Abus de confiance : incidence de la négligence de la victime sur l’étendue de son droit à réparation

11.04.2022

Gestion d'entreprise

Une simple faute de négligence de la victime d’une infraction intentionnelle contre les biens diminue l’étendue de son droit à réparation de son préjudice.

L’employé d’une banque ayant commis des détournements au préjudice de plusieurs clients choisis parmi les plus âgés et falsifié des documents bancaires destinés à effectuer des transactions pour le compte et à l’insu des clients, fut condamné  pour abus de confiance aggravé, faux et usage de faux. Un second prévenu, ayant détourné les montants de prêts souscrits en faisant usage de faux, avait ouvert des comptes bancaires au nom des victimes dont il était l’unique bénéficiaire grâce à l’employé de la banque qui lui reversait les fonds directement ou par l’intermédiaire d’un tiers ; il fut condamné pour escroquerie et recel. Sur le plan des intérêts civils les premiers juges avaient estimé que la banque avait concouru à la réalisation de ses dommages à hauteur de 70 % au titre de son préjudice matériel en raison des défaillances de son contrôle. Celles-ci étaient avérées, nombreuse et même inquiétantes : absence de mesures utiles pour empêcher la dissimulation d’opérations frauduleuses, défaut d’investigations supplémentaires suite aux réponses mensongères du salarié à propos du déclenchement d’alertes pour les comptes de quatorze clients gérés par l’intéressé, contournement une seule fois de manière évidente des règles de délégation d’octroi de crédits par le dépassement d’un certain plafond, absence de réaction suite à l’émission par l’intéressé d’un relevé bancaire entaché de faux. La cour d’appel, bien indulgente envers la banque n’en déclare pas moins les prévenus entièrement responsables du dommage subi par la banque, les condamnant au paiement de l’intégralité des intérêts civils correspondant à l’intégralité des préjudices. Son arrêt énonce que l’indemnisation par l’auteur d’une infraction intentionnelle ne peut être réduite en raison de la simple négligence de la victime et nécessite une faute caractérisée de gravité certaine, laquelle doit avoir un rôle causal dans la réalisation du dommage. 

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Pour la chambre criminelle, en se déterminant ainsi, la cour d’appel, qui n’a recherché  qu’une faute d’une certaine gravité, alors qu’une faute simple suffisait pour prononcer un partage de responsabilité, a méconnu les articles 2 du code de procédure pénale et 1382 devenu 1240 du code civil et le principe  selon lequel il se déduit de ces textes que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité civile de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l’appréciation appartient souverainement aux juges du fond.

Dans un important arrêt rendu dans la célèbre affaire Kerviel contre Société Générale (Cass. crim., 19 mars 2014, n° 12-87.416 : Bull. crim. n° 86) la chambre criminelle juge qu’en matière d’infractions intentionnelles contre les biens, la faute de négligence de la victime ayant concouru à son dommage, diminue l’étendue de son droit à réparation, dans une proportion laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond. Ce revirement de jurisprudence a été conforté par plusieurs décisions ultérieures et l’arrêt du 16 mars 2022 démontre la constance de cette solution parfaitement logique et conforme à la loi, l’ancienne jurisprudence  refusant la diminution de la réparation de la victime négligente pour éviter que l’auteur d’une infraction intentionnelle contre les biens ne tire un quelconque profit de son délit, privilégiant abusivement la morale au détriment du droit. Mais le présent arrêt apporte une intéressante précision en jugeant qu’une faute de négligence de la victime d’une gravité certaine n’est pas exigée, une simple faute de négligence suffisant. Il condamne ainsi fermement la distinction innovante faite par la cour d’appel, distinction réduisant la portée de la jurisprudence Kerviel. Aussi cet arrêt aurait-il mérité, semble-t-il une publication au Bulletin criminel.

Wilfrid Jeandidier, Professeur agrégé des facultés de droit
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