"La France doit se doter d’une justice capable de se hisser au niveau des standards internationaux", estime G. Canivet

"La France doit se doter d’une justice capable de se hisser au niveau des standards internationaux", estime G. Canivet

01.06.2017

Gestion d'entreprise

En 41 préconisations, le HCJP, présidé par Guy Canivet, dresse les contours de chambres spécialisées dans le contentieux international des affaires. Après les avoir dotées de capacités pour juger en anglais et selon la "common law", deux juridictions parisiennes pourraient rapidement attirer les plaideurs désertant Londres. Un projet que le premier président honoraire de la Cour de cassation espère voir aboutir.

Au mois de mars, Jean-Jacques Urvoas a saisi le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP). La Chancellerie demandait ses préconisations sur « la mise en place rapide (...) de formations de jugement aptes à connaître de contentieux techniques, à appliquer des règles de droit étranger et à conduire les procédures dans des conditions, notamment linguistiques, les plus efficaces ». Juste avant le départ du garde des Sceaux, le rapport lui a été remis par Guy Canivet (voir le communiqué). L'ancien membre du Conseil constitutionnel nous explique comment, en quelques mois, la cour d'appel et le tribunal de commerce de Paris pourraient recueillir toutes les qualités requises. 

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Pourquoi la France doit-elle se doter de chambres spécialisées pour le traitement du contentieux international des affaires ?

Avec le Brexit, la coopération judiciaire entre les juridictions du Royaume-Uni et du reste de l’Europe va être bouleversée. Au sein de l’UE, le règlement Bruxelles I Bis prévoit qu’une décision rendue par le juge d’un État membre est automatiquement reconnue et exécutable dans tous les autres États, sans aucune formalité, pratiquement dans la minute. L’automaticité et la rapidité du système européen sont un avantage pour le contentieux lié aux contrats financiers. Lorsque le Royaume-Uni sortira de l’UE, les arrêts rendus par ses juridictions ne bénéficieront plus de ce système. Or, les opérateurs de la finance voudront certainement pouvoir continuer à l’utiliser. Dans le secteur, les contrats normalisés choisissent traditionnellement l’application du droit anglais et la compétence des juridictions londoniennes. Les juristes sont formés en ce sens. Leur offrir des chambres spécialisées à paris, capables de faire appliquer la common law, leur permettra de bénéficier à nouveau des dispositions du règlement Bruxelles I Bis. Ils pourront élire ces « for » dans leurs contrats.

Vous souhaitez que les chambres spécialisées puissent entièrement travailler en anglais…

Généralement les contentieux internationaux des affaires se plaident en anglais. Il faut les attirer chez nous. Assurer un jugement en common law implique de maîtriser des concepts anglais. De plus, les contrats sont rédigés dans cette langue. Dès lors, réaliser le procès en anglais, c’est éviter de traduire les contrats, les attestations de témoins, les preuves, etc. Car tout cela prend du temps et de l’argent. Si les avocats et les juges sont capables de maîtriser la langue de Shakespeare, il y a tout intérêt à l’utiliser devant les tribunaux français pour raccourcir le temps de la justice. Pour autant, les chambres spécialisées travailleront aussi en français. Et des traductions seront assurées dans le cas où toutes les parties ne sont pas anglophones, par exemple.

La qualité d’un système juridique repose sur son agilité, sa capacité d’absorption des droits et des langues étrangères. C’est ainsi qu’il se défend sur le plan mondial. Nous sommes en concurrence avec d’autres juridictions. La France doit se doter d’une justice capable de se hisser au niveau des standards internationaux.

Quelles sont vos préconisations pour doter les chambres de juges compétents ?

Dans le rapport, nous estimons nécessaire de former les juges français à la common law et à l’anglais. Ceci induit d’augmenter le niveau de technicité des juridictions françaises. Le tribunal de commerce de Paris, où des juges consulaires officient, a l’habitude de traiter le contentieux international des affaires. A la cour d’appel de Paris, un renforcement des compétences techniques est proposé. La sélection et la formation de juges capables d’examiner des affaires en anglais sont envisagées.

Le rapport propose aussi de réunir, autour des juges, une équipe de professionnels qualifiés. A la commercial court de Londres, 9 magistrats travaillent avec des assistants composant leur cabinet. Toutes les grandes juridictions dans le monde fonctionnent ainsi (la cour suprême des États-Unis ou du Canada par exemple). Les juges étudient leurs dossiers et rédigent leurs décisions avec des law clerks. Nous demandons donc de prévoir le recrutement de juristes, particulièrement aguerris au droit anglais, qui deviendront des assistants de justice au sein des cabinets des juges.

Votre rapport aborde également les spécificités procédurales auxquelles devront répondre ces deux chambres spécialisées…

Avec la procédure de common law, sont en cause des techniques juridictionnelles particulières que ne connaissent pas nécessairement les juridictions françaises. Ces dernières ont un mode davantage écrit qu’oral d’administration de la preuve. Les témoignages ou expertises sont généralement produits dans les dossiers et rarement discutés. Et des interrogatoires ou contre-interrogatoires sont rares. Les parties elles-mêmes ne sont généralement pas invitées à fournir des explications devant les juridictions. Il faudra donc renforcer l’examen des preuves par les chambres spécialisées pour se mettre à niveau de la common law. Autre élément intéressant la procédure, les audiences sont plus interactives en droit anglais qu’en droit continental. Car les plaideurs sont attachés à la discussion orale de leur argumentation afin de trouver la meilleure issue au litige. Là aussi, un changement procédural sera à prévoir au bénéfice des chambres spécialisées. De même que concernant les règles d’administration de la procédure. L’idée est de mieux encadrer le temps du procès et de définir à l’avance sa date de fin. S’il doit avoir lieu en 6 mois, il faudra organiser le temps des parties en conséquence et fixer une date d’audience invariable. C’est réalisable, nous l’avons mis en œuvre à la cour d’appel de Paris pour les contentieux financiers (appel d’une décision de l’AMF) ou en matière de concurrence. Les parties ont ainsi le sentiment que le procès est maîtrisé et qu’il est dynamique. Il ne connaît pas d’interruption.

De lourds ajustements sont-ils nécessaires ?

Les règles de procédures ne sont pas à changer mais elles doivent être aménagées pour se révéler utiles à cette catégorie de contentieux. Nous proposons qu’une discussion entre avocats et juges soit ouverte afin de définir les bons usages, conformes aux souhaits des parties, applicables au contentieux international des affaires. Ils découleront des règles de procédure civile existantes.

Le coût de l’opération a aussi été évalué. Il n’est pas faramineux (mois de 1,3 million d’euros) puisqu’il s’inscrit sur des moyens existants : le tribunal de commerce et la cour d’appel de Paris. Pour assurer la compétence de cette dernière, des recrutements - notamment de trois présidents de chambres - et la recherche de locaux - équipés pour la visioconférence, l’enregistrement des débats, la traduction, etc. - seront à prévoir. Car nous préconisons la désignation d’un lieu indépendant du Palais de justice traditionnel. Le projet en l’état peut être réalisé en 6 mois.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Nous avons remis notre rapport à l’ancien garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, début mai. Pour l’instant, l’équipe de François Bayrou ne nous a pas contactés. La dernière préconisation du rapport est d’associer les parties prenantes à l’opération. Car nous voulons instaurer un climat de confiance et obtenir une compréhension unique du procès devant les chambres spécialisées. Le rayonnement de ces chambres dépendra aussi de la volonté des juristes d’entreprise. La rédaction de clauses attributives de compétence et la saisine des chambres sont un préalable à leur fonctionnement. Au-delà du HCJP, ce projet peut être porté par les institutions, les plaideurs et les juristes afin que le nouveau ministre de la Justice s’en saisisse.

 

propos recueillis par Sophie Bridier
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