À quelles conditions la compensation écologique permet-elle (vraiment) de concevoir un projet de moindre impact ?

À quelles conditions la compensation écologique permet-elle (vraiment) de concevoir un projet de moindre impact ?

18.02.2020

Environnement

Pour l'avocat Vianney Cuny, le mécanisme juridique de compensation environnementale – via la séquence « éviter, réduire, compenser », qui vise une absence de perte nette de biodiversité – n'est pas un « permis de détruire » octroyé aux maîtres d'ouvrage… Mais encore faut-il, pour cela, respecter certaines conditions de mise en œuvre. Voire même explorer des pistes d’améliorations juridiques.

L’ensemble des indicateurs démontrent une chute vertigineuse de la biodiversité depuis les années 70. L’indicateur « Planète Vivante » (Living Planet Index, LPI), qui mesure les tendances de 3 000 populations issues de 1 100 espèces de vertébrés, démontre une perte de 60 % des espèces sauvages entre 1970 et 2018 à l’échelle mondiale. Le récent rapport de l’IPBES signale que désormais, 30 % des habitats terrestres ne sont plus susceptibles d’abriter leur faune et leur flore originelle. Or, l’artificialisation des terres dans le cadre des projets d’aménagement (estimée à 50 % des surfaces naturelles totales depuis 1970), a pour effet de réduire la surface des habitats, voire de les fragmenter ou de créer des pièges écologiques en les appauvrissant. La conception d’un urbanisme de moindre impact environnemental devient donc un impératif catégorique.

L’outil juridique pour concevoir un tel aménagement est la séquence dite « éviter, réduire, compenser » (ERC). Elle implique que les maîtres d’ouvrage, dans le cadre de l’évaluation environnementale de leurs projets, cherchent d’abord comment éviter les impacts sur l’environnement, adoptent ensuite des mesures de réduction des impacts qui ne peuvent être évités, puis enfin, compensent les incidences résiduelles – celles qui ne peuvent être ni évitées ni réduites – par des mesures de restauration, de réhabilitation écologiques à proximité du périmètre du projet. Depuis la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, la séquence ERC vise une absence de perte nette de biodiversité, voire un gain de biodiversité. Il s’agit d’une obligation de résultat. En effet, un projet ne peut désormais être autorisé en l’état lorsque les atteintes à la biodiversité « ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante » (art. L.163-1 I, C. env.).

En parallèle de ce renforcement des contraintes juridiques, plusieurs acteurs de la cause environnementale critiquent le mécanisme de la compensation environnementale, estimant qu’elle octroie aux maîtres d’ouvrage un « permis de détruire ». Sans revenir sur le débat entre « compensation par l’offre » et « compensation par la demande », nous ne partageons pas cette thèse. Toutefois, les critiques émises à l’encontre de la compensation doivent nous amener à réfléchir aux conditions et aux pistes d’amélioration pour qu’elle puisse effectivement permettre l’émergence de projets de moindre impact environnemental.

► Respecter le caractère subsidiaire de la compensation

Bien mener la séquence ERC implique de ne pas faire l’impasse sur l’évitement et la réduction. En effet, le maître d’ouvrage doit toujours s’interroger en premier lieu sur les mesures qu’il devrait mettre en œuvre pour éviter un impact notable. Cette démarche est rarement aboutie au sein des évaluations environnementales, sauf lorsqu’elle est requise au titre de la démonstration de l’absence de solution alternative satisfaisante pour l’obtention d’une dérogation au titre des espèces protégées (art. L. 411-2 4°, C. env.). Pourtant, elle permet de s’interroger en amont sur l’existence d’impacts non compensables, lorsque les écosystèmes ne sont définitivement pas reconstituables, et qu’une absence de perte nette de biodiversité est inéluctable, même une fois l’ensemble des mesures de réduction et de compensation mises en œuvre.

Par exemple, si un milieu très sensible est impacté, comme une zone humide très fonctionnelle, et qu’un besoin compensatoire est élevé, il n’est pas certain en réalité que l’incidence environnementale à long terme puisse être évitée en reconstituant un habitat sur un milieu déjà densément peuplé en habitats naturels, si aucun autre site à proximité n’est disponible ou compatible au regard de la biodiversité à reconstituer. Toutefois, en diminuant le périmètre du projet pour éviter la zone, par une mesure de densification du bâti ou un repositionnement des ouvrages, pour n’impacter par ailleurs que des zones moins fonctionnelles écologiquement, la « compensabilité » des impacts s’améliore, et corrélativement la probabilité d’un succès des mesures compensatoires.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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► Penser les mesures compensatoires dans l’espace

En outre, il convient de concevoir les mesures compensatoires en ayant à l’esprit que les écosystèmes sont interconnectés entre eux, si l'on veut que les mesures soient efficaces dans l’espace. Cela implique tout d’abord de ne pas uniquement raisonner au titre de la biodiversité protégée, mais aussi de comprendre les liens entre les espèces protégées et les espèces communes.

Surtout, il est nécessaire de dépasser la seule compensation dite « surfacique », qui consiste à uniquement appliquer un coefficient d’équivalence écologique aux surfaces d’habitats détruites pour les recréer. Il faut prendre en compte la dimension fonctionnelle de ces surfaces. Cela suppose de percevoir les gains écologiques au regard de la fonctionnalité écologique relative des sites impactés et des sites de compensation, en considération des mesures de réhabilitation écologique devant être mises en œuvre. À cet égard, il est utile que la planification environnementale (SRCE, SDAGE…) identifie, au regard des continuités écologiques à conserver et à recréer, les sites prioritaires sur lesquels les mesures de compensation doivent être fléchées par les maîtres d’ouvrage.

► Prendre en compte la lente maturation des gains écologiques

Il est impératif de prévoir des mesures compensatoires suffisamment étalées dans le temps. Le code de l’environnement impose actuellement que les mesures soient effectives pendant toute la durée des atteintes. En effet, nous savons que les gains écologiques nécessitent, pour être effectifs, plusieurs dizaines années, voire centaines d’années s’agissant de certaines espèces. À cet égard, nous savons que la maîtrise foncière augmente les chances de succès de la compensation, en renforçant la pérennité des mesures. Une réflexion doit être engagée sur ce sujet s’agissant du droit français.

En effet, si des mécanismes d’obligations réelles environnementales sont désormais prévus depuis la loi biodiversité, consistant à grever un terrain d’une protection se maintenant indépendamment des changements de propriétaires, elles n’ont qu’une durée de vie maximale de 99 ans, ce qui n’est pas toujours suffisant. En outre, la responsabilité de la bonne exécution des mesures reste toujours celle du maître d’ouvrage, même s’il fait appel à un opérateur de compensation, ce qui fait peser un risque juridique pour des porteurs de projets qui n’ont pas vocation à se maintenir sur le site.

Des pistes d’améliorations juridiques doivent donc encore être explorées pour pleinement accorder le système juridique à la réalité des processus écosystémiques et parallèlement à l’acceptabilité des risques par les professionnels.

Vianney Cuny

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