Alerte interne : les espoirs portés par la mise en application de la loi Waserman

20.11.2022

Gestion d'entreprise

Plus de cas, plus de confidentialité, plus de dialogue et plus de protection... La loi entrée en vigueur au mois de septembre et son décret d'application devraient permettre de démultiplier les signalements internes.

Un bilan décevant ! C’est par une description des lacunes de la loi Sapin II, concernant le dispositif d’alerte interne à mettre en place au sein des entreprises, qu’a débuté le colloque organisé à la Maison du barreau de Paris par l’ACE et l’AFJE mercredi 16 novembre, sur le thème des contrôles AFA. Mais très vite, les espoirs nourris par la loi Waserman de mars 2022 - entrée en vigueur le 1er septembre dernier - ont dissipé les difficultés passées.  

Tout d’abord s’agissant du dispositif légal à appliquer pour construire un dispositif d’alerte : il y a « un empilement de textes en la matière » adressant des problématiques précises (droit du travail, atteinte à la probité, etc.), comme le rappelle Cécile Barrois de Sarigny, adjointe du Défenseur des droits chargée de l'accompagnement des lanceurs d'alerte. « Le régime transversal » édicté par la loi Waserman « prime » désormais ! Ce qui devrait faciliter la tâche des entreprises.

Les dispositions de la loi Sapin II en matière d’alerte interne étaient « plus ou moins mises en œuvre » par les entreprises, décrit François Jambin, chief compliance officer devoir de vigilance d’EDF et membre de la commission compliance de l’AFJE. Les grands groupes s’en sont saisis mais les plus petites structures ont essuyé des difficultés, précise William Feugère, avocat associé au sein du cabinet Feugère et Moizan, également président d’honneur de l’ACE. Et même pour les grandes entreprises, tout n’était pas parfait : si 94 % des sociétés assujetties à la mise en œuvre d’un programme de conformité anticorruption sont aujourd’hui effectivement dotées d’une procédure de signalement d’alertes (selon le dernier diagnostic réalisé par l’AFA), « beaucoup de salariés ne connaissent pas le dispositif », complète Benjamin Clady, conseiller conformité anticorruption au département de l’appui aux acteurs économiques de l’AFA. C’est ce qu’il ressort des entretiens qualitatifs menés par l’AFA pour réaliser son diagnostic.

« On peut s’attendre à une augmentation des signalements »

Avec l’entrée en vigueur de la loi Waserman, « on peut s’attendre à une augmentation des signalements », analyse François Jambin. Dès lors, le pendant pour les entreprises, c’est un risque réputationnel accru. « Il y a une nécessité forte pour les entreprises de renforcer leur dispositif ».  Avec la loi Waserman, la définition du lanceur d’alerte a été revue, les critères de la recevabilité des signalements sont assouplis, la protection des lanceurs d’alerte et de son entourage a été renforcée ou créée, etc. Le texte et son décret d’application imposent aussi de faire un retour au lanceur d’alerte une fois le signalement émis (dans les 3 mois suivant la réception de son alerte), notamment pour signifier les mesures conservatoires prises et définir un calendrier de traitement de l’alerte. Enfin le décret mentionne la nécessité de donner des ressources au personnel chargé de traiter les alertes internes, travaillant au service compliance, par exemple.

Typologie d’alertes reçues

Au sein des entreprises cotées, ce sont en majorité des alertes sur des risques psychosociaux, pour harcèlement moral ou discrimination qui sont signalées, précise François Jambin d’EDF. « Il faut communiquer sur l’existence du dispositif, son accessibilité » ainsi que sur « les typologies des alertes et leur nombre ». François Jambin en est convaincu. « On ne traite pas de la même manière une alerte interne sur des faits de corruption ou des risques psychosociaux », précise-t-il. Les guides sectoriels représentent donc une aide précieuse pour les entreprises : « on a besoin de ces repères-là ». 

La rédaction d’un guide pratique AFA-PNF sur la manière de mener une enquête interne anticorruption est en cours. Une consultation publique sur un projet a été lancée au printemps dernier. L’Agence espère pouvoir publier le guide début 2023.

Du côté du Defenseur des droits, les alertes remontées concernent surtout des problématiques environnementales, de corruption, de marchés publics ou de discrimination systémique, précise Cécile Barrois de Sarigny. « Nous sommes très peu saisis d’alertes dans nos domaines de compétence » (cas de discrimination individuelle ou de harcèlement, selon le décret d'application de la loi de mars 2022). L’activité du Défenseur des droits reste résiduelle à ce jour. Il a eu entre ses mains autour de 400 dossiers entre 2016 et 2021. Mais depuis l’entrée en vigueur des lois de mars 2022, entre 20 et 30 dossiers sont arrivées chez le Défenseur des droits qui peut désormais certifier la possibilité de pouvoir bénéficier du statut protecteur de lanceur d’alerte. Une certification qui ne pourra être rendue publique, sauf si le dossier va au contentieux et qu’un débat contradictoire est instauré avec l’employeur...

 

Le nouveau texte permet notamment au lanceur d’alerte d’opter, en début de parcours, pour le canal de signalement prévu par son entreprise ou de se tourner directement vers une autorité compétente en la matière, telle que le Defenseur des droits, l’AFA, l’AMF, etc. La loi « instaure une forme de compétition au bénéfice du lanceur d’alerte », assure Benjamin Clady. Mais « l’entreprise a toutes les armes pour être parfois mieux armée que l’administration ». Il argumente son propos en énonçant les résultats d’un récent sondage sur la confiance des Français dans la vie politique réalisé par le Cevipof. La moitié des français déclarent avoir confiance dans les grandes entreprises. Ce qui les situent au même niveau que la justice. Les entreprises sont mieux placées pour investiguer et recueillir le témoignage de leurs salariés sur les faits qui les concernent, poursuit Benjamin Clady, avant de préciser toutefois qu’elles n’ont pas les moyens d’un juge d’instruction… « Loin de là », renchérit François Jambin.

Nouvelle protection offerte aux facilitateurs

« La loi Waserman est très ambitieuse », estime Cécile Barrois de Sarigny, notamment parce qu’elle protège aussi les « facilitateurs » du signalement. En d’autres termes les proches du lanceur d’alerte, qu’ils s’agissent de personnes physiques et de personnes morales. Et le degré de protection est quasi similaire entre le premier et les derniers. « C’est un élargissement considérable », poursuit l’adjointe du Défenseur des droits. Toutes les parties prenantes de l’entreprise - association, actionnaire, co-contractant amont et aval – sont désormais concernées par ce régime protecteur. « On s’en félicite. C’était une des recommandations de l’AFA », précise Benjamin Clady. Il rappelle que l’alerte interne constitue le premier moyen de découvrir une fraude en entreprise, bien loin devant l’audit interne ou le travail réalisé par les commissaires aux comptes.

Autre point fondamental : celui de la mise en place d’une irresponsabilité civile à côté de l’irresponsabilité pénale, elle-même renforcée, notamment pour soustraction ou détournement de documents nécessaires à la divulgation de l’alerte (article 122-9 du code pénal). Mais attention à remplir les conditions prévues, prévient Cécile Barrois de Sarigny : « il n’y a pas d’immunité pour le vol de documents ». La loi a aussi introduit un soutien financier pour le lanceur d’alerte sous la forme d’une provision pour frais de justice.

Seule ombre au tableau, la question de la centralisation du dispositif d’alerte pour un groupe de sociétés. Au niveau de l’UE, la position est la suivante, rappelle Maria Lancri, avocate associée chez Squair Law, également co-présidente de la commission compliance éthique & RSE de l’ACE : il est nécessaire d’avoir une ligne d’alerte dans chacune des filiales sauf lorsque l'une d'entre elles embauche moins de 250 salariés. La loi française et le décret d’application ne seraient pas totalement sur la même ligne. Le dispositif permet de dépayser l’alerte si le lanceur d’alerte donne son feu vert au processus. « Le texte est d’interprétation peu claire », concède Benjamin Clady. Il estime toutefois que « tout ce qui n’est pas interdit par la loi est a priori autorisé ». Cela relève « du pouvoir d’organisation et de direction de l’entreprise », complète-t-il. Chez EDF l’organisation suivante a été mise en place : il existe une procédure identique dans chaque entité du groupe et une procédure au niveau de la maison-mère. Et le dépaysement est bien entendu privilégié.

Sophie Bridier

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