Depuis la loi Macron, les grands distributeurs qui concluent des accords d'achats groupés doivent en informer l'Autorité de concurrence. Une procédure suivie en 2018 par Auchan, Casino, Metro et Schiever pour créer leur centrale d'achat commune «Horizon». Deux ans après, et à la suite du renforcement de ses prérogatives avec la loi Egalim, la rue de l'échelle a validé ce dossier. Une analyse sur laquelle revient pour nous la présidente de l'Autorité.
Le 22 octobre, l'Autorité de la concurrence acceptait les lourds engagements concédés par Auchan, Casino, Metro et Schiever au sujet de leur centrale d'achat Horizon, développée en 2018. La décision dévoile la grille d'analyse de l'Autorité sur les accords de regroupement à l'achat.
Gestion d'entreprise
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Que doit-on retenir de la décision sur la centrale d’achat Horizon ?
C’est la première décision dans laquelle l’Autorité approuve des engagements en matière de centrales d’achat conduisant à modifier assez sensiblement l’accord d’envergure entre ces quatre distributeurs. C’est aussi la première fois que nous avons appliqué de nouvelles dispositions datant de la loi Egalim qui avait modifié en profondeur le dispositif instauré en 2015 par la loi Macron. Ce texte soumettait la constitution de centrales d’achat à une obligation d’information auprès de nos services. La loi Egalim a ensuite complété le dispositif, en permettant notamment à l’Autorité de prononcer des mesures conservatoires. Un pouvoir que nous avons utilisé dans cette décision. Sur le fond aussi, c’est la première fois que nous nous sommes penchés de façon aussi approfondie sur l’impact d’un accord à l’amont - vis-à-vis des producteurs - et à l’aval - en ce qui concerne la concurrence entre les enseignes -.
Il vous a semblé possible d’appliquer le dispositif de la loi Egalim à un accord communiqué avant son adoption…
Nous avons considéré qu’il s’agissait de dispositions de procédure qui étaient donc d’application immédiate. Par ailleurs, cela s’insérait dans un dispositif en vigueur depuis 2015 - dans ses fondamentaux - même s’il a été assez sensiblement modifié avec la loi Egalim. L’objectif était alors de doter l’Autorité de moyens plus puissants pour pouvoir examiner ces accords, par un allongement du délai préalable dans lequel ils doivent être communiqués à l’Autorité, la possibilité de réaliser un bilan concurrentiel et d’imposer des mesures conservatoires permettant d’examiner en urgence un accord de ce type.
L’accord a donc été figé pendant l’analyse de l’Autorité ?
Non. Il n’y a pas eu d’effet de « standstill ». Les parties ont pu continuer à l’appliquer. Ce qu’elles ont fait. Et la décision n’a pas d’effet rétroactif : elle vaut pour l’avenir. Dans quelques semaines nous rendrons notre décision sur le dossier Carrefour/Tesco. Dans ces deux affaires, les parties ont eu la possibilité de continuer à appliquer leur accord pendant le temps de l’instruction.
Vous évoquez, dans la décision, la possibilité pour l’Autorité de mener un bilan concurrentiel à l’avenir sur ce dossier. Dans quel cas pourriez-vous le faire ?
Cette possibilité permet à l’Autorité de réclamer aux parties des éléments d’appréciation. C’est un pouvoir général que nous détenons pour tous les accords à l’achat en cours d’exécution. Nous voulions aussi insister sur le fait que le sujet des centrales d’achat est au cœur des priorités de l’Autorité. Nous entendons être vigilants sur ce point. Notre décision comporte également un certain nombre d’éléments de suivi, notamment sur l’exécution des engagements. Cela permettra de vérifier que les engagements permettent effectivement de prévenir les atteintes à la concurrence, notamment les effets sur le marché amont et la protection des PME produisant les MDD (produits à marques de distributeurs, ndlr).
L’obligation de communication à l’Autorité des accords de regroupement à l’achat n’est-elle pas une notification ex-ante ?
L’obligation de communication préalable est très différente de ce que serait une obligation formelle de notification, comme en matière de contrôle des concentrations. En 2015, lors de l’adoption de la loi Macron, comme en 2018 lors du débat sur la loi Egalim, il y a eu un débat important au Parlement pour savoir si les accords à l’achat devaient désormais, notamment dans le domaine de la grande distribution de produits alimentaires, être soumis à une notification comme celle que nous connaissons en matière de contrôle des concentrations. Certains élus plaidaient en ce sens. Le choix a finalement été de ne pas aller jusque-là. Le législateur n’a pas souhaité basculer vers un régime d’autorisation. Ces accords ne sont pas constitutifs d’une opération de concentration. Ils ne sont donc pas, de façon générale, soumis à autorisation. La logique reste bien celle d’une information.
Avec le nouvel arrêté d’application de la loi Egalim, l’Autorité détiendra toutefois beaucoup plus d’informations qui devront lui être transmises par les parties. Nous avions cependant déjà, dans le cadre de l’application de la loi Macron, pour habitude de demander un certain nombre d’éléments aux entreprises pour pouvoir porter une appréciation sur les accords. L’arrêté représente davantage une facilitation et une clarté pour les entreprises, quant à ce qu’elles doivent nous indiquer, qu’une révolution.
La procédure demeure vraiment différente d’une autorisation puisque les entreprises ne sont pas tenues d’attendre pour mettre en œuvre leur accord. Un dialogue s’instaure cependant avec l’Autorité qui peut leur faire des observations. Il est arrivé à plusieurs reprises, depuis la loi Macron, que des accords soient modifiés sur des points problématiques. C’est donc un processus auquel les entreprises doivent être vigilantes. Mais il n’y a pas l’effet d’attente de l’autorisation, avec le risque de sanctions en cas de mise en œuvre anticipée.
Comment vous organisez vous en interne pour examiner les accords à l’achat ?
Depuis 2015, c’est une charge importante pour l’Autorité. Nous avons confié cette mission à l’unité d’instruction qui suit les dossiers antitrust en matière de grande distribution. Nous n’avons pas d’unité dédiée.
Comment avez-vous mené l’analyse sur le dossier de la centrale Horizon ?
L’Autorité a réalisé une analyse approfondie de l’impact de cet accord. Ce qui était significatif et que nous n’avions pas encore vu dans les accords passés, c’était qu’il portait sur des MDD. Cela soulevait des problématiques nouvelles, par rapport à des accords à l’achat qui, historiquement, concernaient uniquement les MDF (marques de fabricants, ndlr). Les MDD à la différence des MDF sont créées par les distributeurs et sont un élément de différenciation entre eux. Par ailleurs, les producteurs investissent en R&D, en réflexion produit, pour définir ces MDD.
Les producteurs peuvent aussi être associés à la préparation des MDD (sur le marketing, le packaging, etc). Nous avons réalisé un large test de marché, et avons reçu beaucoup d’informations préliminaires de leur part. Grâce à cette consultation, nous avons obtenu des informations sur les marges moyennes pour les entreprises, les prix, la différenciation entre les enseignes par les consommateurs lorsqu’ils achètent ces MDD, etc. Cette consultation nous a éclairés pour appréhender la centrale Horizon et elle nous guidera dans nos analyses des futurs accords. Le panorama économique ayant été dressé, des risques concurrentiels nous sont apparus. Celui d’une réduction de la concurrence : lorsque Auchan et Casino mettent en commun leurs achats de MDD, cela conduit à ce qu’elles proposent le même produit de MDD, la même recette, même si le packaging peut être différent. Il y a aussi un risque à l’amont pour les PME : celles-ci peuvent, compte tenu de la conclusion des accords, être placées dans une situation plus défavorable du fait de la pression qui va s’exercer sur leurs prix et sur leurs marges, et ce d’autant plus qu’elles ne bénéficient pas, le plus souvent, de garanties de volumes, et qu’en parallèle, il y a des accords MDF. Il peut donc y avoir des effets cumulés entre les accords MDD et MDF.
Les engagements consentis par les opérateurs devaient donc ne pas trop réduire la concurrence entre les enseignes. C’est pourquoi il était justifié que les engagements excluent de l’accord les produits les plus différenciants que nous avons identifiés.
On est dans un moment un peu particulier où les attentes du consommateur sont en phase de mutation assez profonde et rapide. Ils ont des aspirations pour des produits élaborés dans des conditions plus éthiques, meilleurs pour la santé. Le score nutritionnel devient un élément de choix pour le consommateur. Le bio se développe, est l’une des gammes de produits qui croît le plus vite et qui est la plus rentable pour les producteurs. Les aspects de différenciation sont d’autant plus importants qu’on est face à un consommateur qui évolue. Une MDD bio ou qui mettrait en avant le mode d’élaboration des produits ou le fait qu’ils soient bons pour la santé, peut vraiment être un élément permettant aux enseignes de se différencier. Cela a été une dimension importante de notre analyse.
Un autre élément important des engagements est l’exclusion des accords des produits pour lesquels les opérateurs pèsent très lourd, pour éviter une déstabilisation des PME. Pour cette appréciation un seuil de 15 % de pouvoir de marché a été pris en compte. Concernant certaines filières très fragilisées enfin, le lait et les œufs par exemple, les engagements conduisent à ce qu’elles ne puissent pas faire partie de l’accord. C’est une analyse multicritères qui a été réalisée avec une prise en compte des réalités au plus près du terrain. Il nous a fallu 2 ans pour mener ce travail. Nous avons désormais une grille d’analyse que nous pourrons assez rapidement appliquer à d’autres accords.
Quels sont vos conseils aux directions juridiques qui rédigent en ce moment des accords d’achats groupés ?
Attention à toute mise en commun concernant des produits différenciants. Sur des produits standards ou communs, on peut toujours plaider que cela ne réduira pas trop la concurrence à l’aval. Un autre élément important est celui du poids de l’opérateur sur le marché. Auchan, Casino sont deux poids lourds de la grande distribution en France. Si on est une entreprise plus petite, les risques systémiques seront moins importants : elles ont donc davantage de marge pour imaginer des accords à l’achat. Ensuite, si on pèse plus de 15 % sur le marché – référence qui existe aussi dans les lignes directrices de la Commission européenne en matière de concentrations horizontales – il faut être particulièrement vigilant. Attention encore si on envisage des achats en commun dans des filières en grande difficulté sur lesquelles l’accord va ajouter une pression supplémentaire sur les producteurs.
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