Label, Index ou aide financière ? Alors que les actifs sont appelés à travailler plus longtemps, les entreprises sont à la peine sur l’emploi des seniors. Plusieurs experts, DRH, consultants, économistes, politiques, ont, d’ores et déjà, planché sur le sujet pour résoudre ce casse-tête. Des pistes que la mission seniors devrait examiner avec attention.
Alors que le gouvernement a confié à trois experts, Sophie Bellon, présidente de Sodexo, Jean-Manuel Soussan, DRH de Bouygues construction et Olivier Mériaux, consultant au sein du cabinet Plein Sens (ex directeur général adjoint de l'Anact) une mission sur le maintien en emploi des seniors, plusieurs experts, politiques, économistes, professionnels RH, consultants, ont déjà pris les devants pour résoudre le casse-tête de la gestion des âges. Il peut s’agir de propositions, d’initiatives locales ou de pratiques à l’œuvre dans les entreprises. Sont-elles efficaces ? Transposables ? Trop coûteuses ? Certaines pourraient nourrir le futur projet de loi sur les retraites, présenté en 2020. Revue de détail.
C'est l'une des mesures chocs proposées par l’ANDRH, lors de sa conférence de rentrée, en septembre. Calqué sur le modèle de l’Index égalité femmes/hommes, il viserait à inciter les entreprises à jouer la carte seniors. "Le gouvernement renvoie vers les entreprises la responsabilité de travailler plus longtemps. Or, elles ne savent pas faire", alerte Benoît Serre, le vice-président de l’association qui souhaite ériger ce sujet aux rangs de grande cause nationale. D’où l’idée d’une "obligation de résultats pour accélérer la sensibilisation". Cet Index pourrait reposer sur des critères comme le taux de formation, le taux d’emploi, la mobilité interne, le turnover des seniors. "Un indicateur facilement mesurable, contrairement à la discrimination liée à l’origine (les statistiques éthniques étant interdites)", indique Yannick l’Horty, professeur à l'université Paris-Est Marne-la-Vallée, directeur de la fédération Travail, emploi et politique publique du CNRS. Au-delà, cet économiste préconise d’étendre cet Index au niveau des branches professionnelles pour connaître le poids des seniors, secteur par secteur.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Keolis Seine Val-de-Marne (transport de voyageurs), Bonabio, (import de fruits exotiques) NGE (travaux publics)… Ces entreprises se sont vues décerner le label Emploi 45+, lancé par le comité de bassin d’emploi Sud 94. A l’origine de cette initiative lancée en mars dernier et destinée à devenir nationale? Daniel Pigeon-Angelini, directeur du comité de bassin d’emploi 94, ex directeur associé d'Alixio. "On s’est rendu compte qu’à 50 ans, bien peu d'entreprises ont envie de vous embaucher. Or, il reste 15 ans à travailler. Et 15 ans, c’est trois postes". L’objectif ici est d’identifier et de valoriser les entreprises ouvertes aux recrutements de plus de 45 ans du département (état des lieux des recrutements des seniors, de leurs modalités d’embauche et d’intégration).
Ce label est soutenu notamment par la Direccte, le département, la région Ile-de-France, le Medef 93/94, la chambre de commerce et d’industrie et Pôle emploi. L’idée a également été reprise par commission des affaires sociales du Sénat, dans son rapport "Le défi des fins de carrière", publié le 25 septembre. "Pour des postes de chauffeurs et de médiateurs, le profil senior correspond à nos attentes, assure Patrice Chautard, directeur opérationnel de Keolis Seine Val-de-Marne (346 personnes). Nous avons besoin de gens matures, pondérés pour respecter les règles de sécurité et dénouer les tensions voire faire face aux éventuelles incivilités des usagers". L’entreprise compte 41,69 % de salariés plus de 45 ans, contre 38,18 % en 2018. La dernière recrue a même 63 ans. NGE France, de son côté, a travaillé sur la mobilité interne des seniors, via des bilans de compétences, en proposant de postes "en formation, en bureau d’études, d’expertise, et en logistique".
La Cour des comptes propose, dans un référé sur les fins de carrière, rendu public le 10 octobre, d’expérimenter une aide à l’employeur pour les CDD seniors. Pour rappel, il s’agit d’un contrat, créé par le décret du 28 août 2006, spécialement mis en place pour favoriser le retour à l’emploi des personnes proches de la retraite et qui sont à la recherche d’un emploi. Actuellement, il ne donne droit à aucune aide financière (seul le contrat de professionnalisation des plus de 45 ans y donne droit) mais sa durée maximale peut aller jusqu’à 36 mois (contre 18 pour le CDD classique).
La cible ? Les personnes âgées de 57 ans, inscrites en tant que demandeur d’emploi depuis plus de trois mois ou bénéficiant d’un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) suite à un licenciement économique. Reste que pour Yannick l’Horty, les aides qui auraient un caractère purement monétaire ne sont pas la bonne piste. "Pour combattre la défiance vis-à-vis des seniors, il faut avant tout accompagner les recruteurs dans leur décision d’embauche, valoriser leur expertise, leur maturité, et les convaincre de l’intérêt de constituer des équipes diversifiées". Car en France, "depuis les années 70 et la montée de préretraites, on a multiplié les mesures signalant que les seniors n’avaient plus leur place sur le marché du travail. Il faut aujourd’hui renverser la tendance".
Cette proposition est défendue par Corinne Vignon, députée (LREM) de Haute-Garonne, présidente du groupe de travail transpartisan de l’Assemblée nationale. Notant que le taux d'emploi des seniors "se situe à 52 % pour les 55-64 ans" et que "de nombreux préjugés et stéréotypes persistent", elle a suggéré, fin juillet, d’instaurer un bonus-malus - modulé selon la taille de l’entreprise - pour encourager l'embauche des seniors et faire supporter directement par l'entreprise le coût lié à leur licenciement. Concrètement, les cotisations d’assurance-chômage d’une entreprise embauchant un salarié de plus de 55 ans seraient allégées et, à l’inverse, "le coût de la mise hors emploi d’un salarié de plus de 55 ans serait alourdi par une contribution supplémentaire".
Pour Yannick l’Horty, cette mesure n’est pas forcément un gage d’efficacité. D’une part, parce qu’elle risque "de manquer de visibilité", en raison des nombreuses exonérations déjà existantes sur certains secteurs d’activité, régions (zones franches urbaines, rurales, d’outre-mer). Déjà, "les employeurs ne s’y retrouvent pas". D’autre part, "parce qu’elle accrédite la thèse que les seniors ont une productivité plus faible et qu’il faut la compenser". Or, ce sont bien "les préjugés liés à cette tranche d’âge qu’il faut combattre".
Derrière ce terme à connotation très négative figure l’idée d’étendre la clause de "déclassement professionnel" proposée par la convention collective des cadres du bâtiment. Elle permet à l’employeur d’envisager une baisse de rémunération et une diminution des responsabilités pour les cadres volontaires, candidats à une mobilité interne. En contrepartie, le "déclassement" donne lieu, à titre de dommages et intérêts, au versement de l’indemnité de licenciement. Le nouveau contrat prévoit, lui, une indemnité complémentaire, pour compenser le différentiel de salaire.
Mettre en place une task force d’experts au service de l’entreprise : c’est le pari lancé, en 2013, par un groupe d’ingénierie avec "les Space cowboys". Soit 21 seniors en CDI âgés de 45 à 67 ans, parlant plusieurs langues, mobiles, ayant peu de contraintes familiales et un fort niveau d’expertise. Points forts ? Ils sont capables de répondre aux appels d’offres internationaux et de travailler à l’étranger. Ils peuvent aussi remplacer, suppléer, ou assister en interne, exclusivement dans leurs domaines de compétences, n’importe quel chef de projet complexe et à la demande : projets de sûreté nucléaire, Eole, Iter….
Au préalable, "ils doivent avoir fait le deuil de toute ambition hiérarchique et de responsabilité business, assure Hubert Labourdette, vice-président des opérations stratégiques du groupe, à l’origine de cette initiative. Ils doivent avoir l’envie de se réaliser autrement". En contrepartie, ils disposent de plus d’autonomie que leurs cadets. "C’est à eux de trouver leur propre mission plutôt que d’attendre une demande". Et leur prime de fin d’année est conditionnée à leur taux d’activité ; elle peut subir une "décote" si leur temps "de non-occupation" (ou d’inter-mission) est inférieure à 5 % de leur temps de travail.
"La mobilisation (des entreprises) est restée très faible sur ces sujets dans les dernières années". Selon le référé de la Cour des comptes, les salariés âgés sont les parents pauvres de la négociation. Avec la suppression des accords dédiés, le thème des seniors est aujourd’hui dispatché dans les accords de GEPC, de GEPP, de l’égalité professionnelle, de la diversité, de la QVT et de l’organisation du temps de travail. Et les résultats sont mitigés : engagement concernant la mise en place d'entretiens de seconde de carrière, aménagement des fins de carrière ou encore transmission des savoirs… C’est pourquoi, les Sages préconisent d’inscrire l’emploi des seniors comme un volet obligatoire de la négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des parcours professionnels. Avec, à la clef, la nécessité de lister les compétences critiques de seniors.
Le Sénat propose, de son côté, de rendre obligatoire la définition d’un plan d’action unilatéral en faveur de l’emploi des seniors dans les entreprises de plus de 300 salariés où la négociation obligatoire sur la gestion des emplois et des parcours professionnels n’aboutit pas.
D’autres options existent. En premier lieu, des négociations des branches professionnelles. Ces accords, selon certains observateurs, pourraient, par exemple, s’articuler avec les accords de prévoyance, pour offrir aux salariés la possibilité d’opter pour le cumul emploi-retraite, tout en continuant à cotiser à taux plein pour leur retraite. Ce qui suppose, au préalable, de revoir les règles du cumul pour envisager une liquidation partielle de la retraite.
Le Sénat recommande également d’ouvrir une négociation interprofessionnelle sur le sujet.
Constatant que "les plus de 45 ans représentent 37 % des demandeurs d’emploi du comité de ce bassin d’emploi de Rungis Sud Val-de-Marne et qu’ils restent au chômage plus longtemps", Daniel Pigeon-Angelini, directeur du comité de bassin d’emploi 94, ex directeur associé d'Alixio conseille d’élargir ce dispositif aux demandeurs seniors au chômage depuis plus d’un an. Actuellement, il vise à favoriser l’embauche de chômeurs des quartiers prioritaires de la politique de la ville, sans condition d’âge, et devrait être généralisé en 2020 sur l’ensemble du territoire, selon le projet de budget du ministère du travail. Avec à la clef, une aide de 15 000 euros sur trois ans allouée aux entreprises qui recrutent en CDI un habitant de ces quartiers, à condition qu'ils soient inscrits en catégorie A, B ou C à Pôle emploi. Le coup de pouce est de 2 500 euros par an pendant deux ans pour un CDD de plus de six mois.
Développer l’employabilité plutôt que l’emploi… Parmi les pistes, celle du Sénat qui propose d’abonder le compte personnel de formation pour les personnes qui perdent leur emploi, après 45 ans, financé par les pouvoirs publics, soit par l’Etat ou par Pôle emploi. Par ailleurs, d’autres experts suggèrent de revaloriser les points figurant sur le compte de professionnel de prévention (C2P). Rappelons que le C2P est alimenté tout au long de la carrière et ce, jusqu’à 100 points au maximum, en fonction du nombre de facteurs de risques auxquels le salarié est exposé et selon son âge. Les points accumulés peuvent, outre le passage à temps partiel ou à la retraite anticipée, ouvrir droit à la prise en charge de tout ou partie des frais d'une action de formation professionnelle continue en vue d'accéder à un emploi non exposé ou moins exposé. Actuellement, un point inscrit sur le compte donne droit à 25 heures de formation. Le décret prévoit qu'un point permettra d'obtenir une formation d’un montant de 375 euros.
Insérée en annexe du projet de loi de finances pour 2020, dans le budget travail et emploi (voir ci-dessous), cette mesure ciblerait les plus de 57 ans et concernerait les structures d’insertion par l’activité économique (associations intermédiaires, ateliers et chantiers d’insertion, entreprises d’insertion…) qui permettent de ramener à l’emploi des personnes exclues du marché du travail. L’objectif étant ici de supprimer la dérogation de deux ans en vigueur jusqu’ici pour accompagner les seniors jusqu’à leur retraite, sans passer par les trappes à précarité (notamment l’obtention de revenus de solidarité tels que l’Allocation de solidarité spécifique).
Cette mesure découle directement du Pacte d’ambition pour l’insertion économique remis début septembre à Muriel Pénicaud proposé notamment par le Coorace, le réseau de structures de l’IAE. 700 CDI de ce type sont budgétés pour 2020 pour un montant total de 8,93 millions d’euros. 3 900 structures pourraient potentiellement être intéressées.
Si le cumul emploi retraite est accessible à tous les salariés, ce n’est pas le cas de la retraite progressive. En effet, selon les règles en vigueur, les salariés en forfait jours sont exclus du dispositif. De fait, pour bénéficier de ce dispositif, il faut être à temps partiel. Or, la durée du travail d'un salarié au forfait jours n'est pas déterminée en heures mais en jours. Ce salarié ne peut donc pas être considéré comme étant à temps partiel. Si on réduit par avenant le nombre de ses jours de travail sur l'année, il sera en forfait jours réduit mais pas à temps partiel au sens du code du travail. C’est pourquoi, plusieurs experts plaident pour un assouplissement des règles afin de permettre aux cadres, majoritairement concernés par ce forfait, de quitter en douceur et de manière progressive la vie active.
"Il ne faut pas attendre les dernières années de vie professionnelle d’un salarié pour se préoccuper de cette question, met en garde Marion Gilles, chargé de mission à l’Anact. Si aucun dispositif de prévention n’est actionné en amont, les marges de manœuvre seront de plus en plus réduites". De fait, la prévention de l’usure professionnelle ne s’improvise pas. L’agence propose, depuis une quinzaine d’années, une démarche, avec la branche AT-MP et la Cnav afin d‘endiguer le phénomène : identification des signes d’usure, analyse des causes, élaboration d’un plan d’action. 500 entreprises ont, d’ores et déjà, été accompagnées.
Parmi elles, l’entreprise de travaux publics TPC Ouest (70 salariés), dans le Morbihan. "Le principal problème concernait le port de charges, indique Francois Coville, le président de l’entreprise également président de la Fédération régionale des travaux publics de Bretagne. On a développé un équipement plus approprié, en équipant les salariés d’un gant bionique destiné à soulager les efforts de la main et du poignet pour les opérateurs sur chantiers et réduire ainsi le risque de troubles musculo-squelettiques". L’enjeu est d’importance : "dans les travaux publics au moins la moitié des effectifs ont plus de 45 ans. Avec la crise économique, on a peu recruté de jeunes ces dernières années". D’où une "pyramides des âges vieillissante". "La mécanisation permet de réduire la pénibilité des postes. Beaucoup de choses ont déjà été faites mais il faut poursuivre dans cette voie pour amener les gens jusqu’à 62/64 ans".
Reste que toutes les entreprises n’ont pas pris la mesure du problème. "Dans notre secteur, le risque majeur c’est l’accident du travail, note cette observatrice. Le risque différé, à l’instar de l’usure professionnelle, apparaît comme moins prioritaire". A tort. "Car il s’agit d’un facteur d’attractivité et un moyen d’enrayer les licenciements pour inaptitude professionnelle".
Autre option : s’inspirer du rapport Lecocq sur la santé au travail en créant au niveau local une entité unique de prévention au niveau de chaque région. Chaque entreprise pourrait ainsi accéder à un guichet unique qui centraliserait les offres en matière de santé au travail.
C’est la proposition de Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, en avril 2019 : octroyer une aide compensatoire financée par l’assurance chômage ou Pôle emploi aux seniors acceptant de reprendre un poste moins bien rémunéré. L'idée étant qu’un senior, à partir de 55 ans, puisse accepter d’être moins bien payé quand il retrouve du travail. Une réflexion qui n’est pas sans rappeler le Contrat première embauche, un dispositif voté en 2006 mais jamais appliqué, face à l'ire des étudiants, lycéens, soutenu par les partis politiques.
A partir de 55 ans, les chômeurs peuvent être indemnisés pendant un maximum de trois ans, contre deux ans pour les plus jeunes. Conséquence ? Beaucoup d’entreprises poussent leurs salariés âgés vers la sortie, notamment à partir de 59 ans. Car à 62 ans, si le salarié peut prétendre à une retraite à taux plein, sa pension prendra alors le relais sur l’allocation chômage. Un système peu apprécié par la ministre du travail, selon son entourage ; la gestion des seniors étant ainsi payée par la collectivité. La reprise en main de l’assurance chômage par l’Etat pourrait modifier la donne. Mais ce changement de braquet pourrait être risqué et provoquer une recrudescence des ruptures conventionnelles collectives ou individuelles des salariés âgés voire des licenciements dans des conditions moins favorables. Attention, sujet sensible…
Mettre à la disposition de PME/TPE ou de start-up des experts de haut vol : voici le projet de Nexmove, un cabinet spécialisé dans le coaching et notamment en outplacement. "L’objectif est de favoriser l’employabilité des cadres dirigeants et des dirigeants en transition professionnelle, assure Marie-Liesse Morgaut, directrice générale du cabinet et membre du comité "évolution professionnelle" de Syntec conseil. Ils sont immédiatement disponibles et ultra-motivés. Cette expérience peut, en outre, faire mouche auprès d’un chasseur de tête". Concrètement, ces experts seront regroupés au sein d’une "senior entreprise", qui va fonctionner sur les mêmes principes qu’une junior entreprise. Mais attention, la mission du cabinet ne concerne que la mise en relation. La rémunération de ces experts dépend de leur statut, salarié en portage salarial, autoentrepreneur, consultant indépendant ou fondateur d’une micro-entreprise. Le lancement du projet est prévu pour début novembre.
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