"L'intelligence artificielle, une chance historique de désautomatisation du travail humain"

"L'intelligence artificielle, une chance historique de désautomatisation du travail humain"

29.03.2018

Gestion du personnel

Le rapport du député Cédric Villani sur l'intelligence artificielle anticipe les impacts de l'intelligence artificielle sur les métiers. Cette technologie permettrait de recentrer le travail sur les compétences humaines, mais elle pourrait aussi être source de risques professionnels. Le rapport de France Stratégie, rendu le même jour, prévoit les évolutions à venir dans les secteurs du transport et de la banque.

"Le développement de l'intelligence artificielle ne constitue pas à proprement parler une quatrième révolution industrielle. Il apparaît néanmoins de plus en plus certain qu'elle va modifier la majorité des métiers et des organisations". Cédric Villani, mathématicien et député (LREM) de l’Essonne rend public le 28 mars 2018 son rapport sur le développement de l’intelligence artificielle (IA) en France. Sa mission s’articule avec celle confiée par le gouvernement à France Stratégie, qui cible plus particulièrement les liens entre IA et transformations du marché du travail. Ce second rapport sera remis le 29 mars à la ministre du travail.

L’IA aura-t-elle des impacts brutaux et importants sur l'emploi ? Ou au contraire, s'inscrit-elle dans la continuité des transformations technologiques que l'on connaît déjà ? France Stratégie apporte des pistes de réponse à travers l'analyse de différents secteurs professionnels.

Convois de camions sans chauffeur

Dans le secteur des transports, l'innovation majeure apportée par l'IA sera le véhicule autonome, explique le rapport de France Stratégie. Actuellement, la technologie portée par certains constructeurs se limite à automatiser certains aspects de la conduite, comme le changement de ligne automatique sur autoroute. Des véhicules en autonomie totale dans des contextes précis (conduite sur autoroute, stationnement dans un parking) pourraient être commercialisés à l'horizon 2025, prédit le rapport. Cette technologie permettrait d'organiser une conduite automatisée en convois de camions sur les autoroutes. L'impact sur l'emploi des chauffeurs routiers semble irrémédiable. Ces derniers verraient leur nombre diminuer, leur présence n'étant nécessaire qu'en tête de peloton. Des postes de chauffeurs locaux seraient sollicités (notamment pour conduire les camions jusqu'à l'autoroute), au détriment des chauffeurs de longue distance. Des formations seraient en outre nécessaires pour apprendre aux salariés à gérer de nouveaux types de pannes liées à l'intelligence artificielle.

Changement de décor : pour le secteur de la banque aussi, les conséquences devraient être importantes. Les masses de données traitées par les entreprises sont "propices au développement de l'IA", note le rapport. Les demandes simples des clients seront bientôt gérées par le biais de chatbots (assistants en ligne) programmés pour trier et répondre aux requêtes les plus fréquentes. En conséquence, les tâches restant à traiter par les conseillers bancaires seront plus complexes et nécessiteront un degré de formation plus poussé.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Désautomatiser le travail humain

Il existe toutefois peu de certitudes quand à la diffusion de l'IA dans les secteurs professionnels et la vitesse de transition de cette technologie, constatent les deux rapports. La solution, selon le rapport Villani : faire fi de ces incertitudes et "prendre le problème à bras le corps sans céder à la panique". Le premier pas est d'admettre qu'un grand nombre de tâches vont être automatisables. Les emplois les plus exposés à l'automatisation de certaines de leurs tâches seront "les métiers manuels et peu qualifiés" : agents d'entretien, caissiers, cuisiniers, mais aussi ouvriers non qualifiés de l'industrie, de la manutention, du second oeuvre du bâtiment, de la mécanique... Le rapport appelle les entreprises à la mesure dans leurs prises de décision. "Il n'est pas forcément plus avantageux d'automatiser une tâche". Le coût global de l'automatisation est-il trop important au regard des avantages qu'elle produirait ? L'automatisation est-elle socialement acceptable ? Autant de questions qui entreront en ligne de compte dans les choix que devront prendre les entreprises.

Dans certains cas, l'automatisation des tâches et des métiers est une aubaine, "une chance historique de désautomatisation du travail humain", fait remarquer le rapport. L'intelligence artificielle permettrait de recentrer le travail des individus sur leurs capacités proprement humaines : créativité, dextérité, réflexion, résolution de problèmes etc. La complémentarité avec la machine est toutefois un facteur de danger à ne pas négliger. L'automatisation pourrait ainsi conduire certains salariés (le rapport prend pour exemple ceux exerçant dans les entrepôts de logistique de la grande distribution) à obéir uniquement aux ordres d'une machine, ce qui peut devenir un vecteur de souffrance au travail.

IA et dialogue social

Anticiper les conséquences de l'IA sur le travail, c'est s'interroger sur les risques professionnels qu'elle est susceptible d'engendrer. La législation encadrant les conditions de travail omet aujourd'hui (à de rares exceptions telles que le droit à la déconnexion) de prendre en compte le développement des technologies, regrette le rapport Villani. La loi en la matière est  "principalement adaptée aux modes de travail de l’ère industrielle", en témoigne le dispositif du compte pénibilité, "construit exclusivement autour de la pénibilité industrielle". Les risques spécifiques nouveaux liés aux nouvelles technologies ne sont pas pris en compte, et l’encadrement des conditions de travail est souvent, selon le rapport, "trop rigide, voire inadapté aux nouvelles modalités du travail (mobilité, flexibilité…)". Face à ces constats, le rapport pointe la nécessité d’ouvrir un nouveau chantier législatif afin de redéfinir l’encadrement des conditions de travail.

Le rapport Villani préconise également de miser sur la dialogue social pour mieux anticiper les conséquences sur les métiers de l'arrivée de l'IA. Pour cela, il envisage l’intégration d’un nouveau thème dans les négociations annuelles obligatoires : la transformation numérique de l��entreprise. Les partenaires sociaux devraient ainsi réfléchir ensemble aux moyens d’adapter les compétences à l’introduction de nouvelles technologies ainsi que sur la complémentarité humain-machine. Ces négociations pourraient également se tenir au niveau des branches ainsi qu’au niveau national.

Laurie Mahé Desportes
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