En mars dernier, le groupe LVMH a réussi le tour de force de faire fabriquer en Chine et acheminer en France des masques chirurgicaux au nom et pour le compte de l’État. Retour sur cette opération menée en urgence, en pleine crise sanitaire, et en dépit des règles et contraintes de la commande publique.
Tout a commencé par un appel à l’aide du directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le vendredi 13 mars. « J’ai reçu un SMS de Martin Hirsch me disant : "dans 72h, on n’a plus de gel" », raconte Marc-Antoine Jamet, le secrétaire général du groupe LVMH Moët Hennessy-Louis Vuitton. « J’ai immédiatement informé Bernard Arnault, qui a aussitôt pris la décision de transformer nos chaines de production parfums & cosmétiques en chaines de production de gel hydroalcoolique ». Ce même week-end, un nouveau SMS du directeur de l’AP-HP lui annonce que la situation est encore plus dramatique en ce qui concerne les masques de protection.
« Bernard Arnault a immédiatement mandaté une toute petite équipe - Claude Martinez, patron des parfums et cosmétiques, pour la coordination, un acheteur, Dominique Garnier, un logisticien, Guillaume Méchain, un scientifique, Bruno Bavouzet, et moi - pour trouver un fournisseur chinois capable de livrer des millions de masques en urgence », poursuit le secrétaire général de LVMH. Une dizaine de jours après cet appel à l’aide, la première cargaison de masques, chirurgicaux et FFP2, est arrivée sur le tarmac en France : 10 millions de masques, d’une valeur d’environ 6 millions d’euros, que le numéro 1 mondial du luxe a offert à l’État. L’opération a été renouvelée au cours des semaines suivantes et 30 millions de masques supplémentaires ont ainsi été livrés, cette fois aux frais de l’État.
Pour mener à bien cette opération, la poignée de dirigeants et de cadres mobilisée par Bernard Arnault a pu s’appuyer sur l’expertise d’un avocat, Vincent Brenot, associé spécialisé en droit public chez August Debouzy. Contacté par le conseiller juridique du président de LVMH, Jérôme Sibille, lui-même ancien avocat, l’associé est intervenu pro bono. « Quand il a su que nous lancions cette opération, Vincent [Brenot] est venu vers moi en disant : "je veux en être" », se félicite Marc-Antoine Jamet, qui ne tarit pas d’éloge sur « l’extraordinaire pédagogie » dont a su faire preuve l’avocat dans ce contexte très particulier.
« Il a été l’intermédiaire entre l’acheteur public, soumis aux règles de la commande publique, et nous, qui avons l’habitude de prendre des décisions très vite et de prendre des risques. Il a réussi la difficile mission consistant à faire cohabiter deux modes de fonctionnement très différents, et cela a énormément fluidifié l’opération ». L’avocat a travaillé de concert avec Hélène Daniel, directrice juridique des parfums Christian Dior, « son point de contact chez nous ». Sollicité, l’associé d’August Debouzy n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Dans le cadre de cette opération, LVMH a agi « au nom et pour le compte de l’État », une formulation suggérée par l’avocat. Car même si le groupe a payé la totalité de la facture, « l’acheteur c’est l’État : nous nous sommes substitués à l’État, qui n’avait pas de réseau commercial suffisamment fort et étendu en Chine », précise le secrétaire général du groupe. « Nous avons été un prestataire. Nous avons mis le matériel dans nos avions mais pas un seul masque n’a transité par notre base logistique de Saint-Jean-de-Braye. Nous les avons livrés sur une base militaire. » De même,
« il aurait été trop compliqué d’acheter les masques pour les revendre ensuite à l’État ».
En réglant la totalité de la facture, LVMH a fait une avance d’environ 26 millions d’euros (le prix des 30 millions de masques) à l’État. « Il fallait être souple », souligne-t-il, et « l’apurement de cette dette pourra éventuellement se faire par clearing, une renonciation à une créance fiscale ».
Sur le plan juridique, la grande difficulté a été de réussir à concilier l’urgence de la situation et les règles et procédures de la commande publique. Des contraintes difficilement compatibles. Et un casse-tête pour l’agence nationale de santé publique, Santé Publique France, et pour l’avocat, en charge de la rédaction des contrats. « Il n’était pas possible de remplir des dizaines de dossiers et de fournir une multitude de renseignements administratifs, ni d’attendre d’avoir trois devis de fournisseurs… », explique Marc-Antoine Jamet.
Surtout, pour pouvoir signer au plus vite, les clauses contractuelles devaient être « allégées » en termes de garanties :
« Vincent [Brenot] a réussi à faire prendre conscience à l’acheteur public qu’étant donné l’urgence de la situation le contrat ne pouvait pas être un contrat habituel, avec toutes les garanties du monde. Il était notamment difficile d’imposer des pénalités de 15 % à LVMH en cas de retard d’acheminement ou d’imposer au fournisseur chinois une clause disant "vous nous rembourserez si ça ne va pas"… Il a fait un formidable travail pour rassurer la direction juridique de Santé Publique France sur ces clauses resserrées en matière de garanties et de délais, tout en préservant la sécurité juridique du contrat et en veillant à ne pas exposer au risque le groupe LVMH ».
Ce contrat ad hoc est d’ailleurs devenu une référence par la suite. « Ce "contrat masques" a été repris pour faire un "contrat respirateurs", et je crois qu’il a été réutilisé par d’autres groupes, tels que l’Oréal, pour des opérations avec Santé Publique France ».
Les premiers masques chinois fournis grâce à LVMH sont arrivés en France alors qu’était promulguée l’ordonnance du 25 mars 2020 qui introduit, en cas d’urgence, des aménagements significatifs des procédures de passation et d’exécution des marchés publics durant la crise sanitaire. Celle-ci prévoit notamment des dispositions dérogatoires concernant les règles de passation (possibilité de conclure un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence préalable), de délais de paiement, d’exécution et de résiliation (et notamment en matière de pénalités contractuelles). Quelques jours plus tôt, la direction des affaires juridiques de Bercy avait publié une note relative notamment aux conditions de passation en urgence des nouveaux contrats. Et quelques jours plus tard, le 1er avril, la Commission européenne a fixé les orientations sur l’utilisation des marchés publics dans la situation d’urgence liée à la crise sanitaire. L’ordonnance du 25 mars a depuis été modifiée le 22 avril dernier.
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