"L’espace de travail, un outil de stratégie et de management"

"L’espace de travail, un outil de stratégie et de management"

30.11.2020

Gestion du personnel

Pour Elisabeth Laville, fondatrice d’Utopies, un cabinet de conseil spécialisé sur les questions de responsabilité sociale et environnementale, le lien entre espaces de travail et stratégie est de plus en plus évident. Au-delà de la dimension technique et environnementale, un projet immobilier doit refléter les valeurs de l’entreprise, sa culture, ses métiers et ses savoir-faire. Interview

Comment les espaces de travail se remodèlent-ils avec l’essor du télétravail et de la crise sanitaire ? Allons-nous vers le flex-office ? Ou y a-t-il des alternatives ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Le rapport entre travail individuel et collaboratif s’est inversé en dix ans

Nous sommes encore dans la crise et c’est difficile de dire avec certitude que la crise aura accéléré un point de bascule sur les modes de travail. Déjà, les experts annonçaient tous il y a cinq ans l’explosion du travail nomade en 2025. Avec pour conséquence, une nouvelle reconfiguration des bureaux, conçus comme des espaces de co-working, des points de chute quelques jours par semaine permettant des contacts un peu plus humains, un peu plus de collaboration... Et le reste du temps, une présence 100 % virtuelle. La crise sanitaire a donné raison à ces prévisions. Mais la plongée brutale dans le télétravail nous en fait aussi découvrir les risques et il est difficile exactement de prévoir ce qui se passera après la crise.

Reste que plusieurs tendances de fond se dessinent. Les nouvelles technologies permettent, tout d’abord, la dématérialisation du travail. Ca tombe bien, car les "digital natives" arrivent dans la vie professionnelle. De plus, on assiste à une rationalisation des coûts immobiliers. Il s’agit du deuxième poste de dépense pour les entreprises après les salaires. Surtout, les approches plus collaboratives du travail se développent, avec un rapport entre travail individuel et collaboratif qui s’est inversé (il est de 80/20 en faveur du collectif, contre 20/80 il y a dix ans).

Dans ce contexte, la crise va, sans doute, avoir un effet booster : le bureau ne devient pas inutile mais change de fonction. Il est mixte et c’est à la fois un tiers-lieu, un incubateur, un centre de bien-être, une école ou un centre d'apprentissage, une zone de magasins et de services...

Quelles sont les priorités données à ces nouveaux aménagements : espaces de réflexion, de réunion, de convivialité ? Vous parlez de tiers-lieu ?

 Les bureaux seront plutôt organisés en fonction des tâches que l’on doit accomplir

Les bureaux d’aujourd’hui, ou plutôt d’hier, reproduisaient un organigramme, des fonctions, des services. Ils étaient organisés par département, selon un modèle extrêmement hiérarchisé. Ces pratiques n’ont plus lieu d’être aujourd’hui. On va s’orienter vers des bureaux qui fonctionnent un peu plus comme de tiers-lieux où peuvent venir des gens de l’entreprise, mais aussi des gens de son écosystème, justement avec l’idée de faire ce qu’on ne peut pas faire à distance : se ressourcer, se retrouver, faciliter les rencontres entre expertises et services pour stimuler l’innovation, faire des réunions, des séminaires, des ateliers de discussions… Les bureaux seront plutôt organisés en fonction des tâches que l’on doit accomplir, avec des espaces pour se concentrer et réfléchir tout seul, des espaces pour la créativité, des espaces pour travailler à deux ou à dix…. J’ai même vu des entreprises qui avaient aménagé des salles uniquement dédiées à la prise de décision.

Vous insistez également sur la nécessité pour l’entreprise de s’ouvrir vers l’extérieur, de tisser des liens avec le territoire. Comment ?

Les bureaux peuvent être une locomotive importante du développement de l’économie locale et de la relocalisation 

L’entreprise ne peut pas vivre totalement fermée sur elle-même. La crise a également soulevé la question de l’aménagement du territoire. Il me semble que les bureaux ont un rôle à jouer ici : c’est un secteur d’activité majeur capable de jouer un rôle sur les questions de stimulation de l’économie locale, de résilience et de fabrication en ville !

Nous avons travaillé notamment pour le territoire de Plaine Commune (Saint-Denis). En termes de production de richesse par tête, il s’agit de l’un des territoires qui produit le plus de richesses en France car il y a beaucoup de bureaux et paradoxalement c’est aussi l’un des territoires le plus pauvres, car cette richesse produite sur le territoire ne profite pas aux habitants du territoire.

Les bureaux peuvent être, par leurs achats dans un premier temps, une locomotive importante du développement de l’économie locale et de la relocalisation. Ils peuvent aussi tisser des liens avec le territoire local, créer des synergies, favoriser l’économie circulaire et le réemploi, travailler avec des chantiers d’insertion, recourir à des modèles de fournitures basés sur l’usage, acheter leurs meubles sur des plateformes de mobilier urbain open source... Ils pourraient également accueillir des unités de recyclage sur place, selon ce qui est produit comme déchets, ou encore produire de l’énergie de manière autonome, avoir de l’agriculture urbaine sur les toits… On en voit de plus en plus. Ou installer des boutiques-ateliers pour des artisans.

Enfin, il peut y avoir des espaces qui sont aussi ouverts sur la ville, sur le quartier. Il est possible par exemple de choisir des services et des activités sur site qui correspondent aussi à ce qui manque dans le quartier. Ce qui va être utile aux salariés par exemple, sur un gros siège social, mais qui correspond aussi à un besoin des habitants alentour. Dans le cadre du siège social sur lequel on a travaillé, c’était plutôt des supérettes, des médecins... On peut aussi mobiliser l’offre locale. C’est-à-dire faire connaître aux salariés les lieux de vie ou les lieux de services sur le territoire. Parce qu’évidemment, cela permet de faire en sorte que vous ayez des personnes qui viennent sur un siège social dans la journée, mais qui dépensent de l’argent localement de manière à stimuler l’économie alentour.

Vous définissez l’espace de travail comme un outil de stratégie et de management. Pourquoi ?

Facebook a aménagé une promenade sur la terrasse de son siège social californien pour permettre à ses équipes de faire des réunions en marchant

Le lien entre espaces de travail, organisation et stratégie est de plus en plus évident. Un nombre croissant d’entreprises font ainsi de leur projet immobilier un véritable projet d’entreprise qui va bien au-delà de la dimension technique et environnementale. Car l’espace de travail est aussi une vitrine des valeurs de l’entreprise, de sa culture, de ses métiers et de ses savoir-faire, de son approche en termes d’innovation ou de développement durable. D’où la nécessité de prendre du temps en amont de la construction pour réfléchir à la stratégie, le management, les relations de travail, les services, l’ouverture sur l’économie locale. Pour les grandes entreprises, la construction d’un siège social représente un gros investissement.

Comment penser ces lieux pour qu’ils reflètent notre identité du moment mais ce que l’entreprise veut être dans cinq ans. Il faut une stratégie globale et  cohérente, de la construction à l’exploitation... Et sur ce sujet, les RH ont, sans conteste, un rôle à jouer.

Les espaces de travail les plus innovants ont cette approche globale : ainsi le label Well qui évalue la performance du bâtiment sur la contribution au bien-être des salariés intègre des considérations attendues (sur la qualité de l’air intérieur, la lumière naturelle, etc.) mais aussi le type de nourriture servie au restaurant d’entreprise  ou encore les incitations architecturales à faire du sport (disposition et accessibilité des escaliers et des ascenseurs) ! De fait, aux Etats-Unis, Facebook, par exemple, a aménagé une promenade sur la terrasse de son siège social californien pour permettre à ses équipes de faire des réunions en marchant.

Les salariés sont-ils associés à cette reconfiguration des bureaux ? De quelle manière ?

Certains architectes n’hésitent pas à laisser un espace vivre avant de boucler totalement le projet quelques mois plus tard 

Trop de bâtiments restent des abstractions spatiales déconnectées des processus et des situations de travail qui s’y déroulent. C’est pourquoi, il est nécessaire d’impliquer les équipes. D’autant que le sujet de l’aménagement des espaces de travail suscite beaucoup d’anxiété. Paradoxalement, il y a beaucoup d’espaces dits collaboratifs qui ne sont pas conçus de manière collaborative !

Cette implication peut se faire en amont du projet, en repartant des usages notamment… mais aussi en aval : certains architectes n’hésitent pas à laisser un espace vivre avant de boucler totalement le projet quelques mois plus tard. Un peu comme dans les "lignes de désir" urbaines, où l’on voit avec des traces sur l’herbe que les gens "coupent" et prennent un autre chemin que celui imaginé par l’architecte. L’idée est ici d’observer comment les salariés s’approprient l’espace, comment ils circulent. Et à partir de ces observations d’apporter des correctifs au projet, en adéquation avec les usages.

Anne Bariet
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