Accords "offensifs" pour l'emploi : des DRH prudents

Accords "offensifs" pour l'emploi : des DRH prudents

04.04.2016

Gestion du personnel

Les DRH accueillent, sans grand enthousiasme, la proposition du gouvernement de négocier des accords de développement de l’emploi. Principal risque ? Détériorer le climat social. Sans pouvoir apporter des garanties fermes, en contrepartie, de concessions sur le temps de travail et les rémunérations.

Les DRH sont-ils prêts à mettre en place des accords offensifs ? Alors que le projet de loi El Khomri prévoit de conclure des accords de "développement de l’emploi", pour permettre aux entreprises de conquérir de nouveaux marchés ou de signer de nouveaux contrats, les professionnels RH restent prudents. Les chances de voir aboutir de telles négociations semblent minimes.

La proposition avait pourtant été émise, dès 2013, lors des assises nationales de l’ANDRH. L’association, présidée alors par Jean-Christophe Sciberras, DRH du groupe Solvay, préconisait, de négocier, dans la droite ligne de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 et de la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013, des accords non plus "défensifs" de maintien dans l’emploi mais "offensifs" afin de renouer avec la croissance économique. Quelques entreprises, à l’instar de Renault, PSA, Bosch, Michelin, avaient, d’ailleurs, pris les devants. Avec à la clef, une plus grande flexibilité du temps de travail et une modération salariale en échange d’un maintien des implantations et d’un engagement d’activité supplémentaire.

Des négociations prises en exemple par le gouvernement. "Dans de nombreux cas, ces accords ont permis de sauvegarder ou de redresser la compétitivité des entreprises, de gagner de nouveaux marchés et, in fine, de maintenir l’emploi", indique l’étude d’impact du projet de loi Travail.

Des marges de manœuvre limitées pour les DRH

Ces accords comportent toutefois plusieurs risques. En premier lieu, celui de déclencher un bras de fer avec les syndicats. Le projet de loi prévoit des accords majoritaires. A défaut, les organisations syndicales ayant réuni au moins 30% des suffrages de salariés pourront lancer une consultation des salariés. "Mais les syndicats n’accepteront pas ce genre de deal", alerte Sylvain Niel, président du Cercle des DRH et avocat associé au sein du cabinet Fidal. "Les DRH devront avoir de solides atouts dans leurs manches pour parvenir à un donnant-donnant", renchérit Alexis Ducos, fondateur de Homo Erudis & Homo Responsabilis, cabinet conseil spécialisé dans l’externalisation de la gestion RH, ex DRH de Fiskars. Car quelles contreparties négocier en échange d’une baisse de salaire annuelle ou d’une hausse du temps de travail ? Même si le texte prévoit que la rémunération mensuelle du salarié ne peut diminuer.

"Il est plus facile de convaincre lorsque l’entreprise est dans une mauvaise passe, reconnaît Gabriel Artero, président de la fédération métallurgie CFE-CGC qui demande le retrait de cette disposition du projet de loi. Dans un accord "défensif", on traite l’urgence tandis qu’avec un accord "offensif", on fait des paris sur l’avenir". Surtout, "les DRH n’ont pas toutes les cartes en main pour répartir équitablement les efforts entre employeurs et salariés. Quid des dividendes des actionnaires ?".  Le risque étant que "la masse salariale devienne la variable d’ajustement". Difficile dans ce contexte de maintenir intacte la motivation des salariés sans dispositif attractif. D’autant "que le climat social n’est pas au beau fixe. Après plusieurs années de vaches maigres, peu d'entre eux consentiront à faire de nouveaux sacrifices", prévient Alexis Ducos.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Peur de ne pas tenir les promesses

Les DRH butent sur un autre problème : "le manque de visibilité économique, observe Alain Everbecq, DRH de Poclain Hydraulics qui avait négocié, dès 2009, l’un des premiers accords défensifs sur l’emploi. Ils vont réfléchir à deux fois avant de s’engager dans des promesses qu’ils ne pourront pas tenir. Les entreprises ont du mal à anticiper leurs marchés sur deux à trois ans".

Qualité du dialogue social

Philippe Portier, secrétariat national de la FGMM-CFDT, juge toutefois "qu’il est trop tôt pour conclure à un échec potentiel du dispositif même s’il faudra peut-être du temps pour que les entreprises s’approprient ce type de démarche". "Les organisations syndicales devront s’adapter au contexte économique de l’entreprise, au plus près du terrain". A charge pour "le DRH de proposer des contreparties acceptables" : primes supplémentaires, durée limitée de l’accord, compensation en temps de repos, surplus d’intéressement ou de participation…. Son succès repose néanmoins sur "la loyauté des acteurs". Or, "malgré la mise en place de la BDES et le lancement des consultations annuelles sur les orientations stratégiques, le dialogue social peine à trouver ses marques". Le recours à un expert-comptable, mandaté par le comité d'entreprise, pourrait, à ses yeux, combler ces failles. "Y compris pour les entreprises dépourvues de CE".

C’est, en effet, de ce dialogue que découlera l’adhésion ou non des partenaires sociaux. "Nous avons signé les accords de compétitivité de Renault et PSA car nous avions réussi à trouver des conditions acceptables sur le maintien des sites de production, le volume de production des véhicules et la pérennisation des emplois", fait valoir Gabriel Artero. Même s'il se dit davantage partisan d’accords de branche pour border le dispositif. "90% des entreprises de la métallurgie ont moins de 50 salariés".

Sécuriser les accords

Pour rendre le dispositif attractif, le gouvernement a revu sa copie. Côté employeurs, il tente de sécuriser juridiquement ces "deals". Le texte prévoit, en effet, qu’un salarié qui refuserait de se voir appliquer l’accord pourrait être licencié par l’employeur. Il ne s’agirait pas alors d’un licenciement économique (comme pour les actuels accords de maintien dans l’emploi) mais d’un licenciement pour motif personnel, justifié par le refus de se voir appliquer l’accord. "Son licenciement sera donc beaucoup plus difficile à contester devant le juge", note Philippe Portier. C’est aussi ce licenciement "sui generis" qui avait été retenu dans le cadre des accords d’aménagement du temps de travail des lois Aubry. De plus, l’entreprise ne sera pas tenue de mettre en place son obligation de reclassement.

Côté syndicats, la révision des durées maximales du temps de travail, dans la V2 du projet de loi, a rassuré. Les partenaires sociaux voyant dans les dispositions initiales la fin effective des 35 heures pour les entreprises qui le souhaitent. En cas de modulation, le dépassement ne peut désormais excéder 46 heures sur 12 semaines. La V1 envisageait une durée de 46 heures hebdomadaires sur une période de 16 semaines consécutives. Soit "un intérêt plus limité pour les employeurs", concède Alexis Ducos. En réalité, ces accords pourraient même permettre de "réduire le temps de travail car nombre d’entreprises sont aujourd’hui en sous-charge", alerte Philippe Portier.

Même sort que les accords défensifs ?

Garde-fous suffisants pour éviter que cette mesure ne connaisse le même sort que les accords défensifs (moins d’une dizaine ont été conclus) ? "C’est un dispositif poudre aux yeux, indique Sylvain Niel. La loi n’a jamais créé d’emploi". "Les TPE ne respectent pas la législation à la lettre, remarque Alexis Ducos. Quant aux grands groupes, ils cherchent à harmoniser leurs process RH au niveau mondial". D’où le risque d’engendrer un système à deux vitesses. Les accords offensifs devenant, dans ce cas, l'exception française.

Anne Bariet
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