Adaptation des conditions de travail au climat : la France est-elle prête ?

Adaptation des conditions de travail au climat : la France est-elle prête ?

25.05.2025

Gestion du personnel

Les événements climatiques inquiétants se succèdent mais l'heure n'est toujours pas à la mobilisation. Aborder cette question par le prisme des conditions de travail permet d'évaluer le retard pris dans le monde du travail. Dans ce premier volet de notre article, nous nous penchons sur le rôle des pouvoirs publics. Les outils existants sont-ils suffisants ? Quels leviers comptent-ils activer pour accélérer les nécessaires prévention et adaptation ?

Les inondations qui se sont produites à Valence en Espagne, en octobre 2024, ont marqué les esprits. Elles sont une illustration des conséquences dramatiques du changement climatique et du manque d'anticipation, tant des pouvoirs publics que des entreprises. L'Espagne a rapidement réagi en créant un congé climatique afin d'éviter les déplacements en cas d’aléas climatiques. Ce congé d'une durée maximale de quatre jours, rémunéré par l'Etat, s'adresse aux salariés qui travaillent dans une région concernée par une alerte météorologique émise par les autorités qu’il s’agisse d’une mairie, d’une région ou du gouvernement central.

Rien de comparable n'existe en France. Mais les choses pourraient évoluer. En effet, des sénateurs viennent de déposer une proposition de loi visant à accorder un congé en cas de catastrophe naturelle. Ainsi, le salarié résidant habituellement dans une zone où un état de catastrophe naturelle a été constaté par arrêté interministériel pourrait bénéficier d’un congé personnel destiné à l’aider à faire face aux conséquences de cette catastrophe sur sa situation personnelle. Ce congé n’entraînerait pas de réduction de la rémunération et serait assimilé à du temps de travail effectif pour la détermination de la durée du congé payé annuel. La durée du congé ne serait pas imputée sur celle du congé payé annuel. Une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche pourrait déterminer la durée totale maximale du congé et les délais dans lesquels le salarié adresse sa demande de congé. A défaut de convention ou d’accord, la durée maximale du congé serait de deux jours pour chaque catastrophe naturelle constatée. 

Une réglementation très parcellaire

En dehors de cette proposition de parlementaires récente, tous les experts s'accordent à dire que, si la France est dotée d'un arsenal juridique suffisant pour faire de la prévention en matière de santé et de sécurité au travail, elle reste à la traîne lorsqu'il s'agit de réfléchir aux conséquences à plus long terme des effets du réchauffement climatique et à de nouvelles organisations de travail.

C'était notamment l'objet d'une conférence organisée le 5 mars dernier par la Direction générale du Trésor en collaboration avec le ministère du travail, de la santé et des solidarités.

Isabelle Desbarats, professeur de droit à l'université Toulouse Capitole a, à cette occasion, fait le point sur les outils juridiques mobilisables. "Le droit du travail a des forces et des faiblesses. Il n'y a ni vide juridique, ni réglementation adaptée". Ne serait-ce que la fixation d'une température maximale au-dessus de laquelle il n'est plus possible de travailler "qui n'existe ni au niveau national ni au niveau européen". "Par ailleurs, déplore-t-elle, les principes généraux de prévention sont communs à tous les risques professionnels, à savoir neuf principes généraux de prévention applicables à toute situation de travail, pour tous les risques dont "les facteurs ambiants".

 

Le neuf principes généraux de prévention

L'article L.4121-2 du code du travail liste les neuf principes généraux de prévention :

  1. éviter les risques ;
  2. évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
  3. combattre les risques à la source ;
  4. adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
  5. tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
  6. remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
  7. planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L.1152-1 et L.1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L.1142-2-1 ;
  8. prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
  9. donner les instructions appropriées aux travailleurs.

 

Les entreprises doivent également procéder à l'évaluation des risques professionnels, les retranscrire dans le DUERP et élaborer un plan d'action ou un Papripact selon l'effectif de l'entreprise. Si des "mesures réglementaires complètent cela pour le travail en intérieur et le travail en extérieur (...) elles restent très parcellaires et spécifiques. Il existe également des dispositions applicables en cas de sous-traitance et des obligations renforcées en cas de canicule pour les départements en vigilance rouge, ainsi que le dispositif pénibilité".

Une panoplie juridique peu adaptée en somme. Comment aller au-delà afin de mieux répondre aux problématiques posées par les perturbations du climat ? 

Le PNACC 3 veut renforcer les pouvoirs de l'inspection du travail

Le 10 mars 2025, le gouvernement a lancé le troisième plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC 3). Parmi les mesures qu'il comporte, il est prévu de renforcer les obligations de prévention pour les employeurs afin de préserver la santé et la sécurité des travailleurs et d'attribuer de nouveaux pouvoirs d’intervention à l’inspection du travail en période de fortes chaleurs lui permettant de faire cesser immédiatement les situations de danger grave et imminent liées à l’exposition à la chaleur et en l’absence de mesures de prévention appropriées.

Autres mesures préconisées : développer les équipements de protection individuelle (EPI) contre les risques liés aux effets de la canicule, finaliser l’adaptation du régime du BTP-Intempéries, lancer une réflexion pour l’ensemble des métiers en extérieur, afin de prendre en charge de manière pérenne les conséquences économiques des arrêts de travail liés aux vagues de canicule au sein des entreprises. 

La surveillance de la mortalité et de la morbidité associées aux vagues de chaleur sera également renforcée. Une étude sera conduite par Santé Publique France, en partenariat avec la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), "dans l’objectif d’analyser de manière rétrospective la répartition spatio-temporelle des cas d’accidents du travail des régimes général et agricole, toutes causes confondues ou en précisant dans la mesure du possible des causes spécifiques en lien avec la chaleur".

Une concertation dans le cadre du Coct pour renforcer la législation

Une concertation va également être menée avec les partenaires sociaux dans le cadre du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct). Le Coct, que nous avons interrogé, nous a précisé qu'un projet de texte règlementaire est en cours de finalisation, après la consultation des partenaires sociaux avec une ambition de publication d’ici l’été. "Son objectif est de renforcer les dispositions de prévention au sein du code du travail et du code rural pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs lors des vagues de chaleur durant la période de vigilance canicule. Ce projet vise à modifier les dispositions du code du travail, notamment celles relatives aux ambiances thermiques, et à introduire de nouvelles dispositions de prévention des risques professionnels liés aux épisodes de forte chaleur", nous a précisé le Coct.

Ces travaux s’inscrivent dans le cadre des orientations du Plan santé au travail (PST4) et du plan de prévention des accidents du travail graves et mortels PATGM). Le Coct nous a également indiqué que "les actions de sensibilisation et de contrôle des mesures de prévention déployées par les entreprises seront reconduites à l’été 2025, ciblées notamment sur les secteurs les plus exposés (BTP, agriculture, restauration, logistique, etc.). Au niveau national, des actions de communication autour des risques liés aux vagues de chaleur seront également redéployées, en lien étroit avec les acteurs de la santé au travail, et notamment les services de prévention et de santé au travail". 

La faiblesse des dynamiques territoriales autour de ces enjeux

Le réchauffement climatique pose également la question de relocalisations d'activité, encore peu anticipée en France. En octobre 2024, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) s'est penchée sur les enjeux sociaux du changement climatique. Elle a passé au crible les différentes politiques menées. Le constat est assez accablant. "A court terme, les conséquences des effets directs du changement climatique sur les dynamiques territoriales de l’emploi restent peu anticipées".

L'Igas recommande d'identifier les territoires économiquement les plus impactés par les effets directs du changement climatique, à court/moyen/long terme, et les conséquences pour l’emploi, incluant les effets en termes de migrations internes et d'initier des dynamiques de concertation territoriale, en matière d’évolution de l’emploi, en articulation avec les travaux des COP (conférence des parties) régionales.

Lors de la conférence du 5 mars 2025, Mireille Chiroleu-Assouline, professeure d'économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à la Paris School of Economics a tout de même précisé que "certaines collectivités ont commencé à relocaliser des activités, ce qui a des impacts sur des personnes et leurs familles, qu'il faut déplacer des services publics notamment dans des zones côtières".

Le problème est d'autant plus complexe que le réchauffement climatique ne sera pas homogène, comme l'a démontré France Stratégie dans une étude ("Le travail à l'épreuve du changement climatique").

"Les zones qui se sont réchauffées fortement n'abritent que 7 % des travailleurs métropolitains, avertit l'économiste. Les zones d'emploi dont il faudrait le plus se préoccuper (zones géographiques et tâches réalisées) sont des zones très réparties sur le territoire et pas seulement sur l'arc méditerranéen, ce qui constitue un élément de complexité supplémentaire". Selon elle, il convient de "décentraliser [ces politiques] et de rendre autonomes les collectivités territoriales dans leur recherche d'adaptation. Il faut également recourir "au levier du contrat d'assurance pour fournir des incitations à l'adaptation des territoires avec des primes différenciées selon les avancées".  

Le chantier à mener est donc conséquent. Le dialogue social peut-il venir à la rescousse ? C'est ce que nous analyserons dans le second volet de notre article publié demain. 

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Florence Mehrez
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