Réforme de l'assurance chômage, des retraites, procès de France Télécom, crise des "Gilets jaunes"... Benoît Serre, vice-président de l'ANDRH, revient, à l’occasion de l’université de l'association, qui s’est déroulée les 18 et 19 juin, à Nantes, sur les sujets d'actualité. Entretien.
Le thème de l’université de l’ANDRH qui s’est déroulée les 18 et 19 juin, à Nantes, avait pour thème "Nouveaux équilibres RH". Pourquoi cette thématique ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Ce n’est pas uniquement une formule. Plus que jamais nous sommes dans une période de profonde transformation des modèles économiques, technologiques et sociaux, de crainte de l’avenir et d’aspiration à d’autres modes de travail.

Etre DRH relève d’une position d’équilibriste. Il est, tout d’abord, confronté à une ambivalence : contenir et traiter les inquiétudes humaines, notamment face à l’émergence de nouveaux métiers, de nouvelles compétences - 60 % des métiers devraient disparaître ou changer radicalement d’ici à quelques années - et contribuer à la performance économique de l’entreprise. Le DRH doit également faire face à une double temporalité. Avec d’un côté, la nécessité pour l’entreprise de se transformer rapidement pour faire face aux ruptures technologiques souvent très rapides et mêmes brutales. Et de l’autre, le temps de l’apprentissage qui est beaucoup plus lent. L’accompagnement des salariés et l’acquisition de nouvelles compétences nécessitent, de fait, plus de temps. Nous devons donc veiller au bon équilibre des temps.
La loi Avenir professionnel vous donne-t-elle des clefs pour anticiper ces mutations ?
En réformant très largement l’action de formation, son organisation et son financement, avec par exemple, la Fest (formation en situation de travail) ou le e-learning, la loi propose une approche pragmatique de la question en tenant compte des nouvelles technologies de formation et des nouvelles pratiques. Tout l’enjeu aujourd’hui est de comprendre comment on opère cette transition, c’est-à-dire comment on passe d’un point à l’autre pour parvenir à l’acquisition de nouvelles compétences.
Parmi les autres réformes instaurées notamment avec les ordonnances travail, où en sont les DRH ?

Elles sont largement positives mais elles nécessitent du temps pour les mettre en œuvre. Parmi les priorités actuelles, il y a la mise en place du CSE. Et sur ce sujet, la loi a une vertu incontestable, celle de repenser les fondements du dialogue social. Cela s’inscrit dans la continuité notamment de la loi Rebsamen et la loi El Khomri mais plus profondément. Les entreprises n’avaient finalement pas eu à aborder cette organisation du dialogue social depuis 45 ans. En cela c’est une transformation sociale d’importance qui était indispensable et urgente.
Que pensez-vous de la réforme sur l’assurance-chômage ?
Elle vient seulement d’être présentée et il nous manque beaucoup d’éléments pour l’évaluer précisément. Je note pourtant qu’elle est critiquée - parfois assez fortement - à la fois par les organisations patronales et de salariés. De mon point de vue, il est important de s’assurer de sa cohérence avec les réformes passées du marché du travail mais aussi à venir, notamment avec celle sur les retraites. Car si le gouvernement a l’intention de créer un "âge d'équilibre" en plus de l'âge légal de départ en retraite, pour pousser les Français à "travailler plus longtemps", qui pourrait être fixé à 64 ans, notre capacité à maintenir dans l’emploi des seniors est encore plus cruciale. Il est d’ailleurs à noter que le président de la République lui-même avait dans sa conférence de presse lié les deux sujets : le recul de l’âge de la retraite et l’emploi des seniors.

Or, les nouvelles règles de l’assurance-chômage pourraient être vécues très douloureusement par ces populations. D’une part, parce que le système de bonus-malus, appliqué à sept secteurs d’activité, risque de pénaliser les quinquagénaires. De fait, quand une personne de 55 ans est au chômage, le CDD constitue souvent une solution d’apport de son expérience de manière temporaire. N’a-t-on pas un risque de perte de chance ? D’autre part, la dégressivité des indemnités des salariés, qui ont un revenu du travail supérieur à 4 500 euros brut, pourrait avoir un impact très négatif pour cette tranche d’âge Car si seulement 3,8% des cadres sont au chômage, combien sont-ils de plus de 55 ans dans cette situation ? Si vous y ajoutez le barème des indemnités prudhomales issues des ordonnances travail, vous avez là un risque de déstabilisation des seniors qui souvent continuent d’aider les plus jeunes.
Prises individuellement, ces mesures peuvent donc paraître compréhensibles, logiques, mais combinées ensemble, elles sont risquées si on ne porte pas une analyse globale de ces réformes qui refondent notre marché du travail qui en a pour autant besoin. Je ne suis pas totalement convaincu que la réduction du chômage passe par un déséquilibre de traitement entre les âges qui le vivront comme une inéquité face à ce drame qu’est ce chômage de masse en France.
Quel impact aura l’élargissement de la couverture assurance chômage pour les démissionnaires au sein des entreprises ?

Elle peut, de fait, créer un effet d’aubaine. La tendance est extrêmement forte de dire "stop", de démissionner, de créer sa propre entreprise, de quitter des organisations collectives inhumaines, voire de prendre des respirations. Cette quête de liberté est très positive. Mais elle se heure à deux obstacles. D’une part, la nouvelle génération raisonne aujourd’hui en termes de parcours de vie, avec l’intention de changer de statut alors que les entreprises restent focalisées sur des parcours de carrière. D’autre part, la vie en société reste organisée autour du CDI. Par exemple, obtenir un prêt bancaire, louer un logement… exige des garanties fondées sur la stabilité de l’emploi et du revenu. C’est donc une évolution positive mais d’autres pratiques doivent impérativement évoluer car elles peuvent dissuader de passer à l’acte.
Le procès des anciens dirigeants de France Télécom s’est ouvert en mai devant le tribunal correctionnel de Paris. Y aura-t-il un "avant" et un "après" France Télécom ?
En premier lieu, je ne porte pas de jugement sur ce dossier devant la justice et dont je ne connais pas le détail. En revanche, sur un plan juridique, si le harcèlement moral institutionnel devait obtenir une reconnaissance judiciaire, alors en effet, les entreprises seront confrontées à une nouvelle donne que la jurisprudence devra confirmer. Cette histoire va laisser des traces. J’espère que ce procès va permettre de prendre conscience que la bienveillance et l’écoute sont le socle du management.
Reste qu’un boulot incroyable a été fait, avec l’arrivée de Bruno Mettling au poste de DRH, de 2010 à 2015, pour réparer. C’est la preuve que toutes les situations même les pires peuvent être redressées.
Quelles leçons tirez-vous de la crise des "Gilets jaunes" ?

Les "Gilets jaunes" - je parle en cela du début du mouvement- sont bien présents dans les entreprises. Ce sont des collaborateurs compétents, loyaux, fidèles qui font le job et qui participent aux évolutions de la société. Leurs caractéristiques ? Ils sont excédés par le manque d’écoute, de reconnaissance, ne se sentent pas forcément et justement représentés par les organisations syndicales, fatigués et parfois inquiets des changements incessants qu’ils subissent et qui leur font perdre le sens du travail. Cela se traduit non pas par une révolte ou une grève - ils ne sont pas dans la contestation - mais par un désengagement progressif, une approche fataliste de leur travail, une démotivation rampante qui peut aller jusqu’au burn-out. Les entreprises doivent se prémunir d’être des "fabriques d’exclus internes" car ceux qui ne réclament pas ont souvent des choses à dire. Face à cette situation, il ne faut pas se méfier mais être bienveillant, à l’écoute. Rien n’est plus dangereux que ne pas considérer chaque collaborateur comme un partenaire.
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