Dans cette seconde partie de notre article, nous nous penchons sur le rôle des entreprises en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de prévention pour protéger la santé et la sécurité des salariés. Dans quelle mesure est-il objet de dialogue social ou peut-il le devenir ?
La première partie de notre article montre une mobilisation tardive et lacunaire des pouvoirs publics pour adapter les conditions de travail au changement climatique. Les solutions se situeraient-elles plutôt au plus près du terrain en faisant appel aux acteurs du dialogue social ? Contraints ou volontaires, les partenaires sociaux se sont emparés de manière dispersée du sujet. "En matière de conditions de travail, on a tendance à redescendre au niveau le plus proche du travail pour la pertinence des mesures, constate Amandine Michelon, chargée d'études au sein du Groupe Alpha.
Le sujet est d'autant plus important pour les entreprises que 65 % des personnes interrogées dans le cadre d'une enquête menée par le groupe SOS, publiée le 11 février 2025, ont déclaré que leur organisation avait été touchée par des conditions météorologiques extrêmes au cours des cinq dernières années. Les inondations apparaissent comme le problème le plus courant pour 72 % des répondants. Parmi les personnes gravement touchées, 80 % ont signalé des perturbations opérationnelles, 54 % des dommages aux infrastructures et près d’un quart ont subi des blessures corporelles parmi les employés ou leurs familles. Or, 36 % des organisations ne disposent pas de plans et de politiques complets pour faire face aux événements météorologiques extrêmes et 57 % n’ont pas effectué d’évaluation des risques liés à ces menaces.
Pourtant les entreprises disposent désormais de leviers supplémentaires. Les pouvoirs publics ont ainsi amplifié le rôle des acteurs du dialogue social en leur confiant le soin de réfléchir aux conséquences sur leur organisation de travail. Tel est le sens de la loi "climat et résilience" du 22 août 2021 qui a entraîné un "verdissement du droit du travail", comme l'a souligné Isabelle Desbarats, professeur de droit à l'université Toulouse Capitole, lors de la conférence organisée par la Direction générale du Trésor en collaboration avec le ministère du travail, de la santé et des solidarités, le 5 mars 2025. "Elle donne de nouvelles missions et de nouveaux moyens aux CSE et ouvre la négociation collective aux enjeux environnementaux en poursuivant les avancées de la loi LOM [loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019]. Toutefois, indique-t-elle, "la fusion des instances [a entraîné] une réduction du nombre d'élus, une moins bonne prise en charge des enjeux de santé au travail et un déficit d'expertise. Il existe des effets de seuil pour les petites structures les plus exposées aux changements climatiques (BTP, transports). En effet, la CSSCT est obligatoire dans les entreprises d'au moins 300 salariés et la BDESE dans les entreprises d'au moins 50 salariés". Il existe en outre "des problématiques d'appropriation des outils ; le DUERP, et la BDESE sont insuffisamment ouverts aux enjeux climatiques en lien avec le travail". Une étude de Réalités du dialogue social de 2024 attestait déjà de cette faible mobilisation des CSE sur le sujet.
Surtout, les CSE ont-ils le temps et les moyens d'aborder ces questions ? "Dans les grandes entreprises percutées de plein fouet par ces sujets-là, qui sont donc en première ligne (ArcellorMital, Engie, EDF), le sujet est abordé. Leurs CSE sont montés en compétences, et ont eu des appétences assez fortes pour la transition écologique, note Amandine Michelon. Pour le reste, c'est très disparate. Les questions de conditions de travail, de santé et de sécurité, sont reléguées dans les CSE à des sujets de seconde zone car ces derniers sont surchargés et ont moins d'élus. Ces questions ont perdu en importance mais les enjeux n'ont pas disparu du tout, loin de là même, on l'a vu avec le Covid. Mais le format et l'organisation du CSE sont moins propices à une prise en charge de ces questions-là. Il faut une montée en compétences des CSE". Toute la question est donc de savoir "comment on fait revenir ce sujet qui paraît très éloigné dans le quotidien et comment on montre que ce n'est pas un sujet supplémentaire à traiter mais bien une problématique globale qui infuse dans tout", insiste Camille Langlais, chargée d'études transitions écologiques au sein du Groupe Alpha.
La CSRD pourrait être une nouvelle porte d'entrée pour le dialogue social. "La CSRD est intéressante pour les aspects d'anticipation des risques, indique Camille Langlais. Je le vois dans les rapports de durabilité que je commence à lire, les questions des conditions de travail et de l'adaptation au changement climatique y figurent et peuvent donc constituer un levier supplémentaire pour aborder ces questions".
C'est ce que confirme Sébastien Millet, avocat associé au sein du cabinet Ellipse Avocats. "Il y a autant de niveaux de maturité que d'entreprises. Certaines sont dans des secteurs où c'est déjà une réalité comme le BTP ou l'énergie. Et celles liées par des exigences de reporting extra-financier, et désormais de rapport sur la durabilité (CSRD). Le sujet est monté dans les priorités des responsables des ressources humaines. L'intérêt pour les RH est de participer à l'engagement, à la marque employeur, être un bon relais tout en agissant en faveur de la prévention des risques professionnels. Cela reste toutefois compliqué pour les professionnels RH de s'embarquer sur des sujets qui sortent du périmètre naturel de leur métier".
Un temps d'avance pour les branches dont l'activité est liée aux conditions climatiques
Qui dit acteurs sociaux, dit aussi négociation. Les conséquences du réchauffement climatique peuvent être abordés à différents niveaux de négociation, tout du moins indirectement. L'article L.2241-1 du code du travail prévoit que les branches négocient sur l'exposition aux risques professionnels tous les quatre ans, "mais en pratique, constate Isabelle Desbarats, il y a peu d'accords de branche sur ce sujet notamment par rapport à ceux qui portent sur les salaires".
Au niveau interprofessionnel, l'ANI du 15 mai 2023 sur la branche AT/MP mentionne explicitement les "risques émergents" : en amont, via la question de la qualification d'AT/MP d'affections liées au réchauffement climatique. En aval, via la couverture sociale des risques environnementaux et le financement pour une sécurité sociale à dimension environnementale et écologique".
Toutefois certaines branches n'ont pas attendu que le sujet devienne prégnant, notamment parce que leur activité est directement impactée par les conditions climatiques ; elles ont donc un temps d'avance pour pallier les conséquences négatives pour les salariés. Tel est le cas du secteur des remontées mécaniques, tributaire des conditions climatiques. La convention collective nationale (CCN) prévoit ainsi que lorsque les conditions climatiques et atmosphériques font obstacle au fonctionnement normal de l'exploitation de l'entreprise ou d'un secteur géographique de celle-ci, et dans la mesure où aucun emploi de remplacement ne peut être proposé, les 48 premières heures perdues non travaillées au cours d'une année sont indemnisées ou récupérées.
Autre disposition intéressante, celle de la CCN des entreprises du secteur des paysages qui prévoit qu'en cas d'intempéries de caractère exceptionnel ayant fait l'objet d'une alerte météo, le salarié non informé par l'employeur ayant néanmoins fait le déplacement jusqu'à l'entreprise, le dépôt ou le chantier, bénéficie d'une indemnité forfaitaire de petit déplacement de zone 2.
Dans les industries des carrières et matériaux, en cas d'arrêt collectif du travail en raison d'intempéries, les ouvriers perçoivent une indemnité égale à 75 % du salaire perdu au-dessous de 35 heures par semaine. Là, il est précisé que ces mesures ne s'appliquent pas pendant la période de morte saison aux établissements dont l'activité est habituellement interrompue du fait des conditions climatiques.
Dans la CCN Ameublement négoce, en cas d'alertes intempéries déclenchées par les pouvoirs publics", des mesures de récupération sont prévues. Le responsable hiérarchique peut également autoriser le départ anticipé des salariés qui en font la demande, en cours de journée en tenant compte de la situation personnelle du salarié, de son éloignement, des moyens de locomotion. Le télétravail exceptionnel en raison d'intempéries est également prévu afin de tenir compte de situation ne permettant pas au salarié de se rendre dans l'entreprise.
Reste aux autres branches à s'emparer du sujet.
Au niveau des entreprises, Isabelle Desbarats rappelle qu'il existe une obligation de négocier sur l'égalité professionnelle et la QVCT une fois par an et que "rien n'interdit aux partenaires sociaux d'évoquer d'autres questions". Elle en veut pour preuve l'accord d'Eram Logistique de 2022 sur la canicule et les mesures de prévention du 7 juillet 2022. Cet accord définit la canicule comme une période de chaleur intense pour laquelle les températures atteignent ou dépassent les seuils départementaux pendant trois jours et trois nuits consécutifs et susceptible de constituer un risque sanitaire notamment pour les populations fragiles ou surexposées. Il met en place des mesures de prévention : messages affichés dans les espaces de communication de l'entreprise rappelant l'importance de l'hydratation, les principaux signes de la déshydratation, les signes annonciateurs du coup de chaleur et les moyens de s'en prémunir. L'entreprise s'assure que de l'eau fraîche est mise à disposition de chaque collaborateur. Des ventilateurs sont mis à disposition pour les postes qui le permettent. La pause de l'après-midi est allongée de cinq minutes. Les horaires sont avancés d'une heure.
Il s'agit de l'un des exemples d'accords d'entreprise existants. "On a repéré un peu moins d'une cinquantaine d'accords signés depuis 2017 qui abordent cette question de l'adaptation des conditions de travail au changement climatique [dans la base Légifrance], note Amandine Michelon. Evidemment ces accords sont principalement issus des secteurs d'activité auxquels on penserait c'est-à-dire le BTP, l'industrie lourde, les transports. Premier constat : on a une forte concentration sur tout ce qui est chaleur, canicule, travail en extérieur en période de fortes chaleurs avec peu, justement, sur la définition du seuil de température. En descendant au niveau des entreprises, le risque est d'avoir des démarches en silos et de créer des inégalités conséquentes sur des sujets importants, la santé et la sécurité au travail. On peut difficilement reprocher aux entreprises ces différences sachant qu'il n'y a pas de socle commun qui est posé".
Même constat de la part de Christian Pellet, président de Sextant Expertise, lors de la conférence du 5 mars. "C'est un sujet balbutiant en France. Dans 60 % des cas, il n'y a pas de définition des fortes chaleurs dans les accords d'entreprise". L'expert note une "répartition sectorielle et régionale de ces accords : agriculture, sylviculture et pêche représentent 20 % de ces accords" et constate que "ce n'est pas non plus dans les régions les plus exposées (Paca et Occitanie) qu'il y a le plus d'accords".
Christian Pellet a pointé un certain nombre d'accords d'entreprise intéressants. Tel est le cas de l'accord de la Compagnie de bus de Saumur qui prévoit des bus climatisés pour les périodes les plus chaudes de la journée, une interruption en cas de vigilance rouge, l'aménagement des horaires, la mise à disposition d'eau, la distribution de kits chaleur pour les conducteurs...". Il a également relevé l'accord d'Eram Logistique précité. "Les mesures mises en oeuvre sont extrêmement simples et c'est par le dialogue social local dans l'entreprise que ça se résout et non par la loi qui peut seulement fixer un cadre général, insiste-t-il. Le plus difficile est de se mettre autour de la table. Les solutions [sont trouvées] à partir du diagnostic sur le travail au plus près du terrain. Pour aller plus loin "il faut prévoir des mesures qui incitent fortement l'employeur à s'engager sur le sujet sinon cela n'avancera pas, comme conditionner les aides à la mise à jour du DUERP", juge Christian Pellet.
Accompagner les entreprises pour passer de la théorie à la pratique |
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Comment aider les entreprises sur ce sujet ? "Nous accompagnons les entreprises dans la réalisation d'une cartographie des risques et à son intégration dans le DUERP. L'idée est d'en faire un sujet qui infuse tous les autres parce que c'est la seule façon de construire des dispositifs intéressants et efficaces. Ce n'est pas un sujet qu'on peut traiter à part des autres sujets, estime Amandine Michelon. "Notre approche va consister à accompagner les élus, jouer sur l'organisation du travail pour prévenir les risques professionnels, c'est le coeur du dialogue social". "En ce qui concerne la question de l'organisation du travail, on trouve l'aménagement des espaces de travail et de zones d'ombre, des conditions de travail elles-mêmes, le renforcement du travail en équipe pour permettre une surveillance mutuelle, la mise en place de pauses chaleur, des moyens matériels (ventilation, adaptation des EPI plus légers, pas noirs...). On a trois autres sujets. Premièrement, tout ce qui concerne les cas de sinistralité et de catastrophes naturelles. On va avoir des accords qui prévoient la mise en place de l'activité partielle, des dons de jours pour les salariés sinistrés, qui convoquent ainsi la solidarité des salariés de l'entreprise (accord de Novandie pour le site de Vieil-Moutier du 5 janvier 2024). Deuxièmement, la question de savoir comment on s'adapte une fois que le sinistre a eu lieu, que les dommages sont là, comment on accompagne les salariés dans leur reconstruction. Enfin, troisièmement, les activités qui reposent sur des travaux de maintenance avec des pics d'activité à la suite d'événements climatiques extérieurs (infrastructures qui ont besoin d'être réparées). On trouve alors des accords d'augmentation du temps de travail pour répondre aux besoins de travaux à la suite d'un événement climatique extrême" (accord L'entreprise électrique du 18 juin 2024). Camille Langlais déplore toutefois certaines faiblesses de ces accords. "Dans ces différents accords, nous sommes dans la réaction et pas du tout dans l'anticipation et la prévention. Ensuite, on observe un décentrage de la responsabilité vers les salariés qui sont tenus de se surveiller mutuellement, de respecter des pauses de chaleur, d'accepter de l'activité partielle etc. En fait, il y a un risque avec cette absence de prise en compte au niveau national, de ne traiter ce sujet qu’au niveau des accords d’entreprise, et ainsi de créer de réelles disparités de traitement et de conditions de travail entre les salariés d’un même secteur, sans harmonisation ni seuil minimal à respecter pour tous. |
L'exemple d'AXA |
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Cette année, AXA France a renforcé sa feuille de route de prévention en santé avec un axe santé et climat. Le 7 avril 2025, Journée mondiale de la santé au travail, de nouvelles actions de prévention ont été lancées auprès des collaborateurs. Découpé en trois volets, ce programme de sensibilisation aborde trois impacts majeurs du changement climatique sur la santé :
En parallèle, AXA France propose des modules de formation santé et climat sur les gestes de prévention à adopter, un renforcement des connaissances des secouristes en santé mentale (PSSM) autour de l’anxiété, dont la question environnementale est l’une des principales sources, en particulier chez les jeunes. |
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