Damien Chenu, avocat associé au sein du cabinet Barthélémy avocats, analyse la portée des arrêts rendus par la Cour de cassation le 13 septembre dernier. Il décrypte les principales interrogations que les services RH auront à traiter à la suite de cette évolution majeure, sous la forme d’un questions/réponses.
Quelle histoire !
Bien que l’annonce des arrêts rendus par la Cour de cassation le 13 septembre 2023 puisse être reçue avec stupeur, les solutions adoptées ne surprennent pas, tant elles se présentent dans la droite ligne de la jurisprudence de la CJUE (24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10) et des avertissements adressés par la même Cour de cassation dans plusieurs de ses rapports annuels (2013, 2015, 2018). La non-conformité du droit national au droit européen en matière d’acquisition de congé payé est en effet connue de tous les observateurs de la question et la seule incertitude qui tenait encore concernait la date à laquelle la Cour de cassation déciderait d’écarter le droit national. Sur le fondement des dispositions de l’article 31 par. 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, dont l’applicabilité directe entre les particuliers lui permet de faire primer les dispositions de la directive 2003/88/CE sur le droit national, la Cour de cassation saisit l’occasion qui lui était donnée et change les règles en matière d’acquisition de congé payé. Bien que ces décisions soient accompagnées d’un réel effort de pédagogie - rédaction soignée des arrêts et notice détaillée à paraître au Rapport annuel - l’effet de souffle de ce revirement de jurisprudence promet d’être brutal. Il nous a semblé utile de s’interroger sur les principales questions que les praticiens auront à traiter à la suite de cette évolution majeure, sous la forme d’un questions/réponses.
Maladie simple. Dans l’arrêt numéroté 22.17.340, la Cour de cassation se prononce spécialement sur la suspension du contrat de travail en raison d’une maladie ou d’un accident d’origine non-professionnelle. L’arrêt de travail qui en découle n’est pas considéré comme du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés par les dispositions des articles L.3141-3 et L.3141-5 du code du travail. Jugeant cette exclusion contraire au droit de l’Union, la Cour écarte partiellement les dispositions de l’article L.3141-3 du code du travail, ce qui a pour conséquence que la durée de l’arrêt devra désormais être considérée comme un temps de travail effectif au regard de l’acquisition des congés payés. Le changement est d’une ampleur inédite, notamment au regard de ses conséquences pratiques.
AT/MP. Les arrêts de travail consécutifs à un accident du travail ou une maladie professionnelle sont également concernés. Dans l’arrêt numéroté 22-17.340, la Cour écarte partiellement les dispositions de l’article L.3141-5 du Code du travail qui plafonnait à une durée d’un an ininterrompue l’acquisition des congés payés lorsque la suspension du contrat de travail trouvait son origine dans un AT/MP.
Qu’importe l’origine de l’arrêt, les conditions d’acquisition des congés payés pendant les périodes d’arrêt maladie sont donc désormais identiques.
Autres. Existe-t-il un risque de contagion de la décision au-delà de ces arrêts ? Il faut analyser la question au prisme de l’objet de la directive 2003/88/CE et de celui de l’article 31 par. 2 de la Charte de droits fondamentaux de l’UE. A cet égard, ni l’activité partielle, ni le congé sans solde, ni le congé parental, pour les principaux, ne semblent réunir les conditions d’une assimilation à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Congés légaux. A la lecture de la notice des arrêts au rapport annuel de la Cour de cassation, il ne fait aucun doute que la solution concerne l’ensemble du droit à congé payé d’origine légale et que l’acquisition ne se limite pas à la durée de quatre semaines par an prévu par la directive européenne de 2003. S’ajoutent donc aux 2,5 jours ouvrables prévus par l’article L.3141-3 du code du travail, les congés légaux supplémentaires visé à l’article L.3141-8.
Congés conventionnels. Le visa de l’article L.3141-9 du code du travail adopté par la Cour dans ses arrêts ainsi que la notice au rapport annuel amènent à ajouter à la liste les congés prévus conventionnellement lorsqu’ils partagent le même objet que les congés payés légaux. On peut notamment penser aux congés d’ancienneté prévus par plusieurs conventions de branche, dont l’acquisition doit suivre le même régime que les congés légalement garantis. Une solution contraire doit toutefois certainement être adoptée pour l’octroi des congés de fractionnement qui ne devraient pas pouvoir être attribués, faute de fractionnement du congé principal.
Les arrêts rendu par la Cour de cassation le 13 septembre 2023 résultent en partie de la passivité du législateur, qui n’a pas daigné réagir aux différentes alertes reçues. La Cour de cassation n’ayant de surcroît pas procédé à une modulation des effets de ces arrêts dans le temps, l’application des nouvelles règles est totale.
Application totale. Il ne fait aucun doute que l’assimilation sans plafond de la période de suspension du contrat de travail pour maladie ou accident doit être opérée pour l’ensemble des salariés dont le contrat de travail est en cours. L’attribution de congés payés doit également concerner les salariés ayant été placés en arrêt de travail pour raison de santé pour une période antérieure à la date du 13 septembre 2023. Nulle hésitation non plus sur le principe de l’acquisition de congés payés pour les situations antérieures aux arrêts de la Cour de cassation, que le salarié soit toujours dans l’effectif ou qu’il ait quitté l’entreprise.
Prescription. Dans l’arrêt numéroté 22-10.529, la Cour de cassation précise que "la prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile". La portée de cette affirmation peut toutefois être nuancée selon qu’on assimile ou non le délai pour agir en justice et la période utile à l’acquisition des congés payés. Si aucune distinction ne doit être faire entre les deux notions, on ne voit pas quelle norme pourrait restreindre la période au titre de laquelle les congés payés pourraient être demandés. La vocation des congés payés (repos et période de loisir) pourrait néanmoins être invoquée à l’appui d’une limitation de principe du cumul lorsque la période d’absence du salarié s’allonge sur plusieurs années, sans toutefois qu’une limite précise ne soit posée.
Cantonnement ? Au contraire, si l’on distingue, dans le silence de la Cour de cassation en l’espèce, le délai pour agir devant le juge et la période pour laquelle le droit à congé payé peut être sollicité, la prescription prévue à l’article L.3141-5 pourrait être appliquée. La distinction entre le délai et la période est opérante en droit positif, spécialement lorsque le salarié dont le contrat de travail est rompu se voit ouvrir la possibilité de saisir le juge dans les trois ans suivant la rupture du contrat de travail pour obtenir le paiement d’une créance salariale née dans les trois ans précédant cette rupture. On pourrait raisonnablement considérer, qu’en appliquant cette distinction, le salarié qui n’a pas été mis en mesure d’exercer son droit à congé payé pourrait saisir le juge sans que la prescription de son délai à agir ne puisse lui être opposé, mais pour une durée qui ne pourrait pas excéder les trois ans applicables aux créances de nature salariale (article L.3241-5 du code du travail). Le principe de la solution retenue par la Cour de cassation serait sauf, sans permettre un rappel de congés payés sans rapport avec l’objectif qui leur est assigné par la directive européenne.
Intervention législative ? La latitude offerte au législateur par la primauté du droit européen ne semble pas lui laisser beaucoup plus de possibilité. En effet, limiter l’acquisition des congés payés à une durée maximale prévue par la loi paraît inenvisageable au regard de la solution adoptée dans l’arrêt relatif aux AT/MP, à l’occasion duquel la Cour de cassation met à l’écart les dispositions de l’article L.3141-5 du code du travail. La jurisprudence de la CJUE ouvre une autre possibilité : une législation ou une pratique nationale peut limiter dans le temps la faculté de report des congés par la fixation d’une période maximale dont le dépassement entraîne l’expiration du droit au congé (décision de la CJUE du 3 mai 2012, C-337/10). La Cour de cassation applique également cette solution (arrêt du 21 septembre 2017). Envisager de limiter le report pour une durée de 15 mois comme admis par la CJUE dans sa décision du 3 mai 2012 apparaît alors comme un moindre mal, mais c’est miser sur l’abandon par le législateur de sa position attentiste.
Entreprise. Le droit de l’acquisition des congés payés relève principalement de l’ordre public, de telle sorte que les possibilités réservées à l’entreprise semblent résiduelles. Seule la limitation de la durée de report semble ouverte explicitement par la jurisprudence européenne et interne. C’est le sens de la référence faite par la CJUE à la "pratique nationale" de limiter dans le temps la faculté de report des congés. On pourrait dans cette optique envisager qu’un accord collectif ou une décision unilatérale de l’employeur puisse limiter le report des congés payés à une durée proche des 15 mois visée par la Cour de Luxembourg.
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