Accord de non-débauchage et clause de non-sollicitation du personnel : « L’Autorité invite les entreprises à être vigilantes », Aude Guyon

Accord de non-débauchage et clause de non-sollicitation du personnel : « L’Autorité invite les entreprises à être vigilantes », Aude Guyon

19.06.2025

Gestion d'entreprise

Le 11 juin, l’Autorité de la concurrence a sanctionné deux ententes portant sur la mise en place d’accords généraux de non-débauchage. Pour la première fois, elle se prononce également sur des clauses de non-sollicitation du personnel. Aude Guyon, avocate associée du cabinet FBL revient sur les apports de cette décision.

L’Autorité de la concurrence a prononcé une sanction globale de 29,5 millions d’euros à l’encontre d’entreprises actives dans les secteurs de l’ingénierie, du conseil en technologie et des services informatiques. Elle leur reproche d’avoir mis en place des accords de non-débauchage prenant la forme de gentlemen’s agreements de portée générale sans limitation de durée.   

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Que faut-il retenir de cette décision ?

Dans cette affaire, l’Autorité de la concurrence a sanctionné des accords généraux de non-débauchage de salariés qui ont été convenus entre plusieurs sociétés. Elle a également analysé les clauses de non-sollicitation du personnel contenues dans des contrats de partenariat. Si l’Autorité a déjà eu l’occasion de sanctionner des accords de non-débauchage de salariés avec d’autres pratiques anticoncurrentielles lorsqu’ils s’inséraient dans le cadre d’une entente plus globale, c’est la première fois que l’Autorité sanctionne des accords généraux de non-débauchage en tant que tels. Dans le cadre de cette affaire, elle a souligné que ces accords de non-débauchage étaient anticoncurrentiels par objet.

En l’espèce, l’accord de non-débauchage était un accord général qui avait une portée très large tant sur le plan matériel que temporel. La sanction est d’autant plus forte qu’elle concerne un secteur très concurrentiel que l’Autorité cherche à protéger notamment pour favoriser la mobilité professionnelle et l’innovation.

Dans quelles situations une clause de non-sollicitation peut-elle être licite ?

Les clauses de non-sollicitation peuvent être licites si elles sont justifiées, limitées dans le temps et dans l’espace. Dans sa décision, l’Autorité de la concurrence a analysé les clauses de non-sollicitation du personnel contenues dans les contrats de partenariats. Dans cette affaire, elle ne les a pas sanctionnées, car elle a considéré qu’elles étaient suffisamment limitées et ciblées et qu’elles étaient justifiées par rapport aux objectifs poursuivis.

Mais l’Autorité appelle à la vigilance particulière des entreprises s’agissant de l’insertion de telles clauses puisqu’elle indique dans son communiqué que « cette analyse ne préjuge toutefois pas de la possibilité que de telles clauses, compte tenu des circonstances propres à chaque espèce, soient considérées comme anticoncurrentielles par objet dans de futurs dossiers ». Cela signifie qu’elle n’exclut pas que des clauses de non-sollicitation soient sanctionnées par la suite.

Des décisions similaires ont-elles été rendues au niveau européen ?

A presque une semaine d’intervalle, la Commission européenne a sanctionné pour la première fois un accord de non-débauchage dans le secteur de la livraison des denrées alimentaires en ligne. Dans cette affaire, des concurrents, Delivery Hero et Glovo, avaient mis en place plusieurs pratiques :

  • des accords de non-débauchage, initialement limités à certains cadres dans le cadre d’un pacte d’actionnaires, qui se sont étendus à des pactes généraux interdisant toute sollicitation de personnel respectif ;
  • des échanges d’informations sensibles ;
  • une répartition géographique de marchés.

Ces deux décisions récentes, traduisent une volonté convergente de l’Autorité de la concurrence et de la Commission européenne de préserver le bon fonctionnement du marché du travail, en sanctionnant les pratiques de non-débauchage entre entreprises susceptibles de restreindre la mobilité des salariés, l’innovation et la concurrence.

Le recours à la procédure de clémence a-t-il joué un rôle déterminant dans la sanction ?

La procédure de clémence joue un rôle clé dans la détection des ententes. Elle permet à l’Autorité de la concurrence d’être informée directement par l’une des entreprises impliquées, ce qui facilite considérablement son travail d’investigation. Dans cette affaire, l’Autorité de la concurrence a certes eu besoin de faire des perquisitions, mais l’entreprise ayant demandé la clémence lui a apporté les éléments nécessaires pour les réaliser. La procédure de clémence a également un intérêt pour l’entreprise : en étant la première à révéler les faits, elle obtient une immunité d’amende.

Comment les DJ doivent-elles encadrer les relations inter-entreprises pour éviter ce type de pratiques ?

Il est important de sensibiliser les équipes aux règles de conformité au droit de la concurrence. Si l’Autorité sanctionne plus fréquemment des pratiques d’ententes sur les prix ou de répartition de marchés, les entreprises doivent faire preuve de vigilance lorsqu’elles mettent en place des accords de non-sollicitation ou des clauses de non-concurrence. Les directions juridiques doivent veiller à ce que les clauses de non-sollicitation du personnel soient limitées dans le temps, dans l’espace, et qu’elles soient proportionnées aux intérêts légitimes à protéger dans le contrat en cause.

Plus généralement, que recommandez-vous aux DJ compte tenu de cette décision ?

Les directions juridiques peuvent d’abord réévaluer les clauses de non-sollicitation ou de non-concurrence contenues dans leurs contrats de prestations, de partenariat, de cession... Le risque, on le voit, n’est pas théorique puisque l’Autorité de la concurrence peut sanctionner un accord de non-débauchage ou de non-sollicitation du personnel, même pris isolément, si elle considère qu’il est anticoncurrentiel. Par ailleurs, il est recommandé de mettre en place des audits réguliers de conformité en droit de la concurrence afin de prévenir les risques.  Enfin, la sensibilisation des équipes est un levier essentiel, notamment pour faire comprendre que les pratiques en apparence « RH » peuvent avoir des implications concurrentielles majeures, d’autant plus que les sanctions de non-conformité au droit de la concurrence sont particulièrement élevées.

Propos recueillis par Joséphine Bonnardot
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