Qui peut bénéficier du chômage partiel ? C'est l'une des questions majeures que se posent de nombreuses entreprises, y compris les cabinets comptables, dans la crise actuelle. Thierry Legrand, associé du cabinet Exponens, considère que le système actuel est inéquitable en raison de son approche globale par secteur et non pas au cas par cas par entreprise.
En un mot, c’est compliqué. Au sein d’Exponens, on a mis tout le monde en télétravail dès lundi 16 mars au soir suite aux recommandations du gouvernement. On a fait en sorte que l’ensemble de nos collaborateurs puissent se connecter à distance au système informatique, que ce soit aux logiciels de production comme aux serveurs bureautiques qu’on utilise régulièrement. Le télétravail existait déjà chez nous mais sur des amplitudes plus courtes. On s’est assurés qu’on pouvait mettre 300 personnes en télétravail. Le service paie a même été touché avant cette date car notre pôle social est basé dans l’Oise, où il y avait un des foyers de coronavirus. Des collaborateurs étaient donc confinés avant le 16 mars.
Pour nos clients, c’est très contrasté. Ceux qui travaillent dans des services classiques, tels que le commerce ou la restauration, sont en arrêt total d’activité depuis la semaine dernière. Cela nous met aussi au ralenti mis à part en social. Ils n’ont plus de pièces comptables et nous non plus. On a encore un peu de travail pour les quinze jours voire les trois semaines à venir [cette interview a été réalisée le 23 mars]. Mais à terme c’est sûr qu’on sera concerné par le chômage partiel. C’est une grande question parce qu’aujourd’hui on a un souci avec le télétravail. Les experts-comptables ne sont pas visés par le décret qui fixe les professions éligibles au télétravail. D’ailleurs le comité de groupements des cabines indépendants (CGCI) a fait un courrier commun aux présidents du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables et de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes pour leur exprimer notre mécontentement par rapport à cette exclusion.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
La situation est de dire qu'il y a une ségrégation permanente entre les entreprises citées dans le décret du 16 mars dernier et les autres. Les experts-comptables ne sont pas cités dans les entreprises éligibles au chômage partiel. Or, aujourd’hui je n’ai pas de travail à donner au personnel chargé de l’accueil des clients. Ils n’ont pas de coup de fil car tout passe en ligne directe. Ils n’ont pas de courrier à trier. Ils n’ont pas de client à accueillir. Et le marketing, qui organise des évènements, va travailler combien de temps ? Et nous avons du personnel non autonome, c’est-à-dire qui a besoin qu’on lui donne des pièces comptables et qu’on le supervise régulièrement. Comment lui donner du travail alors que le cabinet ne reçoit plus de pièces comptables ?

Alors ok on a mis en place la dématérialisation, on a beaucoup de choses qui nous arrivent par scan éventuellement mais il y a encore beaucoup de clients qui nous envoient les pièces comptables qu’on doit scanner. Que se passe-t-il si les clients ne reçoivent plus de pièces comptables, parce que La Poste fonctionne tant bien que mal et que eux ne vont pas forcément dans leur entreprise tous les jours rechercher le courrier pour ensuite le remettre sous enveloppe pour nous le réexpédier ? Et ils n’ont pas forcément les moyens de nous scanner le courrier et nous le renvoyer. On est prêt à travailler. Je peux vous assurer qu’au social ça ne chôme pas avec toutes les demandes et les inquiétudes des clients. En revanche, au niveau de la comptabilité, en dehors de ce qui est en cours aujourd’hui, les équipes n’auront plus rien à faire la 1ère semaine d’avril.
Non. C'est que aujourd’hui, on nous dit que seules les entreprises qui sont citées dans le décret du 16 mars 2020 peuvent bénéficier du chômage partiel dans les conditions actuelles. Je suis d’accord qu’il faut être très circonspect sur le fait d’accorder à tout le monde ou pas le chômage partiel. Mais aujourd’hui on est capable de le justifier et de l’expliquer. On peut imaginer que des gens vont en profiter et vont faire travailler leur personnel tout en demandant du chômage partiel. Mais il faut arrêter de penser que tout le monde va se ruer sur un effet d’aubaine alors que l’on va créer une ségrégation entre les entreprises sous prétexte qu’il peut y avoir des risques. Il faut arrêter de vouloir monter les entreprises les unes contre les autres et de soi-disant mettre des mesures en œuvre qui n'en sont pas. Au final, aucune entreprise ne sera éligible parce que tout le monde aura pu faire quelque chose.

Pour une pizzéria qui fait restaurant et livraison, aujourd’hui on va lui dire qu’elle a mis son personnel en chômage partiel alors qu’elle a fait de la livraison et donc qu’elle n’est pas éligible. On a un gros problème d’équité et d’intelligence du traitement. Le problème n’est pas d'accorder ou non le chômage partiel à une profession. Il faut l’accorder à ceux qui justifient une sous-activité liée à cette situation. C’est aberrant de dire que toute une profession ne peut pas bénéficier du chômage partiel soi-disant parce qu’elle devrait pouvoir travailler durant cette période. Comment l’Etat peut-il juger si une entreprise peut travailler durant cette période ? Donc les clients sont dans une incertitude et se posent énormément de questions. Et on nous dit qu’il faut rester chez nous et continuer à travailler. Pour cela, il faut qu’on ait les moyens de le faire. C'est à dire pouvoir se déplacer, récupérer des documents et aller contrôler les entreprises pour savoir comment ça se passe alors qu'il n'y a plus personne dans les entreprises.
Pour nous c’est faisable sur certains sites. Dans nos bureaux des Mureaux [commune des Yvelines], nos clients peuvent continuer à y déposer des documents. Un tel déplacement est d’ailleurs encore autorisé. Mais quand vous êtes dans un immeuble partagé dont l’accès est fermé, c’est plus compliqué. Et demain, on n’aura peut-être plus le droit de faire ces déplacements. Aujourd’hui quand on fait la queue devant un magasin alimentaire, on se fait alpaguer pour vérifier qu’on a bien son document de sortie. Alors on peut demander si c’est vraiment indispensable de déposer le courrier chez l’expert-comptable.
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