Antitrust : la face cachée des engagements

Antitrust : la face cachée des engagements

17.10.2016

Gestion d'entreprise

Incitation de la part des autorités de concurrence, lourdeur du dispositif, coût matériel et humain. La procédure d'engagement ne serait pas "un long fleuve tranquille" pour l'entreprise.

« C’est une procédure favorable aux entreprises mais qui, d’une certaine manière, peut être également redoutable puisqu’elle fait peser une contrainte sur elles dont il faut assurer le respect dans le temps ». L’analyse de Gabriel Lluch, directeur concurrence du groupe Orange, résume parfaitement les propos tenus, coté entreprises, lors de la table ronde sur les engagements en matière d’antitrust qui s’est déroulée le 11 octobre dans le cadre du Business & Legal Forum. La procédure est souvent dépeinte comme favorable aux entreprises, car elle est synonyme de gain de temps - par la clôture rapide du dossier devant les autorités de concurrence - et de non-incrimination - la procédure n’aboutissant pas à la constatation d’une infraction -. Pourtant, cette vision « idyllique » de l’engagement pourrait être nuancée. Description de la réalité des faits.

Prendre des engagements après y avoir été incité

En principe, les demandes d’engagements proviennent des entreprises sous le coup d’une enquête anti-concurrence. En pratique, elles y seraient parfois poussées par les autorités de concurrence elles-mêmes. C’est en tout cas ce qu’assurent vivre des représentants d’entreprises et une avocate spécialisée en concurrence. « Parfois, les entreprises sont invitées à prendre des engagements », décrit Mélanie Thill-Tayara, avocat associée chez Dechert, « sous la menace voilée de sanctions éventuellement importantes ». Même constat de Gabriel Lluch pour qui les autorités de concurrence pourraient faire de l’incitation. « Lorsqu’une autorité vous encourage à entrer dans une procédure d'engagement… vous y réfléchissez à deux fois ! Car tout dépend des préoccupations qui sont identifiées et de la contrepartie. Or, il y a des cas où l’on perçoit que l’Autorité souhaite fortement que des engagements soient pris », indique-t-il.

Un tel constat serait d’autant plus valable dans le cadre d’affaires traitées en France plutôt qu’au niveau européen. Car pour une entreprise ou son conseil, plusieurs affaires parallèles peuvent être pendantes devant l’Autorité de la concurrence tandis que les cas portés devant la Commission européenne sont plus rares. Le dialogue serait aussi plus régulier avec la rue de l’Échelle. Dès lors, plier dans certains cas permettrait-il de trouver une issue favorable dans d’autres ? La stratégie ne serait pas dénuée de sens… Même si Cyril Ritter, policy officer à la direction antitrust de la Direction générale de la concurrence (Commission européenne), s’en défend : « On ne marque pas des points dans un dossier pour un meilleur traitement dans un second ». « Sans doute… », lui répond Gabriel Lluch. Mais un dialogue d’un genre différent se nouerait avec l’Autorité de la concurrence.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Être contraint de prendre davantage d'engagements que prévu

Autres éléments de la critique, la prise de mesures d’engagements serait moins simple qu’elle n’y paraît, pourrait être lourde et engagerait parfois l’entreprise à durée indéterminée. Dès lors, « une analyse extrêmement approfondie doit être menée avant de se lancer dans des engagements », estime Mélanie Thill-Tayara. Il est indispensable de procéder à une mise en balance approfondie des avantages, bien connus, et des difficultés, souvent moins immédiatement appréhendées.

L’entreprise peut, tout d’abord, être amenée à s’engager sur davantage de préoccupations de concurrence qu’elle ne le soupçonnait. Dans un premier temps, l’Autorité identifie plusieurs problématiques, avant de lancer un market test auprès des opérateurs du marché pertinent pour les valider. « Lors du test de marché vous exposez publiquement vos engagements », précise Gabriel Lluch. Dès lors, de nouvelles préoccupations, parfois « fantaisistes », émergent d' « acteurs ou concurrents que vous ne soupçonniez même pas ». Et au-delà, « il peut y avoir un effet de masse en fonction des réponses qui conduit à renforcer le niveau des engagements réclamé par les autorités », explique-t-il . « Vous vous retrouvez avec une barque plus chargée que prévue », image un responsable concurrence* d'un groupe ayant souscrit des engagements à plusieurs reprises. Dans ce cas, l’entreprise se retrouve face à deux choix : celui de prendre des engagements sur des préoccupations qui peuvent sembler anodines à première vue, mais qu’il faudra ensuite monitorer, ou opter pour la voie, plus périlleuse, de sortie de la procédure d’engagement.

Faire attention à ne pas s'engager trop longtemps sur la durée

La durée des engagements constitue aussi une lourdeur administrative qui pèserait sur les entreprises. A priori, les autorités de concurrence ne demanderaient pas aux entreprises de s’engager à durée indéterminée. Même si le cas s'est déjà présenté, précise Mélanie Thill-Tayara. A la Commission européenne la durée moyenne se situerait autour de cinq années. Plus rares sont les cas où des engagements sur 10 ans ont été demandés. Pour l’avocate, des engagements sur 3 à 5 ans sont a priori gérables ; au-delà ce serait « plus lourd à gérer » pour les entreprises. Car en réalité, « plus la durée est longue plus cela coûte cher à l’entreprise, notamment en terme de suivi ��. Le bon respect des engagements devant être assuré tout au long de la période, ne pas s’y contraindre « peut se révéler aussi coûteux qu’une sanction pour infraction », avertit-elle.

Faire respecter des engagements sur de longues durées commande aussi d’en expliquer la philosophie à des salariés susceptibles de reprendre le dossier en cours de traitement. Sur dix années ou plus, les spécialistes du sujet peuvent avoir changé. Au sein du groupe du responsable concurrence*, des engagements sur 10 ans ont déjà été pris. Dès lors, une méthode a été mise en place. Un système informatique spécifique a été conçu pour pouvoir monitorer les engagements, des formations physiques et en ligne ont été développées, et un guide d’une quarantaine de pages a été rédigé afin d’expliquer la genèse des engagements. « Il ne faut pas mal comprendre le message. Dans les faits, la prise d’engagements est un processus lourd. Il faut réaliser cela en amont », conclut le responsable*.

* L'identité du responsable a été anonymisée à sa demande.

Sophie Bridier
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