Affaire Altice/Reflets : «cette décision est dramatique»
17.10.2022
Gestion d'entreprise

La société Altice a attaqué le journal Reflets au nom du secret des affaires. Celui-ci n’a pas été reconnu mais le tribunal de commerce interdit quand même au média de publier de nouvelles informations sur l’entreprise pour faire cesser « un dommage imminent ».
La loi du 30 juillet 2018 sur le secret des affaires, légitimée par certains comme moyen de protéger le patrimoine immatériel des entreprises, vient, indirectement, d’être utilisée pour censurer un média. En août, des hackers ont publié des documents du groupe de télécoms et de médias Altice. Le journal en ligne Reflets les a utilisés pour réaliser, en septembre, plusieurs articles sur le président fondateur d’Altice, Patrick Drahi, et notamment sur son train de vie. Altice a assigné le site d’information. Dans une décision du 6 octobre, le tribunal de commerce de Nanterre interdit au journal de publier de nouvelles informations et le condamne à verser 4 500 € au groupe.
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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Virginie Marquet, qui a longtemps travaillé à la direction juridique de France Télévisions, est avocate spécialisée en droit de la presse. En 2015, elle a créé avec des journalistes le collectif « Informer n’est pas un délit » en réaction à l’introduction d’un « secret des affaires » dans le projet de loi dit « loi Macron ». Elle dénonce la récente décision.
Altice a choisi d’attaquer Reflets au nom du secret des affaires et non pas de la vie privée ou d’un délit de presse par exemple. Est-ce pour avoir affaire au tribunal de commerce ?
Il y a clairement une volonté de détourner des textes sur l’atteinte à la vie privée. Même pour faire valoir une atteinte au secret des affaires, Altice aurait pu saisir le juge judiciaire. On peut donc imaginer qu’il y a une volonté de saisir la juridiction commerciale, qui sera plus à même de sanctionner sans s'intéresser aux questions d’intérêt général et de liberté d’expression. Questions pour lesquelles elle n’est pas compétente, ce qu’elle dit d’ailleurs très clairement dans cette décision.
Le tribunal de commerce aurait-il dû alors, se déclarer incompétent ? Il ne le fait qu’à moitié...
Bien sûr ! C’est tout à fait étonnant de dire que les informations relèvent de la vie privée et qu’il n’y a pas d’atteinte au secret des affaires tout en fixant une sanction. D’une main il se dessaisit, de l’autre il prononce une interdiction, qui est une censure sans précédent de la presse. C’est très étrange.
Sur quoi s’est finalement prononcé le tribunal ?
Altice prend la voie du référé. Pour justifier une procédure d’urgence, il faut soit un trouble manifestement illicite, soit un dommage imminent. Le tribunal dit de manière explicite qu’il n’y a pas de trouble manifestement illicite relevant d’une violation du secret des affaires. Il dit qu’il y a un dommage imminent, matière à référé, parce que Reflets pourrait publier à l’avenir des informations qui causeraient un dommage. On est dans l’hypothèse la plus conditionnée.
Si le tribunal de commerce ne reconnaît pas de violation du secret des affaires, pourquoi dire, comme le fait un collectif de médias indépendants, que cette décision démontre le danger de la loi de 2018 ?
Ce que l’on craignait en 2018 se réalise bien : Altice invoque le secret des affaires comme fondement de son action. Avec cette loi et ces procédures judiciaires, le risque n’est pas tant l’issue judiciaire que le fait d’offrir de nouvelles opportunités pour porter atteinte à la liberté d’expression. D’ailleurs, je crois même que l’issue judiciaire n’est pas toujours l’objectif. L’idée est de multiplier des procédures, qu’on appelle baillons, à l’effet dissuasif. C’est déjà un début d’atteinte à la liberté d’expression.
Que la démarche sur le secret des affaires ne prospère pas ici, on peut s’en réjouir, mais le tribunal n’avait pas vraiment le choix. D’une part, les informations révélées relèvent plus du domaine de la vie privée que du secret des affaires. D’autre part, Altice elle-même, dans un communiqué cité dans la décision, indique qu’aucune donnée sensible n’a été compromise.
En revanche, le tribunal interdit à Reflets de publier de nouvelles informations sur Altice issues du piratage. C’est une première ?
Cette décision de censurer a priori est inédite. En France, le juge ne peut pas se prononcer sur quelque chose qui n’a pas encore été produit. Il y a parfois des référés pour interdire la diffusion mais à ma connaissance aucune de ces procédures n’a prospéré parce que le juge est très clair : il ne peut pas censurer a priori. Cette décision est dramatique.
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