AT-MP : un salarié peut-il solliciter un reliquat de congés payés pour la fraction de son arrêt de travail supérieure à un an ?

AT-MP : un salarié peut-il solliciter un reliquat de congés payés pour la fraction de son arrêt de travail supérieure à un an ?

30.05.2024

Gestion du personnel

Selon Yoann Gontier, avocat associé au sein du cabinet Epona, un salarié en arrêt de travail professionnel antérieurement au 24 avril 2024 peut tout à fait solliciter un reliquat de congés payés pour la fraction de cet arrêt de travail professionnel supérieure à un an. Dans cette analyse, il explique pourquoi rien ne s'oppose à la rétroactivité de la mesure.

La loi dite DADDUE en date du 22 avril 2024 a profondément réformé le droit applicable aux salariés en arrêt de travail en matière d’acquisition et de prise de congés payés.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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S’agissant des arrêts de travail d’origine professionnelle (à la suite d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle ou d’un accident de trajet), la loi précitée, qui est entrée en vigueur le 24 avril 2024, a modifié le 5° de l’article L.3141-5 du code du travail qui limitait à 12 mois l’acquisition congés payés pour un salarié en arrêt de travail d’origine professionnelle.

Désormais, les dispositions légales précitées prévoient que "sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé : […] 5° Les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle" et ce, sans limitation de durée.

A l’inverse des nouvelles dispositions légales en matière d’arrêt de travail d’origine non professionnelle qui prévoient un mécanisme de rétroactivité entre le 1er décembre 2009 et le 23 avril 2024 en matière d’acquisition de congés payés (à hauteur de deux jours ouvrables par mois lorsqu’un salarié est absent, pour cause non professionnelle, la totalité d’un mois), la loi DDADUE ne prévoit pas expressément que la suppression de la limite précitée pour les arrêts de travail pour cause professionnelle trouve à s’appliquer également aux arrêts de travail professionnels pour la période 1er décembre 2009 - 23 avril 2024.

Certains commentateurs en ont tiré comme conclusion qu’un salarié en arrêt de travail professionnel antérieurement au 24 avril 2024, serait privé de la possibilité de solliciter un reliquat de congés payés pour la fraction de cet arrêt de travail professionnel supérieure à un an.

Nous ne partageons pas cette analyse.

En effet, s’il est vrai que la loi du 22 avril 2024 s’est contentée de prévoir une application rétroactive aménagée pour les seuls arrêts de travail d’origine non professionnelle (limitation à deux jours ouvrables par mois et dans la limite de 24 jours ouvrables par période d’acquisition de référence), cela tend au contraire, à notre sens, à démontrer que l’intention du législateur était de ne pas prévoir d’aménagements spécifiques pour les salariés en arrêt de travail d’origine professionnelle. 

Compte tenu de cette absence d’aménagement légal et de la jurisprudence du 13 septembre 2023 qui a un effet rétroactif (en particulier la décision n°22-17.638 dans laquelle la Haute juridiction a censuré la limitation légale à un an de la durée d’acquisition de congés payés pour un salarié en arrêt de travail pour cause professionnelle), il apparaît possible, selon nous, pour un salarié qui s’est trouvé en arrêt de travail d’origine professionnelle antérieurement au 24 avril 2024 de solliciter un reliquat de congés payés pour la fraction de cet arrêt de travail supérieure à un an et n’ayant pas donné lieu à l’acquisition de congés payés.

Dans une telle hypothèse, il sera toutefois possible pour les entreprises de mobiliser, dans certaines conditions, le mécanisme de report et de purge afin de limiter le cas échant la régularisation.

Compte tenu de cet aspect de la loi qui peut prêter à interprétation, nous recommandons aux entreprises de faire preuve de vigilance et de provisionner, le cas échéant, un risque à ce titre, de surcroît compte tenu du fait que les accidents du travail et maladies professionnelles ont tendance à donner lieu, en fonction de leur gravité, à des arrêts de travail qui peuvent s’étaler dans le temps, y compris au-delà de trois années.

Une vigilance accrue sur ce point apparaît d’autant plus nécessaire pour les salariés encore inscrits à l’effectif.

En effet, les salariés dont le contrat de travail est toujours en cours disposent certes d’un délai de forclusion réduit (jusqu’au 23 avril 2026 inclus) pour agir en justice pour solliciter un reliquat de congés payés.

Toutefois, en cas de saisine du conseil de prud’hommes, la période au titre de laquelle une telle régularisation pourra être sollicitée, est particulièrement longue puisque le salarié est, dans cette hypothèse, autorisé à remonter jusqu’au 1er décembre 2009, aucune limitation de quantum n’existant pour les salariés en poste qui agiraient devant la juridiction prud’homale.

Ce type de demandes ne revêt pas un caractère théorique et peut prendre une dimension collective comme le démontre une récente ordonnance de mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre en date du 25 avril 2024 (RG n° 23/05445).

Dans cette affaire, la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l’énergie CGT a assigné une entreprise devant la tribunal judiciaire de Nanterre aux fins notamment de :

  • "laisser inappliquées les dispositions de l’article L.3141-5 du code du travail en ce qu’elles limitent à une durée ininterrompue d’un an, les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congés payés" ; 
  • et de condamner l’entreprise "à devoir faire rétroactivement bénéficier de leur droit à congés payés les salariés dont le contrat de travail a été suspendu pour une durée ininterrompue d’un an et plus pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle".

Si le tribunal judiciaire de Nanterre ne s’est pas encore prononcé au fond sur cette affaire, il a toutefois reconnu l’intérêt à agir de la fédération précitée (étant précisé qu’un appel a été interjeté).

S’agissant des salariés dont le contrat de travail a été rompu, le risque, s’il existe, apparaît plus mesuré puisqu’en cas de contentieux, il apparaît possible selon nous d’opposer au salarié demandeur les dispositions de la 2e phrase de l’article L.3245-1 du code du travail qui limitent le quantum des régularisations aux sommes dues au titre des trois années qui ont précédé la rupture du contrat de travail, soit une période de régularisation qui peut s’avérer, en fonction de l’ancienneté du salarié, plus courte que pour un salarié dont le contrat de travail est toujours en cours.

Yoann Gontier
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