Qu’est-ce que l’évaluation de la performance individuelle ? Quels sont les concepts qui en rendent compte ? Patrick Gilbert, professeur en sciences de gestion à l’IAE de Paris, analyse, à travers un ouvrage, "L’évaluation de la performance individuelle"*, les différentes théories de l’évaluation pour permettre aux DRH de construire des pratiques en phase avec leur organisation.
Il n’y a pas de "mesure idéale" de la performance. Un dispositif d’évaluation doit être pertinent par rapport à la stratégie de l’entreprise mais aussi par rapport à la structure de l’organisation, l’environnement, le marché, la situation économique. Elle doit également être en cohérence avec les pratiques de GRH. En clair, il n’y a pas de solutions toutes faites. Il faut avant tout définir des finalités.

Dans la plupart des entreprises, l’évaluation de la performance se résume le plus souvent à l’entretien d’évaluation voire, plus laconique, à l’entretien annuel. Or, sous ce nom se cachent des pratiques très différentes. Il peut s’agir d’un entretien visant à définir des objectifs de travail, à préparer l’évolution professionnelle du salarié, sans renvoyer explicitement à l’idée de contrôle que contient l’évaluation, ou encore à appuyer le choix d’une augmentation individuelle (l’entretien est alors utilisé comme un "bon à payer"). Il peut également s’exercer comme un rituel, sans sens particulier. D’où des résultats plus ou moins décevants. Ce sujet fait partie avec les thèmes liés à la reconnaissance du travail des plaintes les plus aiguës et les plus nombreuses qui s’expriment dans le monde du travail.
Le DRH doit avant tout identifier l’objectif à atteindre : sur quoi doit porter l’évaluation. Il pourra ensuite décliner le type de méthode (comment faire), la périodicité (à quel moment évaluer) et les évaluateurs (qui participe à l’évaluation) ?
La question "comment évaluer" est secondaire par rapport à celle de l’objectif. Une fois les réponses apportées à cette question, le choix des modalités de mesure de la performance paraîtra beaucoup plus simple.

Ensuite, la mesure de la performance doit être différenciée par rapport aux populations cibles. Elle doit trouver des modalités différentes en fonction des spécificités des métiers. Autrement dit par fonction. On ne peut pas - on ne devrait pas- évaluer les experts techniques de la même manière que les managers ou les ouvriers.
L’entretien tel qu’il se pratique aujourd'hui’hui est trop standardisé. C’est pourquoi, il ne marche pas. Par exemple, une évaluation objectifs/résultats pour les commerciaux vendant des produits de grande diffusion sur un marché très concurrentiel est pertinente. En revanche, elle ne l’est pas pour le personnel administratif ou les équipes R&D. De même, l’évaluation peut dans certains cas intégrer les parties prenantes. Chez Favi, par exemple, le contremaître est évalué par le commercial qui représente le point de vue du client. On ne peut pas nier les interactions interne et externe. Or, l’entretien individuel a trop tendance à être étroitement focalisé sur l’individu, comme si aucune interaction n’existait entre salariés ou parties prenantes.
Ils sont au nombre de trois. Le premier courant regroupe les théories normatives qui aspirent à la neutralité techniques des outils d’évaluation. L’évaluation est considérée ici comme une science positive, marquée par la recherche de données valides et pertinentes. Au sein de ce courant, l’approche gestionnaire relie l’évaluation à la quête d’efficacité (évaluer est ici une nécessité pour éclairer les décisions de gestion) et l’approche de la psychologie différentielle, qui croit à une évaluation neutre et impartiale, cherche à fonder les pratiques sur des bases les plus scientifiques possibles. Le deuxième courant rassemble les théories critiques qui contestent très directement les présupposés des théories normatives. Inspirées des théories marxistes et de la psychanalyse, elles voient l’évaluation comme un facteur de domination, visant à assujettir les individus à des règles, à les plier à une discipline morale. Elles s’interrogent sur les intérêts que servent les outils d'évaluation, les formes de domination qu’ils exercent. Elles prennent à défaut la revendication d’objectivité des théories normatives en dévoilant la dimension idéologique qui les sous-tend en relevant les simulacres de contrôle et en pointant certaines dérives.
Plus émergentes, les approches institutionnalistes ne poursuivent ni intention normative ni dessein critique. Elles considèrent l’évaluation comme une construction collective (sociale et sociétale). Pour elles, les pratiques d’évaluation n’obéissent à aucune norme générale ou universelle et doivent être appréhendées par rapport à un contexte (institutions, culture) dans lequel elles sont mises en œuvre.
Chacune des théories comporte une part de vérité. La première contribution de l’étude des théories scientifiques, c’est de permettre une prise de recul par rapport à des pratiques qui peuvent paraître naturelles, mais il s'agit de constructions intellectuelles. Il faut bien voir que derrière toute pratique il y a une théorie qui s’ignore. Et cette théorie peut être fausse.

Par exemple, réduire l’évaluation de la performance individuelle à l’évaluation du hiérarchique direct, c’est postuler à une théorie selon laquelle il est le mieux placé (le mieux informé, le plus capable de produire une information utile aux décisions de gestion). Hélas, c’est loin d’être toujours le cas ! Si l'on s’interroge sur l’évolution de carrière d’un salarié, ce N+1 n’a pas forcément la vision d’ensemble de l’entreprise. De même, dans une organisation matricielle, il ne peut pas rendre compte du travail d’un collaborateur ; le regard du chef de projet devenant plus pertinent…
*Co écrit avec Jocelyne Yalenios, maître de conférences en sciences de gestion à l’EM Strasbourg.
Mini-CV |
---|
Patrick Gilbert, docteur en sciences de gestion, habilité à diriger des recherches en gestion (Université Paris Dauphine) et en psychologie (Université Lille 3), est professeur des universités à l’IAE de Paris (Sorbonne Business School), après avoir occupé des fonctions de RH dans des entreprises. (responsable de la gestion des cadres chez Précision Mécanique Labinal et resonsable du développement des ressources humaines du groupe Matra). Il a également été directeur d’études au sein de l’Association Entreprise & Personnel. Il est aussi membre des bureaux de l’Association francophone de gestion des ressources humaines et de l’Association internationale de psychologie du travail de langue française. Ses recherches portent plus particulièrement sur l’instrumentation de gestion, ses modes de construction et ses effets sur les conduites et sur la performance organisationnelle. |
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.