PGE : "Pas mal de banques instruisent la demande avec des prévisionnels"

PGE : "Pas mal de banques instruisent la demande avec des prévisionnels"

17.04.2020

Gestion d'entreprise

Chômage partiel, communication, gestion de la trésorerie, télé-travail... Thierry Croisey, président de Baker Tilly Strego, livre son point de vue sur les sujets qui intéressent particulièrement son cabinet et ses clients dans cette période de crise (*).

Quelle est la situation actuelle de Baker Tilly Strego et de ses clients ?

La situation actuelle est simple. Le 16 mars, j’ai tout de suite constitué un comité de pilotage de la crise et ordonné la fermeture des bureaux dès le lendemain, le mardi 17. Ceux qui n’avaient pas eu les consignes sont repartis chez eux le mardi matin. Et on a fermé le matin même l’accès à tous les visiteurs.

Le comité de pilotage se réunit quotidiennement pour nous aider à nous adapter à une configuration tout à fait nouvelle. Passer du jour au lendemain 1400 personnes en télétravail, ce n’est pas quelque chose qui avait été répété. Cela s’est plutôt bien passé. Le déploiement a été efficace. Nos solutions technologiques ont au moins eu la chance d’être mises en avant. On s’est rassurés en se disant qu’on avait pris les bonnes options par le passé puisqu’on n’a pas eu vraiment de difficultés comme certains sur la communication et l’accès aux outils. Tout notre cabinet télétravaille en mode Saas. Ca simplifie les choses.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

Découvrir tous les contenus liés
Cela veut dire que vous n’avez aucun bureau qui reste ouvert avec par exemple une permanence pour pouvoir «échanger» les pièces comptables papier des entreprises ?

La priorité c’est la sécurité sanitaire. La fermeture totale a été ordonnée dès le 17 mars. Après on a organisé, pour une majorité des bureaux, une permanence deux ou trois matinées par semaine avec un sas de dépose des documents sans croisement de personnes. C’est parce que tout n’est pas digital.

Sur le chômage partiel, certains disent qu’il n’est pas suffisamment accessible, d’autres au contraire considèrent que le système est devenu laxiste. Quel est votre point de vue ?
 On n’a jamais autant communiqué

J’ai le sentiment que c’est plutôt accessible. Il faut être tolérant. Le gouvernement a pris des mesures rapides et énormes telles que le chômage partiel et le PGE [prêt garanti par l’Etat]. Après, effectivement, et on le voit depuis trois semaines, chaque annonce gouvernementale est suivie de textes pour la mise en œuvre. Fatalement, il y a des interprétations et des contradictions. C’est normal. Il faut faire preuve de tolérance et garder son sang froid et appliquer les consignes autant que faire se peut dans l’intérêt des entreprises. On est très sollicités. Comme tout le monde dans la profession. En particulier sur le chômage partiel. Il faut être très attentif. La configuration du télétravail, avec des gens confinés à domicile, entraîne une rupture par rapport à nos habitudes. On est attentif au soutien des équipes, à la communication interne et bien-sûr à la communication externe avec nos clients. On n’a jamais autant communiqué. Et on a beaucoup de retours de reconnaissance sympathiques. C’est assez encourageant. Parce qu’on est des acteurs responsables et solidaires, on a répondu présent.

C’est une mesure plutôt accessible

Mais c’est vrai qu’on sort juste de la période des paies de mars avec des variables difficiles à appréhender, avec des textes qui bougent tous les jours sur le chômage partiel. C’est sûr que ce mouvement génère de l’angoisse mais c’est normal car rien n’est stabilisé. Mais je réaffirme que c’est une mesure plutôt accessible. Bien évidemment il y a du formalisme. On pouvait s’en douter. C’est pour ça qu’on accompagne nos clients au demeurant.

Et il n‘y a pas d’incertitude majeure pour certaines entreprises quant à leur éligibilité ? Je ne parle pas de celles qui se trouvent dans un secteur dont la fermeture est imposée car elles sont forcément éligibles au chômage partiel. Pour les autres secteurs, beaucoup disent que ce n’est pas clair.

Aujourd’hui la difficulté est d’avoir une mesure précise de la réalité. Je vois à peu près le volume des entreprises fermées. Je vois à peu près le pourcentage que représente le chômage partiel dans les effectifs pour les gens chez qui on fait la paie. Après, la qualification entreprise fermée ou pas est très relative. Quand une entreprise a 10 % de son effectif présent et donc 90 % absent, on dit qu’elle est ouverte mais c’est un grand mot. C’est difficile à apprécier. Il y a au moins la moitié de nos clients qui sont fermés complètement.

Parmi vos clients, vous n’avez pas de remontée d’entreprises à qui on aurait refusé le chômage partiel ?

Si. Il y en a forcément car l’appréciation, locale, provient de la Direccte départementale. C’est vrai que dans des dossiers qui semblent similaires, on a constaté des positions inverses. Mais je pense qu’il y aura un argumentaire pour faire changer d’avis. Il y a une vraie volonté d’ouvrir le chômage partiel à tous ceux qui en ont vraiment besoin. Il faut aussi que les gens soient responsables. On incite nos clients à coller à la réalité du terrain. J’ai eu des échos, plus médiatiques qu’autre chose, de demandes, peut-être guidées par la peur, qui n’étaient pas raisonnables. Mais globalement, beaucoup de demandes sont acceptées.

Ce qu’on ne sait pas encore c’est comment cela va être indemnisé

Ce qu’on ne sait pas encore c’est comment cela va être indemnisé au-delà de l’acceptation. Je ne peux pas me prononcer aujourd’hui. C’est aussi lié à ce que je disais avant, c’est-à-dire à la pertinence de la demande. Une entreprise en baisse d’activité de 30 % ne doit pas demander 50. Je crains que pour certains métiers cela se dégrade au fil des semaines. Pour d’autres, cela va être le contraire. Dans les activités du bâtiment, j’ai plutôt le sentiment que le monde de l’artisanat est en train de s’organiser pour reprendre une activité pour ceux qui l’avait arrêtée. A l’inverse, dans les métiers comme le nôtre, il est clair que la source d’information pour traiter le quotidien va se tarir. Je pense à tout ce qui est déclaratif. Dans le groupe, on a aussi une activité d’avocat qui est significative, avec Oratio avocats. Les avocats qui sont sur les mesures d’accompagnement sont débordés. Ceux qui sont sur du courant sont en baisse d’activité très significative, plus que les experts-comptables ou les experts en social.

Vous dites qu’il y a une incertitude sur le niveau d’indemnisation, c’est-à-dire que la Direccte peut accorder le chômage partiel mais l’entreprise ne sait pas forcément à quelle hauteur ?

Oui. On vient tout juste de me remonter un cas, isolé, mais je n’ai pas le détail du dossier.

Quel est votre point de vue sur la mise en œuvre du prêt garanti par l’Etat ?

Pour le moment il y a beaucoup de sollicitations. C’est un peu tôt pour mesurer le retour. L’instruction du dossier est très variable d’une banque à une autre ou d’une entreprise à une autre. Il y a plein de facteurs. La cotation, la qualité de la structure financière de l’entreprise, le métier et puis l’interlocuteur. Il y a une communication forte du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables auprès du ministère pour demander aux banques d’accorder les dossiers sans une instruction comme pour un emprunt traditionnel par le passé. Il y a pas mal de banques qui instruisent la demande avec des prévisionnels d’exploitation, de trésorerie, etc. Donc beaucoup de travail en amont. Pour le moment, toutes les entreprises peuvent accéder assez facilement au prêt garanti par l’Etat. Après je ne peux pas m’engager aujourd’hui sur le retour parce qu’il y a un délai d’instruction. J’ai eu ce matin une entreprise importante qui me disait qu’il y avait un banquier qui avait donné son accord et que les trois autres du pool [bancaire] donneraient leur réponse au plus tard la semaine prochaine.

Dans ce contexte très incertain, comment faire un prévisionnel ? Dans un contexte ordinaire, c’est déjà délicat…
Pierre Dac disait « La prévision est difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir »

Pierre Dac disait «La prévision est difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir». C’est sûr qu’aujourd’hui il faut fixer des hypothèses. L’avenir dira si l’on a été trop optimiste ou trop pessimiste. Dans beaucoup de métiers, les grandes inconnues portent sur le niveau d’activité et derrière cela le niveau d’encaissement ou plutôt le niveau de défaillance des paiements. Fatalement, dans tous les métiers, il y aura des impayés. Il est extrêmement important de dire à tous les acteurs de l’économie d’être extrêmement vigilants sur le paiement de leurs partenaires. Et puis il faut apprécier la défaillance définitive. Des clients vont disparaître des portefeuilles des uns et des autres.

Quelle est la situation de trésorerie de Baker Tilly Strego ? Votre confrère président d’Exco France disait qu’il sollicitait un financement pour avoir une marge de manœuvre en cas de baisses d'encaissement…
Les procédures de prélèvements ou de chèques ne sont pas dans les mêmes proportions partout

Je suis dans le même cas. Tout le monde dans mon métier a sollicité un PGE ou est en train de le faire. On a des incertitudes sur l’encaissement. L'encaissement s'est déjà dégradé en mars. Je fais des hypothèses comme tout le monde. J’échange avec des confrères. Bien malin qui détient la vérité mais on sait qu’on va avoir des défaillances. Pour autant, il est essentiel de clamer un discours sur l’importance du crédit inter-entreprises chez tous les acteurs, pas seulement chez son expert-comptable. Chez Baker Tilly Strego, où nous avons 50 bureaux, les procédures de prélèvements ou de chèques ne sont pas dans les mêmes proportions partout. Et aujourd’hui, avec un service postal extrêmement dégradé, voire fermé dans certaines régions, les chèques n’arrivent pas. Donc la trésorerie se dégrade et il faut faire un PGE. D’autant plus que nous avons décidé au comité de direction de maintenir les salaires quand bien même le chômage partiel ne garantissait pas tout. Et nous gardons tous les emplois.

Baker Tilly Strego est en chômage partiel donc ?

Bien-sûr. Il y a toute une population fatalement en chômage partiel. Des services support, des standardistes et puis des métiers sur lesquels la source d’information pour travailler à distance va se tarir, ce qui est le cas du commissariat aux comptes.

(*) cette interview a été réalisée le 9 avril 2020.

Propos recueillis par Ludovic Arbelet
Vous aimerez aussi