Spécialistes de la communication d'entreprise, Jean-Marie Charpentier et Jacques Viers ont publié à l'automne dernier un ouvrage sur la communication en entreprise. Ils déplorent que les entreprises oublient souvent de parler du travail et donnent peu de latitude aux managers de proximité pour communiquer efficacement avec leurs équipes. Entretien croisé.
A l'automne dernier, Jean-Marie Charpentier, docteur en sciences de l'information et consultant dans la communication et les RH, et Jacques Viers, docteur en droit et diplômé de sociologie de l'entreprise et stratégie de changement, consultant-formateur en communication, ont publié un ouvrage sur la communication en entreprise (*). Les deux auteurs rappellent à quel point, la communication est un rouage essentiel dans le fonctionnement de l'entreprise et - que sans ce liant - la mécanique peut se gripper. A une communication parcellaire, timorée et descendante, les auteurs - en s'appuyant sur les apports des sciences sociales - proposent plutôt aux directions d'entreprise de mettre en place une parole vivante que chacun peut s'approprier.
"Il existe une conception dominante de la communication en entreprise : la cascade, explique Jean-Marie Charpentier. Les directions fournissent des kits de communication que les managers de proximité sont chargés de relayer sur le terrain et de leur donner du sens ; cela sans réelle possibilité d'appropriation et marges de manoeuvre. Or, en matière de communication, il faut toujours qu'il y ait une appropriation tant pour les managers que pour les salariés. Et ce d'autant, que le salarié a principalement confiance en ses collègues et en son manager, moins dans la direction et les syndicats. Laisser s'épanouir un espace de communication en proximité est fondamental pour les salariés, mais aussi pour les entreprises dans un contexte de manque de confiance".
"Il ne faut pas non plus oublier que l'autorité sur le terrain ne vient pas du haut mais du bas, ce qui donne toute sa légitimité aux managers, complète-t-il. Il faut appliquer le principe de subsidiarité : tout ce qui peut être réglé au plus bas niveau doit l'être". Les auteurs font ici référence aux travaux du chercheur Mathieu Detchessahar.
Encore faut-il que les managers de proximité disposent du temps nécessaire pour exercer cette fonction de communication avec leurs équipes. "Il faut libérer le manager des tâches administratives et des machines de gestion. Il est dans son cockpit dès le 15 du mois, déplore Jacques Viers. Le manager doit pouvoir retourner au coeur du travail. Aujourd'hui, les managers de proximité ne sont pas jugés sur le management du travail".
Renouer avec la réalité du terrain
Le coeur du travail est délaissé. A force de se couper du terrain, les dirigeants comme les communicants ne connaissent plus la réalité du travail constate Jacques Viers. Pourtant, il existe des solutions pour renouer le fil entre le discours stratégique et la réalité du terrain. Jean-Marie Charpentier cite ainsi le cas d'ERDF [aujourd'hui Enedis] qui - après une période de changement et de fortes turbulences sociales dans les années 2010 - "a retravaillé la cellule de base" : les managers de proximité et les salariés. "Afin de remettre les managers de proximité en prise avec les enjeux stratégiques, la présidente d'ERDF a par exemple sollicité certains d'entre eux à participer à des rencontres réservées jusque-là à l'encadrement. Cela a permis à ces managers de proximité non seulement d'accéder à des lieux de décision, mais surtout de mieux saisir les défis qu'affrontait l'entreprise".
D'autres entreprises ont bien compris l'importance de la parole en proximité. "L'on voit se développer différentes expériences plus ou moins durables et pérennes, comme chez Michelin et chez Renault", souligne Jean-Marie Charpentier. "Ces entreprises ont eu besoin de remettre de l'échange dans le travail. Michelin par exemple a constaté les limites du lean management et a remis en place des temps d'échange dans une dizaine d'usines".
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Les entreprises, surtout, ne doivent pas craindre le débat. C'est là un point très intéressant développé dans cet ouvrage. "Il faut organiser la dispute, insiste Jacques Viers, en mentionnant les recherches de l'ergonome François Hubault. L'origine des risques psychosociaux provient du manque de conflictualité au travail, sur les problématiques du travail. il est nécessaire qu'il y ait un débat sur ce qu'on met derrière son activité ; il faut que ce soit le travail qui parle et organiser le dialogue sur les critères et les conflits éthiques. Ce sont des enjeux de communication qui croisent les enjeux de management".
En filigrane, ce sont des enjeux de productivité qui se profilent. "Le travail, c'est de plus en plus communiquer. Si la communication sur l'activité est bloquée, c'est la productivité qui en pâtit. Il faut pouvoir parler de la qualité du travail et non seulement de la qualité de vie au travail". Cette communication est un outil d'adaptation dans un monde du travail sans cesse en évolution, comme le fait remarquer Jean-Marie Charpentier. "On fait face aujourd'hui à une transformation permanente des entreprises ; les modes managériales évoluent très vite".
D'autres entreprises ont tout simplement fait le choix de se débarrasser ou de réduire la hiérarchie intermédiaire, de laisser une totale autonomie aux salariés. C'est le cas des entreprises libérées. Cette organisation rend-elle pour autant la communication plus fluide ? "Dans les entreprises libérées, il y a le grand patron, le gourou, et les opérateurs. Il n'y a plus de place pour les managers de proximité, critique Jean-Marie Charpentier. Le dirigeant charismatique devient le seul référent".
Pour lui, il s'agit tout simplement - là encore - de la "disparition des corps intermédiaires". Ni plus, ni moins.
(*) "Communiquer en entreprise. Retrouver du sens grâce à la sociologie, la psychologie, l'histoire", Editions Vuibert.
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