Anticorruption : «ce qu’il faudrait que l’UE arrive à faire, c’est ce que les Etats-Unis ont fait avec l’adoption du FCPA», estime A. Hamelle

Anticorruption : «ce qu’il faudrait que l’UE arrive à faire, c’est ce que les Etats-Unis ont fait avec l’adoption du FCPA», estime A. Hamelle

18.11.2020

Gestion d'entreprise

Une vingtaine de membres de la commission compliance du Club des juristes, dont le directeur juridique de Total, Aurélien Hamelle, plaident pour un droit européen de la compliance, dans un rapport dévoilé aujourd'hui. Il nous livre son contenu ainsi que sa vision pratique de la conformité anticorruption.

Rendu public aujourd'hui, le rapport du Club des juristes propose l'adoption d'un paquet européen anticorruption. Il s'inscrit dans le prolongement de la Tribune rédigée l'année dernière par l'ancien Premier ministre, Bernard Cazeneuve, désormais avocat chez August Debouzy et Pierre Sellal, ambassadeur de France. Rapport présenté ce matin au commissaire européen à la justice Didier Reynders. 

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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De quoi devrait être constitué le paquet européen anticorruption proposé par le Club des juristes ?

Le rapport du groupe de travail propose l’adoption de trois directives. Une première permettrait la transposition en droit européen des textes internationaux existant en la matière et principalement de la convention OCDE de 1997. Le droit européen ferait donc ainsi ce que différents droit nationaux - notamment en France en 2000 - ont déjà fait. On s’assurerait que tous les Etats membres de l’UE adoptent en des termes homogènes les grandes dispositions de la convention OCDE qui réprime la corruption d’agents publics étrangers passive et active.

La deuxième directive remplacerait une décision-cadre existante qui réprime la corruption dans le secteur privé. Le texte actuel n’est pas contraignant pour les Etats membres. Elle est donc plus ou moins transposée. Se doter d’une directive permettrait ainsi une transposition dans des termes similaires afin d’avoir une répression homogène au sein de l’UE. Il faudrait également que le texte prévoit d’appréhender les faits se déroulant en dehors de l’Europe. La répression de la corruption a une dimension extraterritoriale. Il y en a une en droit français, anglais, américain. Il serait normal que cela soit aussi le cas au niveau de l’UE.

La troisième directive prévoirait un dispositif de prévention de la corruption que les entreprises d’une certaine taille – le texte définirait des seuils – seraient obligées d’adopter. En plus de la répression de la corruption, punie pénalement via les deux premiers textes, il faut un cadre permettant de l’éviter. La directive aurait aussi vocation à assurer un level playing field, un terrain de jeu équitable, entre les entreprises dont certaines sont déjà tenues par ces obligations du fait de leur droit national - comme en France par exemple depuis la loi Sapin II de décembre 2016 - et d’autres non ou seulement du fait d’un droit souple. Cela permettrait donc d’harmoniser le terrain de jeu européen et de bénéficier des mêmes concepts. Pour une multinationale comme Total, dont le marché européen représente 60 % de nos activités, nous avons tout intérêt à avoir des standards unifiés au sein de cette zone. Enfin, la directive pourrait aussi prévoir de soumettre d’autres entreprises que celles présentes sur le sol européen à ces standards.

Il faudrait donc que le droit européen s’applique dès lors qu’il y a un lien de rattachement entre des activités conduites par des entreprises étrangères et le marché intérieur.

Pourquoi faut-il un droit de l’UE extraterritorial sur la question de l’anticorruption ?

Cela permettra d’imposer les standards de l’UE à des entreprises qui opèrent dans d’autres régions du monde où les règles peuvent être moins exigeantes. Et donc d’atteindre un équilibre concurrentiel en termes d’exigences au niveau mondial et pas simplement européen. Ce qu’il faudrait que l’UE arrive à faire, dans une certaine mesure, c’est ce que les Etats-Unis ont fait avec l’adoption du FCPA en 1977.  L’enjeu est donc davantage tourné vers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Sud.

Quel lien de rattachement au droit de l’UE pourrait-on imaginer ?

L’UE est en train de réfléchir à l’instauration d’un devoir de vigilance : la direction générale « Justice » du commissaire Didier Reynders porte ce projet et a lancé des consultations en la matière. Dans ce cadre, il a été proposé d’appliquer tout ou partie du devoir de vigilance à des entreprises étrangères qui exportent sur le marché intérieur européen certains produits. On peut donc imaginer que l’UE décide d’appliquer ses standards en matière d’anticorruption à des entreprises étrangères dès lors que celles-ci vendent des produits sur le marché intérieur. Il est très puissant au niveau mondial : beaucoup de sociétés de toutes les régions du monde veulent pouvoir accéder à ce marché unique. Nous disposons probablement d’un vecteur puissant de rayonnement extraterritorial. On pourrait aussi utiliser l’euro comme critère de rattachement. Nous savons toutefois qu’il n’a pas la force du dollar dans les transactions internationales.

Pourquoi ne pas inclure dans votre plaidoyer la question du devoir de vigilance ?

En France, nous avons une loi sur le devoir de vigilance et une autre pour l’anticorruption - un sujet qui mérite d’être traité de manière autonome. Les instruments juridiques les plus connus, les plus robustes en la matière, traitent tous de la corruption de manière indépendante. En mélangeant les sujets, on risque d’en diluer l’importance. Par ailleurs, les risques liés à la RSE ne sont pas de la même nature que les risques liés à l’anticorruption, ces derniers étant en fait de nature pénale. Nous avons donc pris le parti d’avancer sur l’anticorruption de manière autonome pour porter un message fort. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut pas avancer sur le sujet « vigilance » à l’européenne, que je soutiens par ailleurs.

En qualité de directeur juridique, pourquoi vous semble-t-il important de porter ce paquet ?

Nous avons dans le monde des standards avec des exigences différentes. C’est par exemple le cas entre le FCPA et la loi Sapin II. Il y a des divergences d’approches sur la manière de faire la cartographie des risques. Les guidelines du DOJ et de la US securities & exchange commission (SEC) ne distinguent pas, par exemple, les risques bruts et le risques nets de corruption (ceux demeurant malgré la mise en œuvre de mesures de traitement par l’entreprise). L’AFA, au contraire, le demande expressément. Nous devons nous doter d’outils nous permettant de nous conformer aux deux approches. L’avantage c’est que le droit français est plus exigeant : on applique donc le standard le mieux disant.

Néanmoins, des entreprises comme la nôtre sont un peu entre deux feux. Nous sommes soumis aux deux droits car Total est cotée aux Etats-Unis. Nous avons donc un intérêt évident à ce qu’à l’échelle du continent européen nous ayons des standards identiques. Cela nous permettra de déployer nos programmes de conformité sans inquiétude dans des espaces géographiques très larges. Nous avons aussi intérêt à ce que le paquet ait une dimension extraterritoriale : afin d’obtenir des standards équivalents ou identiques dans d’autres zones géographiques. Il faut que le droit européen face référence, comme le FCPA américain pendant longtemps a fait référence.

La loi Sapin II est-il le standard actuel le plus exigeant selon vous ?

D’un point de vue substantiel, oui, avec le droit américain. Sur le terrain processuel, le droit français l’est clairement davantage. Il y a plus de détails imposés sur la manière de conduire les différents piliers du programme anticorruption. Les guidelines du DOJ et de la SEC laissent plus de marge d’appréciation aux entreprises. La loi Sapin II, le décret de 2017 et les recommandations de l’AFA tracent un chemin beaucoup plus étroit.

La future directive européenne devrait-elle alors traduire la loi Sapin II ?

La loi est assez bien faite et correspond aux bonnes pratiques en matière d’anticorruption. Une question se posera cependant, celle d’articuler les recommandations de l’AFA avec les futures guidelines venant traduire le droit européen. Il ne faudrait pas qu’il y ait de divergences entre les deux. Ce qui suppose qu’une institution européenne soit mise en place et émette des recommandations ou qu’il y ait une harmonisation des recommandations provenant des différents régulateurs nationaux. C’est ce qu’on retrouve, par exemple, dans le domaine des marchés financiers : l’ESMA émet des guidelines reprises par l’AMF en France.

Quels sont les points d’achoppement pour ce projet ?

Seuls quatre Etats membres n’ont pas intégré la convention de l’OCDE dans leur droit interne. Les exigences de fond existent donc déjà dans la plupart de l’UE. Toutefois, un nombre minoritaire d’Etats dispose d’un dispositif de prévention de la corruption, comme il en existe en France ou en Allemagne par exemple. En Allemagne, comme aux Etats-Unis, vous avez une obligation de mettre en place un programme de compliance mais il ne donne pas lieu à une responsabilité ou à une sanction en tant que tel. L’entreprise est poursuivie s’il y a un cas de corruption avéré. Ce qui n’est pas le cas en France. Vous pouvez vous retrouver devant la commission des sanctions pour non-conformité de votre programme anticorruption sans qu’il existe de cas avéré de corruption.

Si on définit des seuils bien calibrés et que des contraintes trop importantes ne pèsent pas sur des petites entreprises, je ne vois pas pourquoi les Etats membres seraient gênés par le fait que les grands groupes appliquent des normes de prévention de la corruption. En revanche des débats peuvent émerger quant à l’approche du contrôle : prévention à la française ou à l’allemande. Les deux philosophies sont vraiment différentes.

Vous proposez également que le parquet européen soit compétent sur l’anticorruption de manière générale. Pourquoi ?

Nous appelons à un élargissement de ses compétences. Cela n’est pas envisageable à court terme car il est en train de s’installer. Il y a aussi des règles d’unanimité à respecter entre les Etats membres pour étendre ses compétences. Nous touchons également à une matière sensible car elle est une partie de la souveraineté étatique et l’UE a peu de compétences dans le domaine pénal.

Il faudra d’abord se concentrer sur la compétence pour les cas de corruption portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE. Mais les affaires les plus courantes concernent de la corruption d’agents publics à l’exportation. En la matière, il faudra attendre plus longtemps pour que le parquet européen puisse être saisi. Mais nous l’appelons de nos vœux.

 

propos recueillis par Sophie Bridier
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