Abus de confiance : nécessité d'une remise à titre précaire et inopérance du simple retard à restituer
07.02.2022
Gestion d'entreprise

L’abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire. Le retard dans la restitution de la chose louée n’implique pas nécessairement le détournement de l’objet, élément essentiel de l’abus de confiance.
L’arrêt rendu le 15 décembre 2021 par la chambre criminelle de la Cour de cassation réaffirme avec force – au prix d’une double censure – deux règles classiques en matière d’abus de confiance.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Pas d’abus de confiance sans le préalable d’une remise à titre précaire
En l’espèce le gérant de fait d’une société recevait des chèques d’acomptes des clients de cette société mais la moitié des chantiers de construction de piscines n’a jamais commencé et les autres chantiers n’ont jamais été terminés. La cour d’appel ajoute que devant le juge d’instruction le prévenu a indiqué que les acomptes reçus « comblaient le découvert » de l’entreprise et qu’il a sciemment reçu ces fonds alors que « les comptes étaient déjà dans le rouge », en sachant que les chantiers ne seraient pas réalisés. Au visa de l’article 314-1 du code pénal selon lequel l’abus de confiance ne porte que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire, la chambre criminelle casse la décision attaquée. En effet en se déterminant ainsi par des motifs faisant apparaître que les fonds, remis en vertu de contrats de marchés de travaux, l’ont été en pleine propriété, peu important la connaissance par le prévenu dès la remise des fonds de son impossibilité d’exécuter les contrats, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si les faits poursuivis pouvaient recevoir une autre qualification, a méconnu le texte susvisé.
Le détournement, élément matériel du délit d’abus de confiance, ne peut porter que sur un bien qui est resté propriété de la victime, abusée par l’agent ; l’exemple typique étant celui de fonds confiés par un mandant à un mandataire à une fin précise non respectée. La remise de la somme d’argent a été opérée à titre précaire. Mais il en va tout autrement si les fonds remis à l’agent sont devenus sa propriété en vertu du type de contrat conclu en l’occurrence, la remise n’étant plus faite à titre précaire. On ne détourne pas sa propre chose et l’abus de confiance devient inconcevable, puisque la valeur protégée par cette incrimination est le droit de propriété d’autrui : c’est de la pure logique juridique et c’est ce qu’a toujours jugé la chambre criminelle. Et tel était le cas en l’espèce, les fonds remis par les clients d’un entrepreneur dans le cadre de contrats de marchés de travaux étant des acomptes devenus la propriété de l’accipiens. Deux arrêts récents de la chambre criminelle ont sans surprise jugé identiquement pour des acomptes versés dans le cadre de ce même contrat de marché de travaux (Cass. crim., 6 mars 2019, n° 17-86.445 ; Cass. crim., 13 oct. 2021, n° 20-86.605). Alors comment expliquer la résistance de nombreuses cours d’appel qui persistent à condamner des « détournements » de fonds remis au titre de contrats non seulement d’entreprise, mais encore de vente, de travail salarié ou de prêt de consommation ? La clé du mystère se trouve dans les circonstances spécifiques de toutes ces affaires, la présente espèce étant à cet égard symbolique. Dès l’encaissement des acomptes l’agent savait qu’il n’exécuterait pas les travaux en raison de la situation catastrophique de son entreprise. L’élément intentionnel du délit prime ainsi que le non-respect de la finalité convenue. Mais un tel abus de confiance est une construction sans fondations. Il n’en demeure pas moins que l’impunité de l’agent est choquante : aussi depuis un important arrêt (Cass. crim., 5 avr. 2018, n° 17-81.085 : Bull. crim. n° 62), la chambre criminelle exige-t-elle des juges du fond qu’ils recherchent une qualification pénale de substitution. Dans la présente espèce on pourrait songer à la qualification de tromperie (C.consomm., art. L 441-1 et L 454-1) mais elle est inapplicable aux immeubles ; or les piscines sont des immeubles. Reste l’escroquerie par abus de qualité vraie (C. pén., art. 313-1), un entrepreneur auàx abois qui prend des commandes en étant dans l’impossibilité de les honorer abuse assurément de sa qualité d’entrepreneur. La relève pénale est donc ici possible pour la cour de renvoi.
Pas d’abus de confiance en cas d’usage prolongé des biens loués
Le même prévenu gérant de fait de deux sociétés avait loué entre 2009 et 2014 pour ces dernières à une tierce société six véhicules automobiles. Pour le condamner pour abus de confiance, l’arrêt frappé de pourvoi retient que ces véhicules ont été découverts par les enquêteurs en possession des compagnes de l’intéressé, de sa mère et de lui-même. Les juges précisent que, quel que soit le nom du locataire porté sur les contrats de location, il ressort des éléments du dossier que la société propriétaire des véhicules n’a été au contact que du prévenu et que l’utilisation des véhicules comme leur non-restitution sont imputables à ce dernier dans le cadre de ses activités de gérant de fait des sociétés preneuses. La chambre criminelle censure à nouveau l’arrêt attaqué au visa de l’article 314-1 du code pénal duquel il résulte que le retard dans la restitution de la chose louée n’implique pas nécessairement le détournement des objets, élément essentiel de l’abus de confiance. Or en se déterminant ainsi, sans constater le détournement des véhicules, qui ne peut se déduire du seul défaut de restitution, ni relever des faits qui impliqueraient nécessairement ce détournement, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé.
La Cour de cassation s’inscrit à cet égard dans la continuité de sa jurisprudence. L’usage prolongé de la chose louée reste équivoque et ne saurait être assimilé à un détournement caractérisé, pouvant procéder d’une simple négligence. C’est cependant pousser la tolérance fort loin puisque la haute juridiction a même jugé qu’il y avait encore simple retard en dépit d’une mise en demeure infructueuse (Cass. crim., 19 févr. 1990, n° 89-82.783). Dans la présente affaire la cour d’appel n’a pas su, semble-t-il, formuler correctement son raisonnement. Les faits paraissaient pourtant éloquents : les six véhicules utilisés par le prévenu et diverses femmes de son entourage avaient été découverts dans de telles circonstances par les enquêteurs, ce qui impliquait certainement un usage prolongé jusqu’à la démesure pouvant alors s’analyser en un détournement et pouvant même accessoirement évoquer des abus de biens sociaux ou des abus de confiance à l’encontre des sociétés preneuses. Il est d’ailleurs curieux que la chambre criminelle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir relevé des faits impliquant un détournement au regard de tels débordements. La voie de la condamnation ne semble dès lors pas fermée à la cour de renvoi si elle déduit expressément le détournement d’un tel usage privatif et prolongé à l’excès des véhicules et si elle indique que la société de location avait réclamé la restitution desdits véhicules.
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