Compte tenu de la crise exceptionnelle liée au Covid-19, les associations/syndicats professionnels sont d’autant plus sollicités par leurs membres pour trouver des solutions conjointes et rapides. Tout l’enjeu est de délimiter la frontière entre la défense des intérêts professionnels des membres de l’association professionnelle et la mise en place d’une pratique anticoncurrentielle - entente -. Laquelle est parfois ténue et délicate, comme nous l'expliquent Virginie Carvalho, senior manager, et Jules Mothes, collaborateur chez KPMG avocats.
Consciente des dérives possibles – renforcées par le contexte de pandémie inédit – l’Autorité de la concurrence a annoncé, dans un communiqué de presse du 22 avril 2020, avoir « éclairé » le Rassemblement des Opticiens de France (« ROF ») sur les conditions de son intervention à la demande de ses adhérents auprès de sociétés foncières. L’Autorité se dit prête à fournir aussi rapidement que possible des conseils informels, notamment aux associations professionnelles, sur la compatibilité avec le droit de la concurrence d’un projet de coopération qui lui serait présenté.
Ce premier « éclaircissement » de l’Autorité de la concurrence s’inscrit dans la continuité directe du message adressé aux entreprises le 23 mars 2020 par la Commission européenne et le réseau européen de la concurrence (« REC ») rassemblant toutes les autorités nationales de concurrence. C’est ainsi que si les entreprises ont des doutes quant à la compatibilité de leurs initiatives de coopération avec le droit de la concurrence, elles peuvent à tout moment s'adresser à la Commission ou à l'autorité nationale de concurrence concernée pour obtenir des conseils informels. En outre, le 8 avril 2020, la Commission européenne a publié un cadre temporaire d'analyse des accords de coopération entre concurrents dans le contexte de crise sanitaire : les entreprises peuvent désormais bénéficier d’une lettre administrative de compatibilité (« lettre de confort ») de sa part pour avaliser certains accords de coopération.
A la différence de l’Autorité, la Commission circonstancie sa mission aux accords de coopération destinés à « garantir la fourniture et la distribution en suffisance de produits et de services essentiels dont la disponibilité est limitée pendant la pandémie de Covid-19 et, de la sorte, remédier à la pénurie de ces produits et services essentiels résultant, d’abord et avant tout, de la croissance rapide et exponentielle de la demande ». Bien que relevant que l’intervention du ROF ne comporte pas d’aspect bénéfique vis-à-vis de la production ou de la distribution de produits nécessaire à la lutte contre le virus, l’Autorité a décidé toutefois de répondre à sa « demande d’éclaircissements ».
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
L’Autorité de la concurrence s’attache, à cet effet, à évaluer l’action concrète du ROF auprès de ses membres, objectif en vue duquel elle applique les critères d’appréciation traditionnels de l’intervention de ces organisations auprès de leurs adhérents.
Selon sa pratique décisionnelle constante, l’Autorité rappelle que si l’intervention de l’association professionnelle n’outrepasse pas les missions de défense de l’intérêt professionnel de ses membres, et ne constitue pas une intervention sur un marché, alors en principe elle ne devrait pas être contraire au droit de la concurrence. En effet, il est tout à fait légitime pour un groupement de diffuser des informations destinées à renseigner ses adhérents sur le fonctionnement des marchés sur lesquels ces derniers interviennent, voire de les aider dans l’exercice de leur activité (voir par exemple le rapport annuel 2003 du Conseil de la concurrence, p.241 ; paragraphe 77, Conseil de la concurrence, décision n°07-D-16 du 9 mai 2007 relative à des pratiques sur les marchés de la collecte et de la commercialisation des céréales).
Toutefois, les autorités de concurrence fixent une limite à cette assistance : le groupement ne doit pas exercer d’influence directe (ou indirecte) sur le libre jeu de la concurrence à l’intérieur de la profession, de quelque manière que ce soit (en particulier sous la forme de mises en garde ou de consignes), et les professionnels concernés doivent concrètement demeurer en position de fixer librement et indépendamment leurs prix et leur politique commerciale. En d’autres termes, l’aide à la gestion apportée par le groupement ne doit pas avoir pour objet ou pour effet de détourner ses membres d’une « appréhension directe de leur stratégie commerciale qui leur permette d’établir leurs prix de façon indépendante » (voir paragraphe 53, Conseil de la concurrence, décision n°07-D-05 du 21 février 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par l’Union française des orthoprothésistes (UFOP) sur le marché de la fourniture d’orthoprothèses). En l’espèce, le ROF souhaite prodiguer des recommandations générales et exposer des arguments juridiques et factuels relatifs notamment aux difficultés rencontrées par ses membres dans leurs échanges avec les sociétés foncières concernant les loyers commerciaux. L’Autorité précise enfin que le ROF désire prévenir les risques de défaillances d’entreprises en raison de la fermeture prolongée des différents points de vente.
Dans ces circonstances, le droit de la concurrence apparaît pour l’Autorité de la concurrence ne pas pouvoir être enfreint dès lors que les mesures envisagées n’influent pas sur la détermination du comportement des membres sur le marché ni ne favorise une coordination sensible des coûts entre les adhérents de l’organisation.
Evaluer n’est toutefois pas avaliser : l’Autorité de la concurrence ne donne pas un blanc-seing à l’association professionnelle. Elle émet une réserve importante, précisant que son analyse repose sur « les éléments factuels communiqués à ce stade » et se limite « au seul comportement que l’association concernée a déclaré envisager ». D’une part, l’Autorité affirme que sa démarche ne constitue par une dérogation au droit de la concurrence, mais bien l’évaluation d’un projet au regard des règles en vigueur. D’autre part, elle rappelle que les règles du droit de la concurrence demeurent pleinement applicables, y compris dans les circonstances exceptionnelles actuelles. L’Autorité soulignait à ce titre, dès le 6 avril, la continuité d’une surveillance du marché pendant la crise « pour remédier aussi efficacement que possible aux comportements détectés ».
Au-delà de l’actuelle crise pandémique, la prudence des organisations professionnelles est d’autant plus requise compte-tenu de la transposition prochaine de la Directive ECN+ (laquelle devrait intervenir en 2020, et en tout état de cause au plus tard le 4 février 2021) : jusqu'ici en France, le montant de l'amende auquel une association d'entreprises était exposée ne pouvait excéder 3 millions d'euros. Le plafond de l'amende encourue a été relevé à 10 % de la somme des chiffres d'affaires des entreprises membres.
Annoncé comme l’une de ses priorités pour l’année 2020, le respect des règles de concurrence par les syndicats et organismes professionnels fera l’objet d’une étude thématique, à visée pédagogique, conduite par l’Autorité de la concurrence. Cette étude devrait détailler les risques encourus par ces structures ainsi que les sanctions susceptibles de leur être appliquées.
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