Assemblées générales : «Nous devrions avoir un texte proche de celui mis en place dernièrement»

Assemblées générales : «Nous devrions avoir un texte proche de celui mis en place dernièrement»

20.01.2022

Gestion d'entreprise

Alors que la dernière loi sur la gestion de la crise sanitaire est en passe d'être promulguée, Bruno Dondero, avocat associé chez CMS Francis Lefebvre et professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), nous donne son avis sur les dispositions liées à l'organisation des assemblées générales et des conseils d'administrations.

Depuis le 30 septembre dernier, les dispositions de l'ordonnance 2020-321 adaptant l'organisation des assemblées générales (AG) et des organes collegiaux des personnes morales de droit privé, du fait de la pandémie, ne sont plus en vigueur. Dans ce contexte, Pierre et Vacances a déjà annoncé le report de son assemblée générale annuelle, initialement prévue le 10 février à la mi-mars. Le spécialiste des villages de vacances et des résidences de tourisme préfère attendre de nouvelles dispositions légales assouplissant à nouveau la tenue des AG. Elles ne devraient plus tarder puisque le projet de loi sur le passe vaccinal, définitivement adopté dimanche dernier à l'Assemblée nationale, contient un article sur ce sujet. Il est soumis au Conseil constitutionnel qui rendra sa décision aujourd'hui. Mais l'article en question n'a pas fait l'objet des saisines déposées par les députés et les sénateurs de la gauche.

Le projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire (article 13) donne une habilitation au gouvernement pour légiférer par voie d’ordonnance sur l'organisation des réunions et délibérations des assemblées et des organes dirigeants collégiaux des personnes morales de droit privé ainsi que sur les règles relatives aux assemblées générales. Que dire sur ce point ?

L'habilitation législative est une bonne chose. Même si on entend que le virus est en train de reculer, les sociétés et les autres groupements ont besoin de s'organiser pour mettre en place leurs assemblées. Il n’y a pas, comme en 2020 au début de la crise sanitaire, une interdiction de tenir les assemblées - liée à des jauges très basses - qui s’applique. Mais tout de même, il y a l’inquiétude de faire courir un risque aux personnes qui pourraient se rendre physiquement aux assemblées.

Nous ne connaissons pas encore le contenu de l’ordonnance à venir. Selon l’exposé des motifs de l’amendement présenté au Sénat par le gouvernement - qui a été adopté - l’objectif est de prévoir à nouveau la possibilité de mettre en place des mesures qui « s’inscriraient dans la lignée du dispositif d’urgence mis en place par l’ordonnance 2020-321 ». Nous devrions donc avoir un texte proche de celui mis en place dernièrement avec, probablement, un système d’appréciation « in concreto » : c’est-à-dire de vérification qu’une assemblée ne peut effectivement pas accueillir certains de ses membres physiquement avant d’avoir recours au huis clos.

Le gouvernement a 3 mois pour publier l’ordonnance. On peut toutefois penser que cela va aller très vite si c’est le dispositif déjà connu - qui était applicable jusqu’au 30 septembre dernier - qui est réactivé.

Certaines critiques étaient-elles émises par les praticiens sur l’ordonnance 2020-321?

Tout le monde a reconnu cette ordonnance comme un texte de qualité et qui ne posait pas de problème d’application majeur, en dépit du fait que ce dispositif a été mis en place très vite. Il soulevait néanmoins quelques questions. Un problème particulièrement pointé du doigt était celui d’un manque de démocratie actionnariale dans les grandes sociétés. Si l’assemblée se tient à « huis clos » et qu’on ne permet pas la participation à distance des actionnaires, en visioconférence, par exemple, cela signifie concrètement que l’assemblée se déroule hors de leur vue. Seul le bureau est physiquement réuni dans ce cas. Les actionnaires peuvent certes voter par correspondance ou via un représentant. Mais ils ne sont pas présents, et de ce fait, un certain nombre de questions, qui pourraient être abordées en assemblée, ne le seront pas. Particulièrement la question de la révocation des dirigeants. Il faut rappeler qu’une assemblée de société anonyme peut toujours décider de remplacer un ou plusieurs administrateurs si la question est soumise au vote en cours d’assemblée et ce alors même qu’elle n’était pas à l’ordre du jour.

Faut-il documenter le recours au huis clos avant de le mettre en place ?

Oui, si je veux pouvoir répondre à une éventuelle contestation d’une personne qui estimerait que la tenue d’une assemblée à huis clos poursuivait l’objectif d’éviter un débat gênant en présence des actionnaires, j’ai tout intérêt à documenter les raisons qui m’ont conduit à recourir au huis clos.

Le texte du projet de loi adopté prévoit aussi l’entrée en vigueur immédiate d’autres dispositions. Pouvez-vous nous les décrire ?

Ces dispositions sont assez simples et utiles. Sans besoin de modifier les statuts ou le règlement intérieur, tout organe collégial d’administration, de direction, de surveillance pourra recourir à l’audio ou à la visioconférence ainsi qu’à la consultation écrite. Cela permet juridiquement la prise de décision sans la présence physique des uns ou des autres. On pourrait imaginer que l’on est en train d’autoriser des prises de décision sans discussion. Mais attention, ce système ne retire pas la responsabilité des membres de ces organes, il facilite juste le formalisme de la prise de décision. Il est possible, par exemple, de faire une consultation écrite pour savoir si un conseil d’administration autorise une décision importante. Cependant, la responsabilité des administrateurs pourra être engagée de la même manière que si la décision avait fait l’objet d’une réunion physique donnant lieu à de longues et intenses discussions entre administrateurs. Une bonne gouvernance doit permettre une collégialité suffisante de la part du conseil d’administration. Il y a peut-être moins besoin de formaliser ces échanges mais on n’en est absolument pas dispensé.

Il s’agit d’une reprise de ce qui figurait déjà dans l’ordonnance 2020-321. Ces dispositions sont prévues jusqu’à la fin du mois de juillet prochain.

Les praticiens souhaitent-ils que le système soit pérennisé dans le temps ?

Un groupe de travail du Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP), dirigé par Alain Couret et par Anne Outin-Adam, doit rendre son rapport prochainement sur ce sujet. Ses membres ont réfléchi à une pérennisation de tout ou partie de ces mesures. Le travail qui est fait par le HCJP intéressera sans doute beaucoup les praticiens. Ces questions seront abordées de manière très détaillée. 

Pour ma part, je pense que certaines de ces mesures méritent d'être pérennisées. Le gouvernement continue de le faire par petites touches par périodes limitées. La mesure sur la réunion des conseils d’administration par visioconférence pourrait notamment être envisagée de manière pérenne. Car il n’est pas question, encore une fois, de réduire la responsabilité des membres du conseil d’administration : un administrateur n’aura d’ailleurs pas intérêt à se maintenir dans un conseil qui s’obstinerait à faire des réunions à distance pour limiter les échanges ! Au contraire, lorsque les membres du conseil sont répartis sur toute la planète, la prise de décisions rapides par visioconférence sera sans doute préférable à l’attente d’une date pour réunir tout le monde en physique.

Les assemblées à huis clos suscitent davantage de questions, car les droits des actionnaires subissent quand même une atteinte radicale. Les personnes concernées ne sont pas physiquement là et il n’est pas garanti qu’elles le soient à distance par visioconférence ou autre. On ne peut bien évidemment pas décider du jour au lendemain que cela va s’appliquer tout le temps à tous les groupements !

 

 

propos recueillis par Sophie Bridier

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