Lors d'un webinaire organisé par par l'Institut du travail de Strasbourg dans le cadre des rendez-vous du dialogue social, le 27 mai, Nicole Maggi-Germain, maître de conférences HDR en droit social à l'Institut des sciences sociales du travail de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, a livré les points de vigilance pour les entreprises qui souhaiteraient signer un accord sur le congé menstruel (1).
Constatez-vous un essor des accords collectifs sur le congé menstruel ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Lorsque des propositions de loi ont été déposées sur le congé menstruel, des entreprises ont devancé le sujet pour des raisons multiples. Certaines en raison d'un engagement sociétal (RSE) préexistant, d'autres parce que leur activité ou leur statut d’association les portaient naturellement vers ces formes d’engagement, par exemple parce qu’elles interviennent dans le domaine environnemental. La prise en compte du bien-être des femmes dans le cadre du travail s’inscrit alors dans un ensemble de valeurs que souhaite porter l’entreprise. Mais attention, une telle démarche peut aussi participer d'une absence de réflexion globale sur les conditions de travail dans l'entreprise. Les sujets sont alors abordés de manière très ponctuelle.
Lors de ce webinaire, vous avez insisté sur le risque d'essentialiser les femmes en concluant un accord sur le congé menstruel. Pouvez-vous nous expliquer vos craintes ?
Certains accords relatifs aux menstruations incapacitantes essaient de décrire les pathologies en s'appuyant sur des signes extérieurs ; on en revient presque à l'hystérie de la femme du 19e siècle (l'irritabilité etc) ! D'autres fois, l'accord se contente de poser la question sous le seul angle de l’absentéisme. Le risque existe alors d'enfermer un peu plus la femme dans son état biologique et de la reléguer aux tâches domestiques. En effet, si le télétravail peut être l'une des solutions adoptées par les accords, il est aussi une manière de la cantonner - une fois de plus - dans des tâches administratives. On pense ici aux policières dont l’exemple est donné dans les débats parlementaires. Ces femmes, qui exercent une activité sur le terrain, vont alors réaliser des tâches administratives. Il y a une forme de naturalisme dans cette approche qui enferme la femme dans un ensemble de déterminismes qui reproduisent des schémas de division du travail domestique. Les récentes études des sociologues sur le télétravail montrent d’ailleurs qu’il a conduit à renforcer la division sexuée des tâches et que leur prise en charge devient alors un des éléments dans la volonté des femmes de télétravailler (2).
L’autre question qu’il faudrait se poser est celle de la pertinence, pour une entreprise, de s’emparer de la question du congé menstruel. N’est-ce pas une manière d’éviter de s’interroger sur les conditions de travail ?
Pouvez-vous préciser ce point ?
Les menstruations incapacitantes renvoient la femme à son état biologique. Pour ne pas essentialiser le problème, il conviendrait de l'englober dans un accord plus large comme, par exemple, la possibilité - pour les femmes mais aussi pour les hommes - de mieux articuler vie privée et vie professionnelle. Le sujet peut également intégrer un accord sur la parentalité ou sur l'égalité professionnelle : comment concilier ces temps de vie personnels qui mettent en jeu des problèmes de santé chez les femmes, mais aussi chez les hommes ? Il faut banaliser l’idée qu'il existe des événements de l'intime, de la vie privée, qui ont des effets sur l'organisation du travail.
L'un des accords que j'ai étudiés montre une volonté de prise de distance en inscrivant ces menstruations incapacitantes dans un ensemble d'autres phénomènes, y compris ceux qui peuvent concerner les hommes (andropauses, problèmes de prostate...) qui connaissent aussi des signes de vieillissement susceptibles d’interférer sur les conditions de travail.
Se pose aussi la question de l'indemnisation de ce congé...
Oui, l'endométriose, par exemple, source de dysménorrhée, est avant tout un problème de santé publique, notamment parce que des liens sont aujourd’hui établis avec les perturbateurs endocriniens. Le législateur a encore tendance à reporter sur l'entreprise un certain nombre d'obligations qui devraient relever de la prise en charge collective et de la solidarité nationale. A défaut, le risque existe de créer des inégalités très fortes entre les entreprises qui auront adopté ce congé pour menstruations incapacitantes sans jour de délai de carence, et donc sans perte de salaire, et celles dans lesquelles c'est la sécurité sociale qui continuerait à indemniser les jours d’absence pour maladie. On a du mal à comprendre que le problème ne soit pas mieux pris en charge par la sécurité sociale, en particulier en facilitant la reconnaissance de certaines pathologies menstruelles comme affection de longue durée.
Vous constatez l'échec de ce congé au Japon alors qu'il existe depuis 1947
Là encore, se pose la question de la reconnaissance et de la banalisation d’événements venant rythmer les cycles biologiques et susceptibles d’avoir des effets sur l’organisation du travail. Au Japon, pays dans lequel les relations entre les employés et l’entreprise relève d’une quasi allégeance, ce congé n'est jamais utilisé car cela ne se fait pas. Il y a, derrière cela, toute une culture, toute une représentation du rôle que doit tenir la femme dans un cadre professionnel : œuvrer au bon fonctionnement de son entreprise en s’effaçant.
(1) Cette étude a été réalisée dans le cadre d'un projet de recherches japonais portant sur "L’étude juridique et comparée du système de santé globale et adapté à la physiologie des femmes", Hiroyo Tokoro, professeur à la faculté de droit de l'université de Fukuoka, Miu Shibuta, chercheuse rattachée à l'Université de Hirosaki et Eri Kasagi, professeur à l’Université de Tokyo, 5 juin 2024. Nicole Maggi-Germain, "La création d’un congé pour menstruations incapacitantes : un enjeu d’égalité professionnelle entre les femmes et hommes ?", Revue trimestrielle de droit du travail Kikan-Rôdôhô, Japon, mars 2025 également publié dans la revue Droit social, Etudes, n° 10, octobre 2024, p. 804 à 812 (première partie), n° 11, novembre 2024, p. 915 à 919 (2e partie).
(2) Marianne Le Gagneur, "Le télétravail facilite-t-il vraiment l’articulation des temps sociaux ?", Connaissance de l’emploi 197, juillet 2024.
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