Affaire Illumina/GRAIL : retour sur le premier cas d'application de la nouvelle politique de contrôle des opérations « sous les seuils »
01.11.2022
Gestion d'entreprise

Le 6 septembre, la Commission européenne a rendu une décision d'interdiction de l'acquisition par Illumina d'un de ses clients, GRAIL. Cette affaire constitue la première illustration entrant dans le champ de la nouvelle politique de mise en œuvre de l'article 22 du règlement sur les concentrations. Frédéric Puel, avocat associé et Lucie Marchal, avocat au sein du cabinet Fidal reviennent dans cette chronique sur les principaux apports de la décision.
Rendue publique en septembre 2020, l’opération d’acquisition de GRAIL par Illumina ne devait normalement pas susciter de difficultés au regard des règles européennes de contrôle des concentrations (Règl. (CE) n° 139/2004 du Conseil, 20 janv. 2004 : JOUE n° L 24, 29 janv.). En effet, en présence de chiffres d’affaires en deçà des seuils pertinents (la cible Grail ne générait encore aucun chiffre d’affaires au moment de l’opération, les tests qu’elle développe n’étant pas encore commercialisés), Illumina n’avait pas d’obligation de notifier l’opération à la Commission européenne. L’opération ne devait pas non plus être notifiée auprès des autorités de concurrence des États membres dès lors qu’elle n’atteignait aucun des seuils nationaux applicables.
C’était sans compter sur le souhait de la Commission européenne, exprimé par Mme Vestager lors de la 24e rencontre de l’International Bar Association en septembre 2020, d’accepter, dès mi-2021, d’examiner les demandes de renvoi au titre de l’article 22 du règlement sur les concentrations présentées par les autorités nationales de concurrence, y compris lorsque les opérations de concentration en cause ne franchissent les seuils nationaux de notification d’aucun État membre, et ce dès lors que les conditions fixées par cet article sont remplies. L’objectif poursuivi était de mieux appréhender le phénomène des acquisitions « prédatrices » ou « consolidantes » sous les seuils, qui sont constatées dans le secteur de l’économie numérique, mais aussi dans les secteurs pharmaceutiques et des biotechnologies, ainsi que dans certains secteurs industriels très concentrés.
Remarque : appelées aussi « killer acquisitions », les acquisitions « prédatrices » consistent pour une grande entreprise à racheter une start-up en vue de brider son innovation. L’objectif est d’éviter que la société cible puisse représenter un risque réel de concurrence sur un marché et ainsi empêcher qu’elle se développe. Dans le cas des acquisitions « consolidantes », l’objectif est, pour l’entreprise qui achète, d’intégrer à son écosystème de jeunes start-up dont elle développe l’activité afin de renforcer sa position sur le marché dominé ou des marchés voisins.
En effet, jusqu’alors, beaucoup d’opérations en dessous des seuils avaient échappé à tout contrôle en raison du recours exclusif à des seuils en chiffre d’affaires pour définir le champ d’application du contrôle des concentrations. A cet égard, on peut citer le rachat d’Instagram par Facebook ou le rachat de Waze et Youtube par Google.
En février 2021, la Commission a invité les États membres qui le souhaiteraient à lui adresser une demande de renvoi au titre de l’article 22 du règlement sur les concentrations après avoir constaté, à la suite d’une saisine sur plainte, que les conditions de mise en œuvre de cet article semblaient remplies. L’Autorité de la concurrence française a ainsi formé, le 9 mars 2021, une demande de renvoi à la Commission du projet d’acquisition de GRAIL par Illumina, à laquelle les autorités de concurrence grecque, belge, norvégienne, islandaise et néerlandaise ont ultérieurement demandé à se joindre. Ces demandes ont été accueillies par la Commission qui en a informé Illumina et GRAIL le 11 mars 2021 (lettre d’information).
Les deux entreprises ont alors formé un recours en annulation à l’encontre de ces décisions et de la lettre d’information. En parallèle, le 26 mars 2021, la Commission européenne a publié des orientations concernant l’application du mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 du règlement (Orientations de la Commission : JOUE n° C 113, 31 mars 2021).
Le Tribunal de l’Union européenne était donc amené à se prononcer sur la légalité de l’interprétation donnée par la Commission européenne à l’article 22 du règlement sur les concentrations, et en particulier sur la question de savoir s’il est possible de procéder à un renvoi (ascendant) d’une affaire vers la Commission alors que l’État membre lui-même n’a pas compétence pour connaître de l’affaire (TUE, 13 juill. 2022, aff. T-227/21, Illumina c/ Grail). Le Tribunal procède à une interprétation littérale, historique, contextuelle et téléologique de l’article 22 du règlement sur les concentrations au terme de laquelle il conclut que la Commission était fondée à se reconnaître compétente pour examiner la concentration en cause, ce qui constitue un changement d’approche majeur.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Le 16 juin 2021, les parties ont donc notifié le projet d’acquisition auprès de la Commission européenne, qui a ouvert une enquête approfondie le 22 juillet afin d’évaluer l’opération (Communiqué de presse n° IP/21/3844 de la Commission, 22 juill. 2021). Cependant, le 18 août 2021, alors que l’enquête était encore en cours, Illumina a annoncé publiquement que l’opération avait abouti, sans attendre la décision de la Commission.
La Commission, après en avoir informé les parties, a adopté des mesures provisoires contraignantes afin d’empêcher que l’opération puisse avoir des effets néfastes, potentiellement irréparables, sur la concurrence (Communiqué de presse n° IP/21/5661 de la Commission, 29 oct. 2021).
Le 19 juillet 2022, la Commission a adopté une communication des griefs alléguant qu’Illumina et GRAIL ont enfreint le règlement européen sur les concentrations en réalisant l’acquisition avant d’obtenir l’autorisation de la Commission. Cet acte ne préjuge pas de la position finale de la Commission mais, si les faits étaient avérés, Illumina et GRAIL encourraient une amende pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial de chaque entreprise (Communiqué de presse n° IP/22/4604 de la Commission, 19 juill. 2022).
A la suite de son enquête approfondie, la Commission conclut, dans sa décision du 6 septembre dernier non encore publiée, qu’elle n’autorise pas l’acquisition de la société GRAIL par la société Illumina qui « aurait freiné l’innovation et réduit le choix sur le marché émergent des tests sanguins de détection précoce du cancer » (Communiqué de presse n° IP/22/5364 de la Commission, 6 sept. 2022)
L’enquête approfondie de la Commission a en effet révélé qu’Illumina, seul fournisseur de NGS à des fins d’analyse génétique et génomique, « aurait eu la faculté de mener des stratégies de verrouillage contre les concurrents de GRAIL et aurait été tentée de le faire » (Communiqué de presse préc.). Selon la Commission, ces stratégies auraient eu un effet préjudiciable important sur la concurrence dans le domaine de la mise au point et de la commercialisation de tests de détection du cancer fondés sur la technologie NGS détenue par Illumina.
Même si la Commission a déjà eu l’occasion d’autoriser des opérations suscitant des craintes du point de vue concurrentiel en contrepartie de remèdes proposés par les entreprises concernées, en l’espèce, les mesures proposées par Illumina ont été jugées insuffisantes. Plus particulièrement, la Commission a conclu sur la base d’une étude de marché que la proposition de licence ouverte aux fournisseurs de NGS sur certains des brevets NGS d’Illumina n’aurait eu qu’une incidence limitée. De plus, Illumina avait proposé de conclure un engagement avec les concurrents de GRAIL aux conditions prévues dans un contrat type. La Commission a néanmoins jugé que cet accord aurait été facilement contournable et difficile à contrôler.
La Commission a ainsi estimé que les propositions d’Illumina n’étaient pas suffisantes afin de s’assurer que la concurrence émergente en matière de tests sanguins de détection précoce du cancer ne serait pas entravée, voire éliminée.
Il convient de noter qu’il est inhabituel pour la Commission d’interdire une opération de concentration verticale, dont les risques pour la concurrence sont moins importants que pour les concentrations horizontales. Par ailleurs, la position de la Commission va à l’encontre de la décision récente d’un juge de la Cour administrative de la Commission fédérale du commerce (FTC) américaine qui, en septembre 2022, a rejeté une plainte de la FTC contre l’acquisition de GRAIL par Illumina (US FTC Office of Administrative Law Judges, Illumina/GRAIL, Case No. 9401, Judgement, 9 Sept. 2022).
L’affaire n’est néanmoins pas terminée puisque cette décision, ainsi que la décision américaine, ont fait l’objet de recours.
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