"On milite pour reporter de 3 mois les dates butoirs des assemblées générales"

"On milite pour reporter de 3 mois les dates butoirs des assemblées générales"

23.03.2020

Gestion d'entreprise

Retrouvez chaque semaine notre interview sur un sujet d'actualité. Comment les cabinets de commissariat aux comptes et les entreprises dont ils auditent les comptes traversent-ils la crise actuelle ? La réponse de Jean Bouquot, président de la CNCC.

Quelle est la situation des cabinets qui ont une activité de commissariat aux comptes ?

La situation est inquiétante. Vous savez quelle est la sensibilité de notre profession au rythme de l’année lequel est scandé par les clôtures au 31 décembre pour une grande partie des entreprises. Le travail des commissaires aux comptes est très intense de février à juin. Nous sommes dans ce qui devrait être la pleine saison. De ce fait, il y a une grande inquiétude sur la capacité à mener les missions voire une impossibilité à les réaliser.

Il y a aussi une inquiétude sur la santé des entreprises et donc notre capacité à être à côté d’elles pour dialoguer, écouter et en même temps les sensibiliser aux difficultés. Et les commissaires aux comptes sont des employeurs même s’il y a des tout petits cabinets ainsi que des moyens et des plus gros. En tant qu’employeurs, comme tout entrepreneur aujourd’hui, ils se posent des questions de charges d’activité et de capacités à maintenir des équipes en activité. Et la réponse malheureusement est inquiétante. Pour certains d’entre eux se posent déjà la question du chômage partiel qui va nécessairement arriver si la situation de confinement dure longtemps. Et on ne peut pas exclure qu’elle ne dure pas longtemps.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

Découvrir tous les contenus liés
Concrètement, dans l’ensemble, les cabinets aujourd’hui ne peuvent pas du tout auditer les comptes des entreprises ou est-ce quand même possible ?
On ne peut pas rester repliés chez nous sur une longue période

J’ai le sentiment qu’il y a encore des choses qui peuvent se passer dans la lancée de ce qui avait été engagé. Si vous avez quelques collaborateurs qui avaient commencé une démarche d’audit sur la période récente, vous pouvez encore continuer en ayant récupéré des fichiers et en travaillant à distance. En revanche, ce travail sur la lancée va malheureusement s’épuiser parce que par ailleurs dans les entreprises il y a des endroits où il n’y a plus personne, où l’accès est fermé à l’extérieur, donc à nos équipes. Il y a aussi des entreprises pour lesquelles les comptes étaient encore en production. Il commence à y avoir des endroits où on reporte des interventions. On ne peut pas rester repliés chez nous sur une longue période pour y travailler à distance.

En matière de commissariat aux comptes, il faut forcément se déplacer physiquement dans l’entreprise où on audite les comptes…

Ou au moins avoir un dialogue continue, permanent avec des interlocuteurs. Il y a des sociétés qui ont fermé et donc l’accès, même à distance, aux interlocuteurs n’est pas possible car ils ont quitté l’entreprise et sont partis sans nécessairement avoir en mains tout ce qui permet de travailler à distance.

Comment cela se passe-t-il en matière d’alerte ? Y-a-t-il déjà des choses à déclencher de la part du commissaire aux comptes, de façon formelle ou non ?

J’encourage, comme je l’ai indiqué dans un premier message le 9 mars donc avant le confinement, à porter une vigilance accrue sur la santé des entreprises mais sous l’angle positif, c’est-à-dire de prendre contact avec les entreprises dont vous avez le commissariat aux comptes pour savoir où elles en sont, quelles difficultés elles anticipent, comment se passent leur activité et leur trésorerie. Ce message n’a pu trouver que plus d’écho ces derniers jours. Dans les messages suivants j’indiquais d’appeler les clients, d’être en contact avec eux pour savoir où ils en sont. Mon propos était d’abord une démarche pro-active et pédagogique y compris pour partager avec les clients qui peuvent ne pas avoir perçu tout ce qui est en train de se passer en matière de dispositifs gouvernementaux. C’est-à-dire finalement se faire les porte-voix de ce qui commence à se mettre en place.

Les banques sont très à l’écoute des entreprises

Je n’ai pas aujourd’hui de capteurs qui me permettent de dire que la vague des difficultés est au degré x, y ou z. Mais on sent bien qu’il y a des environnements où dores et déjà, avant même le confinement, les choses étaient inquiétantes. Je pense au tourisme, au transport, à la logistique qui entoure l’hôtellerie, à l’hôtellerie elle-même. Il y a de l’inquiétude à avoir mais elle doit d’abord se traduire par du dialogue. Et après les équilibres financiers de chacun vont être différents. Les banques sont très à l’écoute des entreprises. Des lignes de crédit sont ouvertes. La BPI intervient. L’objectif est d’aider les uns et les autres à passer. Mais combien de temps ? C’est la question.

Charles-René Tandé disait récemment qu’un des sujets qui va concerner certaines TPE est celui de la trésorerie à court terme avec concrètement des échéances qui arrivent dans les prochains jours avec le paiement de la TVA et des salaires alors que ces entreprises, lorsqu'elles ont dû fermer, n’ont pas de rentrée d’argent.

Absolument. Et il ne faut pas que ceux qui doivent de l’argent aux petites et moyennes entreprises en profitent pour allonger leur délai de paiement. C’est un sujet toujours sensible en période de crise.

Savez-vous déjà comment est appréhendé le sujet de la continuité d’exploitation qui concerne les commissaires aux comptes ?
La phase 0 est aujourd’hui fondamentale

Je l’ai un peu couvert dans les propos que je viens de tenir. La continuité d’exploitation est un outil auquel le commissaire aux comptes participe de par son rôle et qui est défini par les textes. Mais encore faut-il dans ces circonstances actuelles le concevoir plus déjà comme une phase d’accompagnement, d’écoute et de dialogue avant de tout de suite envoyer un courrier recommandé pour que le conseil d’administration se réunisse, etc. C’est pour ça que, en plein accord avec le président du H3C, je mets beaucoup en avant depuis quelques jours le concept de phase 0. Cette phase n’est pas écrite dans les textes mais c’est comme ça que beaucoup d’entre nous vivent ce métier depuis de nombreuses années. La phase 0 est aujourd’hui fondamentale. Et après, quand la phase 0 montre qu’il y a un vrai souci, il faut se mettre d’accord pour engager la suite.

Un commissaire aux comptes me disait qu’il essaie de faire en sorte que les entreprises qu’il audite songent à reporter leur assemblée générale. Faut-il déjà penser à comment vont se tenir les assemblées générales ?

Il faut y songer. Il y a deux sujets. Celui des assemblées et aussi en amont celui des conseils d’administration qui doivent arrêter les comptes, voire aussi celui des comités d’audit pour les entreprises concernées. Autant pour la plupart des très grosses sociétés on n’est plus sur cette phase-là, car les comités d’audit puis les conseils se sont tenus, autant pour beaucoup d’autres sociétés on est encore avec devant nous le conseil d’arrêté des comptes et donc a posteriori les assemblées. Dans la plupart des cas, le conseil doit se tenir avec une présence physique minimale, c’est à dire avec un quorum. Et il peut y avoir des difficultés à se réunir ou à arrêter les comptes parce qu’ils n’ont pas pu être établis par les équipes comptables et financières, comme je le disais tout à l’heure. On est dans ce créneau temporel puisque beaucoup de choses se passent en mars, avril, et mai. On a mis en avant ce point auprès des pouvoirs publics. Ils en sont conscients. Du coup, dans le projet de loi lié à la crise sanitaire, il est prévu de donner au gouvernement le pouvoir d’organiser certaines choses.

Nous avons indiqué à l’administration qu’il fallait pousser le curseur assez loin

Après, il faut se donner suffisamment de marges de manœuvre en temps. Nous avons indiqué à l’administration présente à notre réunion de place lundi [16 mars] qu’il fallait pousser le curseur assez loin. A la fois sur les conseils et sur le butoir que sont les assemblées. C’est un point qu’il faut dores et déjà anticiper parce que tout vient assez vite et pour la partie finances, comptabilité et commissariat aux comptes c’est aussi une zone d’inquiétude. Comment allons-nous faire ? Décoincer ce verrou rendra les choses plus sereines pour la suite. Il faut éviter de se lancer dans un schéma où il faudrait écrire pour demander un report car de très nombreuses entreprises seront concernées. On milite pour reporter de 3 mois les dates butoirs des assemblées générales. Pour les entreprises qui clôturent leurs comptes au 31 décembre, les assemblées générales pourraient ainsi se tenir jusqu’au 30 septembre 2020.

Propos recueillis par Ludovic Arbelet
Vous aimerez aussi