Abus de confiance commis par un directeur de CHU

02.10.2018

Gestion d'entreprise

Est coupable d'abus de confiance le directeur d'un CHU qui détourne des fonds publics aux fins d'aménagement de pure convenance de son logement de fonction.

Le directeur général du CHU de Caen, au mépris des règles d’attribution des marchés public, avait fait entreprendre des travaux pharaoniques d’aménagement et d’embellissement de son logement de fonction. Ce faisant il avait singulièrement excédé la somme de 284 200 euros HT – correspondant à des travaux d’entretien nécessaires - pour atteindre 639 933 euros HT, d’où un dépassement illicite de 355 733 euros.

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Condamné en appel pour atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, délit dit de favoritisme (C. pén., art. 432-14) et abus de confiance (C. pén., art. 314-1) à deux ans d’emprisonnement avec sursis avec mise à l’épreuve et à une interdiction professionnelle définitive, son pourvoi en cassation est rejeté par la Chambre criminelle par un important arrêt dont ne sera examiné que le volet relatif à l’abus de confiance, tant au niveau de l’action publique que de l’action civile.

Abus de confiance et détournement de fonds publics

1. La Cour de cassation entérine l’analyse des juges d’appel, énonçant ainsi que " l’usage abusif des fonds publics par le prévenu résulte du fait, par ce dernier, qui a utilisé les moyens mis à sa disposition dans le cadre de ses fonctions pour financer des travaux, dont une partie, souverainement appréciée par les juges, s’est avérée de pure convenance, de se comporter comme le propriétaire des fonds employés, sans aucune mesure, à des fins sans rapport avec la nature du logement de fonction qu’il occupait et sans utilité pour la personne morale ".

En ses éléments matériel et moral le délit d’abus de confiance était manifeste. Mais une de ses conditions préalables pose problème, celle relative à l’objet du détournement, soit en l’occurrence des fonds publics. La Chambre criminelle affirme donc que l’abus de confiance peut porter sur de tels fonds, et c’est le point majeur de sa décision. Or les poursuites en l’affaire avaient initialement visé un détournement de fonds publics, infraction dérivée de l’abus de confiance certes, mais bien distincte et prévue par l’article 432-15 du code pénal – figurant parmi les manquements au devoir de probité - qui incrimine la soustraction ou le détournement de fonds publics commis par certains agents parmi lesquels figurent les personnes chargées d’une mission de service public, fonds ayant été remis à l’agent en raison de ses fonctions. Or un directeur de centre hospitalier public, ordonnateur principal des recettes et des dépenses, est assurément une personne chargée d’une mission de service public, définie comme accomplissant, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l’intérêt général (Cass. crim., 27 juin 2018, n° 18-80.069). La Chambre criminelle a d’ailleurs appliqué l’article 432-15 à un directeur d’hôpital (Cass. crim., 19 mars 2010, n° 09-83.238 et dans la même affaire Cass. crim., 24 oct. 2012, n° 11-85.923).

Concours idéal d’infractions

Il est donc très étonnant que l’abus de confiance ait dans la présente espèce éclipsé le détournement de fonds publics, en méconnaissance de deux règles classiques posées par la jurisprudence de la Chambre criminelle dans l’hypothèse d’un conflit de qualifications applicables à un même fait, hypothèse dite du concours idéal d’infractions.

Première règle : le fait doit être appréhendé sous sa plus haute qualification pénale. Or le délit de l’article 432-15 est plus grave - dix ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende, celle-ci pouvant être portée au double du profit tiré de l’infraction – que l’abus de confiance puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

Deuxième règle : la qualification spéciale doit l’emporter toujours sur la qualification générale, faute de quoi elle perd son utilité. Le directeur du CHU de Caen a donc bénéficié de manière contestable de la qualification à la fois générale et moins sévère. Logiquement l’abus de confiance ne devrait jouer, s’agissant de fonds publics, que si son auteur ne possède aucune des qualités visées par l’article 432-15, ce qui relève peu ou prou de l’hypothèse d’école puisque ce texte mentionne pratiquement toutes les personnes maniant des deniers publics (comptables publics, dépositaires de l’autorité publique, chargés d’une mission de service public entre autres). Bref l’article 314-1 du code pénal aurait dû être hors sujet dans le cas présent. Et, circonstance encore plus troublante, le directeur du CHU de Caen a été simultanément condamné pour favoritisme, autre délit contre la probité et lui aussi attitré comme le détournement de fonds publics – c’est-à-dire réservé à certaines personnes – dont les auteurs sont notamment les personnes chargées d’une mission de service public ! Aussi bien dans la présente affaire les juges du fond et les juges du droit n’ont-ils pas craint un grand écart juridique…

2. Au niveau de l’action civile, les juges d’appel avaient accueilli les demandes du CHU de Caen pour les préjudices matériel et moral invoqués. Le préjudice matériel correspondait précisément à la différence entre le coût total des travaux d’aménagement et le plafond autorisé pour l’entretien du logement de fonction, soit 355 733 euros ; somme relative à des travaux de pure convenance représentant l’appauvrissement du CHU qui n’a pu en disposer pour l’affecter à d’autres dépenses. Quant au préjudice moral, résultant du discrédit jeté sur l’établissement en raison des agissements délictueux de son directeur, il a été évalué à 10 000 euros. Dans le dernier moyen de son pourvoi, le prévenu contestait sa condamnation �� payer de telles sommes en invoquant le caractère non détachable du service de ses agissements qui ne constitueraient donc pas une faute personnelle indépendante. Analyse repoussée à juste titre par la Chambre criminelle selon laquelle il résulte de énonciations de l’arrêt de la cour d’appel que les fautes commises par le prévenu, " même non dépourvues de tout lien avec le service, constituent des manquements volontaires et inexcusables à des obligations d’ordre professionnel et déontologique ", soit des fautes personnelles autonomes ; les juges du fond ayant par ailleurs, en vertu de leur pouvoir souverain d’appréciation et dans la limite des conclusions des parties, fixé le montant des préjudices résultant de l’infraction.

 

Wilfrid Jeandidier, Professeur agrégé des facultés de droit
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