Dans le cadre de la première lecture du projet de loi sur le marché du travail, les députés ont inséré dans le code du travail une procédure à suivre par les entreprises en cas d'abandon de poste de la part d'un de leurs salariés. Instituant une présomption simple de démission, le texte permet au salarié de renverser la présomption devant le juge. Les avocats en droit du travail se posent déjà de nombreuses questions sur la mise en application de cette mesure.
Voilà un sujet qui n'était pas au programme du projet de loi sur le marché du travail. Mais au détour du texte, qui porte notamment sur l'assurance chômage, des députés ont souhaité encadrer l'abandon de poste, une pratique qu'il n'est pas possible aujourd'hui de quantifier.
En commission des affaires sociales, les députés avaient attaqué le sujet sous l'angle de l'assurance chômage, proposant que l'abandon de poste ne constitue pas une privation involontaire d'emploi. L'amendement - retiré - a été réécrit pour la séance publique et adopté. Il est désormais prévu dans le projet de loi que le salarié qui a abandonné volontairement son poste et qui ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure par son employeur, est présumé démissionnaire. Le texte prévoit une voie de recours pour le salarié qui peut saisir le conseil de prud'hommes afin de contester la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption. L'affaire est alors directement portée devant le bureau de jugement qui doit se prononcer sur la nature de la rupture dans le délai d'un mois.
Si un décret doit apporter les précisions nécessaires, de nombreuses questions se posent déjà aux praticiens qui s'interrogent sur l'opportunité et l'applicabilité d'une telle réforme.
Les avocats interrogés pointent la différence entre la première rédaction de l'amendement (retiré par la suite) et sa rédaction finale qui fait peser le risque sur l'employeur. "La première mouture de l'amendement écartait le droit à allocation chômage en cas d'abandon de poste, constate Florian Carriere, avocat associé au sein du cabinet Voxius Avocats. Avec la seconde version, on donne à l'employeur le choix entre un licenciement ou une présomption de démission. Par ailleurs, en cas de contentieux l'employeur pourrait se voir condamné à réparer les préjudices subis par le salarié, comme la privation de l'allocation de retour à l'emploi (ARE) jusqu'à ce que la décision soit rendue".
Une responsabilité qui peut poser une question éthique aux employeurs, estime pour sa part Fadi Sfeir, avocat au sein du cabinet Capstan Avocats. "L'employeur devra choisir entre licencier le salarié ou respecter cette nouvelle procédure et priver ainsi le salarié de ses droits à l'assurance chômage".
Reste à savoir si cette nouvelle procédure ne fermera pas complètement la porte du licenciement pour faute grave pour abandon de poste. C'est la question que se pose Loic Lewandowski, avocat associé au sein du cabinet Hogo Avocats. Et en cas de réponse affirmative, "cela signifiera-t-il qu'il faudra créer des sous-catégories de faute grave ou cela constituera-t-il une faute grave suis generis ?, s'interroge-t-il Comment pourra-t-on concilier le fait que la faute grave soit depuis toujours une privation d'emploi ouvrant droit aux ARE avec ce nouveau régime ?"
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Pour Loic Lewandowski, "on assiste à un bouleversement majeur de l'équilibre de tout le droit de la rupture unilatérale du code du travail. Jamais une présomption de démission n'a existé dans le droit du travail, souligne-t-il. La démission doit être claire et non-équivoque".
Florian Carrière s'interroge sur la possibilité "d'un retour d'une jurisprudence de la Cour de cassation sur la démission qui admet que, dans certaines circonstances la démission peut résulter du comportement du salarié". Dans un arrêt du 24 novembre 1999, la Cour de cassation a ainsi admis que l'abandon de poste constitue une démission s'agissant d'un salarié "qui, après avoir exprimé sa volonté de quitter l'entreprise, ne se présente plus au travail mais demande à être licencié pour percevoir les indemnités de chômage". Dans un arrêt du 4 janvier 2000, la Cour de cassation a retenu la même solution à l'égard d'un salarié qui n'avait pas repris le travail après un congé maladie, malgré une mise en demeure de l'employeur, et qui s'était mis au service d'une entreprise concurrente. Une position également adoptée dans un arrêt du 13 juin 2001 s'agissant d'un salarié "ayant manifesté à plusieurs reprises mais en vain son souhait d'être licencié, adopte une attitude agressive allant jusqu'à frapper un autre salarié et ne se présente plus sur son lieu de travail malgré de nombreuses mises en demeure".
Les avocats redoutent également que cette procédure présente des risques pour les entreprises. "En vertu du principe d'interprétation stricte de la loi qui évoque un abandon "volontaire", l'intention du salarié devra être prouvée, ce qui représente un risque pour l'employeur", insiste Fadi Sfeir. Il indique aussi que vont se poser "des problèmes de frontière avec d'autres situations comme par exemple le salarié qui refuse ce qu'il estime être une modification de son contrat de travail tandis que l'employeur y voit une simple changement dans les conditions de travail".
Autre écueil, l'inapplication de cette procédure dans certains cas. "L'exposé des motifs nous dit que la présomption de démission n'est pas applicable en cas de manquements à la santé et à la sécurité. Le conseil de prud'hommes devra alors vérifier s'il existe des problématiques de santé et de sécurité permettant de requalifier la rupture en licenciement", estime Florian Carrière.
Enfin, si l'employeur applique cette procédure articulée autour d'une présomption de démission, "il rompra le contrat mais ce sera au juge de prononcer la véritable nature de la rupture s'il est saisi par le salarié", met en garde Fadi Sfeir. Et dans le cas où la démission est invalidée par le juge, l'employeur sera-t-il condamné pour licenciement injustifié ?
"L'abandon de poste suit son propre régime procédural. Il sera très simple de contourner le texte pour le salarié, assure Loic Lewandowski. Le salarié viendra par exemple le lendemain de la mise en demeure de l'employeur et il s'agira alors seulement d'une absence injustifiée et non d'un abandon de poste. Il pourra ne pas revenir le lendemain et ainsi de suite. Or, l'abandon de poste suppose une absence continue".
Le projet de loi a prévu que cette présomption peut être renversée par le salarié directement devant le bureau du jugement qui disposera d'un mois pour statuer. Or,ce délai d'un mois est intenable, assurent en choeur tous les avocats interrogés qui ont déjà pu le constater en matière de prise d'acte. Cela signifie que "le salarié présumé démissionnaire ne percevra rien, du moins pendant les quatre premiers mois", explique Fadi Sfeir. En effet, passé ce délai, le salarié démissionnaire pourra demander à Pôle emploi de réexaminer sa situation.
Enfin, comment gérer la fin de contrat dans une telle hypothèse ? "L'employeur devra-t-il envoyer un courrier au salarié ou seulement lui adresser les documents relatifs à la fin de contrat ?, s'interroge Florian Carriere. Que deviendront les dispositions conventionnelles existantes ? "Par exemple, la convention collective nationale de l'immobilier exige que la démission soit écrite. Or, si la démission est présumée, il n'y aura pas d'écrit".
Autre question délaissée, celle du sort de la prévoyance ? "Qu'en sera-t-il de la portabilité qui suppose plusieurs conditions dont celle d'être indemnisé par Pôle emploi ? se demande l'avocat. On priverait ainsi le salarié du bénéfice de la portabilité. Par ailleurs, si le salarié obtient gain de cause devant le conseil de prud'hommes, à partir de quand commencera le délai de 12 mois de maintien des garanties ? A compter de la décision de justice ? Et qui indemnisera les mois perdus ?". Sans compter la question de l'exécution du préavis et de son indemnisation en cas de contentieux...
Autant de questions auxquelles répondront - peut-être - les sénateurs qui commenceront à examiner le texte à compter du 25 octobre.
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