Accords de "pay-for-delay" du secteur pharmaceutique soumis au droit de la concurrence
17.02.2020
Gestion d'entreprise

Certains accords de règlement amiable des litiges entre fabricants de médicaments princeps et fabricants de produits génériques sont interdits par le droit de la concurrence.
Dans le secteur pharmaceutique, les litiges de brevet opposant des fabricants de médicaments princeps à des fabricants de médicaments génériques sont parfois réglés par des accords amiables qui ont pour objet ou pour effet de retarder l’entrée des médicaments génériques sur le marché, et par là-même de restreindre la concurrence. Ces accords, désignés dans la pratique par l’expression "accords de report d’entrée", ou "pay-for-delay", peuvent être visés par les dispositions des articles 101 et 102 TFUE qui interdisent respectivement les ententes et les abus de position dominante.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Pour la première fois, la CJUE rend un arrêt qui précise les conditions d’application de ces interdictions à ce type d’accords.
En l’espèce, la Cour était saisie d’une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction du Royaume-Uni, le "Competition Appeal Tribunal", portant sur l’interprétation des articles 101 et 102 du TFUE dans le cadre d’un recours contre une décision de la "Competition and Markets Authority", Autorité de la concurrence et des marchés, infligeant des sanctions pécuniaires à des entreprises du secteur pharmaceutique coupables d’avoir conclu des accords amiables de règlement de leurs litiges constitutifs d’ententes et d’abus de position dominante. Ces accords avaient été conclus pour mettre un terme aux litiges liés aux actions en contrefaçon exercées par un fabricant de médicaments princeps titulaire d’un brevet de procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public, contre des fabricants de médicaments génériques s’apprêtant à entrer sur le marché du médicament contenant ce principe actif. Ces derniers avaient réagi en contestant la validité de ce brevet ou le caractère contrefaisant des médicaments génériques concernés. Aux termes des accords de règlement amiable de ces litiges, d’une part les fabricants de génériques s’engageaient notamment à ne pas entrer dans le marché considéré avec leurs produits pendant une durée convenue, d’autre part le fabricant de médicaments princeps s’obligeait à effectuer d’importants transferts de valeur en leur faveur.
La "Competition and Markets Authority" a jugé que ces accords avaient pour objet d’inciter les fabricants de génériques à abandonner leurs efforts pour entrer dans le marché considéré de manière indépendante pendant la durée convenue, et s’apparentaient donc à des accords d’exclusion du marché interdits par l’article 101 TFUE. Cette juridiction a jugé également que la conclusion de ces accords par le fabricant de médicaments princeps constituait de sa part un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE. Ce dernier et les fabricants de génériques soutenaient au contraire que ces accords ne constituaient pas des infractions au droit de la concurrence de l’UE. La juridiction d’appel saisie du recours contre le jugement de la "Competition and Markets Authority" a alors sursis à statuer et posé à la CJUE plusieurs questions préjudicielles relatives aux conditions d’interdiction des accords litigieux par les dispositions des articles 101 et 102 TFUE.
Dans son arrêt la Cour ne rappelle pas la condition commune que ces accords doivent remplir pour relever de l’une ou l’autre de ces interdictions, à savoir être susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres de l’Union, mais définit les conditions propres à chacune d’elles.
Ces accords sont visés par la prohibition des ententes s’ils ont pour objet ou pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence dans le marché intérieur, ce qui suppose l’existence d’un rapport de concurrence au moins potentielle entre le fabricant titulaire du brevet de médicament princeps et les fabricants de médicaments génériques qui, en l’espèce, n’étaient pas encore entrés sur le marché à la date de conclusion des accords. La preuve de l’existence d’un tel rapport de concurrence doit être établie in concreto puisque selon la Cour, afin d’apprécier si une entreprise absente d’un marché se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec une ou plusieurs autres entreprises déjà présentes sur ce marché, il convient de déterminer s’il existe des possibilités réelles et concrètes que cette première intègre ledit marché et concurrence la ou les secondes. Ainsi, en présence d’un accord ayant pour conséquence de maintenir temporairement hors du marché une entreprise, il y a lieu de déterminer s’il aurait existé, en l’absence de cet accord, des possibilités réelles et concrètes que cette entreprise accède audit marché et concurrence les entreprises qui y sont établies. Ce critère exclut que le constat d’un rapport de concurrence potentielle puisse découler de la seule possibilité purement hypothétique d’une telle entrée, ou encore d’une simple volonté du fabricant de médicaments génériques en ce sens. A l’inverse, il ne requiert nullement qu’il soit démontré avec certitude que ce fabricant entrera effectivement sur le marché concerné, et plus encore qu’il sera en mesure par la suite de s’y maintenir.
L’existence d’une concurrence potentielle doit être appréciée en tenant compte également d’éléments objectifs spécifiques à l’espèce tels que des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable, des contraintes règlementaires particulières du secteur du médicament, des droits de propriété intellectuelle, et en particulier des brevets détenus par les fabricants de médicaments princeps portant sur un ou plusieurs procédés de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public.
Enfin, permettent aussi d’apprécier l’existence d’une concurrence potentielle, des éléments subjectifs propres à l’entreprise présente sur le marché et à celle voulant y pénétrer. Ainsi la manière dont l’entreprise présente sur le marché perçoit l’existence d’une concurrence potentielle, est un élément pertinent pour l’apppréciation de l’existence d’une telle concurrence entre elle-même et une entreprise extérieure. En effet, si cette dernière est perçue comme un entrant potentiel sur le marché, elle peut, par sa seule existence, être à l’origine d’une pression concurrentielle sur l’entreprise en place sur ce marché. Quant à l’entreprise extérieure, l’accomplissement des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur l’entreprise en place, ou sa capacité et sa détermination ferme d’entrer sur le marché malgré le risque de se voir confronté à une action en contrefaçon peuvent être révélateurs de l’existence d’une concurrence potentielle.
Les accords en cause relèvent de la prohibition des ententes s’ils sont la source d’une restriction de concurrence par objet ou par effet.
La Cour rappelle que la qualification de restriction de concurrence par objet est conditionnée à la constatation d’un degré suffisant de nocivité des accords considérés pour la concurrence en raison de leur teneur, de leurs objectifs, et de leur contexte économique et juridique. Compte tenu de la diminution sensible du prix de vente des médicaments concernés à la suite de l’entrée sur le marché de leur version générique, cette nocivité est établie dès lors que les transferts de valeur convenus dans un accord tels que ceux de l’espèce ne peuvent s’expliquer, compte tenu de leur importance, que par l’intérêt commercial des parties à ne pas se livrer à une concurrence par les mérites, ces transferts incitant les fabricants de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché visé. La Cour ajoute que la qualification de restriction de concurrence par objet dépend aussi des effets proconcurrentiels éventuels générés par les accords dont il s’agit, ces effets ne pouvant toutefois en tant que tels suffire à écarter cette qualification, leur prise en compte devant rester limitée à l’évaluation du seul degré de nocivité des accords sur la concurrence, tout en permettant néanmoins, le cas échéant, de douter raisonnablement de cette nocivité.
Si l’analyse de l’objet des accords ne révèle pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il convient alors, observe la Cour, d’établir l’existence d’une restriction de concurrence par effet, en tenant compte du cadre concret de ces accords, notamment de leur contexte économique et juridique, des conditions réelles de fonctionnement et de la structure du marché concerné, sans oublier que les effets restrictifs de concurrence peuvent être tant réels que potentiels, mais qu’ils doivent toujours être suffisamment sensibles pour que lesdits accords relèvent de l’interdiction des ententes.
Des accords tels que ceux visés dans l’affaire au principal peuvent être interdits à la fois par l’article 101 et par l’article 102 TFUE. Il en est ainsi car la stratégie contractuelle d’un fabricant de médicaments princeps en position dominante sur un marché est susceptible d’être sanctionnée non seulement au titre de l’article 101 TFUE, à raison de chaque accord pris individuellement, mais également au titre de l’article 102 TFUE, pour l’éventuelle atteinte supplémentaire que cette stratégie porte à la structure concurrentielle d’un marché dans lequel le degré de concurrence est déjà affaibli, du fait de la position dominante qu’y occupe ce fabricant.
Cependant, l’existence d’une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux lorsque ceux-ci sont attaqués, ni de la faculté, dans une mesure raisonnable, d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts. Ainsi, l’exercice d’un droit exclusif lié à un droit de propriété intellectuelle, comme la conclusion d’accords de règlement amiable entre le titulaire d’un brevet et des contrefacteurs éventuels, afin de mettre un terme à des litiges relatifs à ce brevet, fait partie des prérogatives du titulaire d’un droit de propriété intellectuelle. L’exercice d’un tel droit, alors même qu’il serait le fait d’une entreprise en position dominante, ne saurait donc constituer en lui-même un abus de celle-ci. Mais de tels comportements ne peuvent être admis lorsqu’ils ont précisément pour objet de renforcer la position dominante de leur auteur et d’en abuser, en particulier lorsqu’ils visent à priver des concurrents potentiels avérés d’un accès effectif à un marché, comme celui d’un médicament contenant un principe actif tombé dans le domaine public.
La Cour rappelle par ailleurs que le caractère abusif d’un comportement visé par l’article 102 TFUE suppose qu’il puisse restreindre la concurrence, notamment en produisant des effets d’éviction tels que ceux relevés en l’espèce par les juridictions britanniques, provoqués par la série d’accords de règlement amiable conclus à l’initiative du fabricant de médicaments princeps. Cette série d’accords, qui s’inscrivait dans une stratégie d’ensemble de la part de ce fabricant a eu, si ce n’est pour objet, du moins pour effet de retarder l’entrée sur le marché de médicaments génériques contenant le principe actif considéré. Une telle stratégie contractuelle constitue en principe une pratique faisant obstacle, au préjudice du consommateur final ou des systèmes nationaux de santé, au développement de la concurrence sur le marché concerné et produit en outre un effet significatif de verrouillage du marché.
Pour autant toutefois, une pareille stratégie n’est pas nécessairement condamnable car selon une jurisprudence constante, une entreprise occupant une position dominante peut justifier des agissements susceptibles de tomber sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE en établissant que l’effet d’éviction que son comportement entraîne peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent notamment aux consommateurs. À cet effet, il appartient à l’entreprise occupant une position dominante de démontrer :
- que les gains d’efficacité susceptibles de résulter du comportement considéré neutralisent les effets préjudiciables probables sur le jeu de la concurrence et les intérêts des consommateurs sur les marchés affectés,
- que ces gains d’efficacité ont été ou sont susceptibles d’être réalisés grâce audit comportement,
- que ce dernier est indispensable à la réalisation de ceux-ci,
- qu’il n’élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle.
L’appréciation du caractère justifié d’une pratique susceptible de tomber sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE suppose donc une mise en balance des effets favorables et défavorables pour la concurrence de la pratique concernée.
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