prévoit 30 millions d’euros pour moderniser le secteur et aider la profession à digitaliser son offre de formation.

Les organismes de formation se sont pris pour la plupart un grand coup de massue, avec l’arrêt des formations pendant le confinement, la nécessité de digitaliser leurs contenus, la réforme de la certification, au 1er janvier 2022, la redéfinition de l’action de formation… A ce titre, l’aide octroyée par le Plan de relance est un coup de pouce évident - 5 % de l’aide globale - mais tout le monde ne s’en saisira pas.
Leur priorité est aujourd’hui de marketer leur catalogue de formation pour capter les financements proposés par le FNE. Il s’agit ici d’une opportunité financière évidente qui peut donner une vraie bouffée d’oxygène par rapport à leur trésorerie malmenée. Depuis le 1er novembre 2020, en effet, l'État prend en charge, via le FNE-Formation, 70 % des coûts pédagogiques des formations des salariés en activité partielle et 80 % pour les salariés en activité partielle de longue durée, avec un plafond moyen de 6 000 euros par salarié et par an. Ce financement est accessible par une convention signée entre l’entreprise et la Direccte ou après accord de prise en charge par un Opco. Une manne bienvenue.
Dans ce contexte, quel sera le nouveau rôle des responsables formation ?
En quelques mots, ce dernier s’apparente à un homme-orchestre. Le responsable formation doit adopter une posture d’expert en ingénierie pédagogique plutôt qu’en ingénierie financière. Ce qui signifie qu’il doit consacrer plus de temps au management des actions de formation. Il doit aussi être le conseiller d’orientation professionnelle (conseil individuel) de chaque collaborateur, le chef de projet formation (construire et réaliser le plan de développement des compétences ; articuler les différents dispositifs de formation : VAE, CPF, Pro-A …). Il joue en soutien des managers et des besoins du business. Il doit également co-construire les parcours avec les salariés, en lien avec les besoins stratégiques de l’entreprise. D’où la nécessité d’avoir une bonne connaissance des métiers, de l’environnement concurrentiel, du business.

Les compétences en marketing et en communication sont également indispensables : c’est à lui d’animer les communautés apprenantes, de rendre les formations visibles et attractives pour les collaborateurs, d’engager les dirigeants et d’en faire des sponsors…. La liste est inépuisable. Demain, d’ailleurs, nous ne parlerons peut-être plus de responsable formation. Car le terme est associé à ce temps où la formation se faisait "quelque part", à un moment donné par l’intermédiaire d’un formateur. Or, aujourd’hui, elle se peut se dérouler n’importe quand, n’importe où et sur n’importe quel support. On parlera sans doute alors du responsable de l’apprentissage permanent ou du responsable de "l’apprenance".
"Le Grand livre de la formation" |
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Michel Barabel est l’un des coordinateurs (1) de la troisième édition du "Grand livre de la formation", édité chez Dunod, en octobre 2020. Ouvrage collectif, il intègre cette année la loi Avenir professionnel de 2018 et propose cinq nouveaux chapitres dont les dernières évolutions en matière de formation professionnelle (intelligence artificielle, réalité virtuelle, multi-modalité, blended learning…).. Un guide incontournable pour tous les acteurs de la formation professionnelle. (1) Avec Olivier Meier (professeur des universités et directeur de recherche du Laboratoire interdisciplinaire d'études du politique Hannah Arendt de l’université Paris Est) ; André Perret (vice-président du groupe Dever) et Thierry Teboul, directeur général de l’Afdas |
(1) Michel Barabel est également co-directeur du Master 2 "GRH dans les multinationales" à l’IAE Eiffel (Université Paris Est Créteil)
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
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