Barème Macron : les juges se rebiffent !

Barème Macron : les juges se rebiffent !

19.12.2018

Gestion du personnel

Julien Icard, professeur de droit à l'Université polytechnique Hauts-de-France, analyse l'argumentaire développé par les juges du conseil de prud'hommes de Troyes, qui dans leur décision du 13 décembre 2018, ont écarté l'application du barème d'indemnités de licenciement injustifié comme contraire à la Convention OIT n° 158 et à la Charte sociale européenne.

Quelques semaines après le surprenant jugement du conseil de prud'hommes du Mans (1) selon lequel le barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse prévu, depuis les ordonnances du 22 septembre 2017, à l’article L.1235-3 du code du travail ne pose aucun problème vis-à-vis de l’article 10 de la Convention OIT n°158 et du non moins curieux jugement du CPH de Saint-Quentin qui aurait invité le salarié à saisir la Cour européenne de Justice (sic) de la conventionnalité du barème, le CPH de Troyes (2) écarte l’application du barème Macron car ce dernier viole la Charte sociale européenne et la Convention 158 de l’OIT.

Les esprits chagrins et/ou jupitériens auront beau jeu soit de minimiser la portée d’un simple jugement de première instance, soit de dénoncer une énième instrumentalisation des normes internationales ainsi qu’un affront fait à la Loi. Peut-être mais on ne peut défendre la construction d’un ordre juridique international et européen tout en écartant, lorsqu’elles ne nous conviennent pas, les normes internationales et européennes qui en sont issues. Prenons donc ce jugement pour ce qu’il est : le deuxième acte de ce qui s’annonce comme une saga judiciaire relative au barème d’indemnisation. A ce titre, ce jugement n’est cependant pas une surprise. La doctrine avait anticipé ce risque d’inconventionnalité (3). Le Syndicat des Avocats de France (SAF) l’avait systématisé dans un argumentaire distribué à ces adhérents et au-delà. C’est d’ailleurs en partie cet argumentaire qui est repris dans ce jugement.

Après avoir rappelé que le contrôle de conventionnalité, contrairement au contrôle de constitutionnalité, ressortait notamment de la compétence des juridictions judiciaires sous le contrôle de la Cour de cassation, le CPH de Troyes entreprend d’analyser la conventionnalité du barème au regard de la Convention n°158 de l’OIT sur le licenciement et de la Charte sociale européenne.

L'applicabilité directe des normes internationales et européennes

Pour ce faire, il s’agissait au préalable de déterminer si les dispositions envisagées pour effectuer un tel contrôle visant à exclure l’application du droit français étaient ou non d’applicabilité directe devant le juge national. Le CPH de Troyes juge que l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT et l’article 24 de la Charte sociale européenne selon lesquels il doit être versé au travailleur licencié sans motif valable une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation appropriée, sont directement invocables.

Certes, l’article 10 de la Convention OIT n°158 n’a jamais été expressément jugé d’applicabilité directe mais il est formulé de la même manière que l’article 24 de la Charte sociale européenne qui, lui, l’a été dans une décision du Conseil d’Etat (4). Or, cette décision n’est en rien anodine car elle intervient après la jurisprudence GISTI&FAPIL (5) qui a systématisé les critères de l’applicabilité directe et constitue un revirement du Conseil d’Etat à l’égard de la Charte sociale européenne.

Le CPH de Troyes aurait pu être plus rigoureux sur l’analyse des deux dispositions. Un examen de l’article 10 de la Convention OIT n°158 au regard des critères de l’applicabilité directe aurait dû être effectué. Il aurait cependant vraisemblablement conduit à un résultat similaire. D’ailleurs, le CPH du Mans, dont le jugement aboutit à la validation conventionnelle du barème, avait implicitement admis l’applicabilité directe de cette disposition. Quant à l’article 24 de la Charte sociale européenne, son applicabilité directe qui n’a, contrairement à ce que sous-entend le CPH, jamais été reconnue par la Cour de cassation, aurait également pu être examinée de plus près. Toutefois, le CPH se fonde logiquement sur la décision du Conseil d’Etat du 10 février 2014 pour reconnaître son applicabilité directe.

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La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Un barème contraire à la Convention OIT n° 158 et à la Charte sociale européenne selon les juges

Une fois l’application directe des dispositions internationales reconnue par le CPH, ce dernier les confronte au barème national. Or, l’article 24 de la Charte sociale a été interprété par le Comité européen des droits sociaux (CEDS) dans une décision du 8 septembre 2016 (6), citée par le CPH, selon laquelle, de manière générale "les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu'ils prévoient le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours ; la possibilité de réintégration ; des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime" (§ 45), et, de manière plus spécifique, "tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la Charte" (§ 46).

Le CEDS, dont les décisions jouissent d’une autorité interprétative, a estimé à ce titre que le plafonnement de l’indemnisation à hauteur de 24 mois maximum prévu par la loi finlandaise, violait la Charte sociale européenne. Procédant à une analyse du droit français à l’aune de cet article 24 tel qu’interprété par le CEDS, le CPH de Troyes relève que le barème français est plafonné à 20 mois et que ce plafonnement ne permet pas de "réparer de manière juste le préjudice [que les salariés] ont subi". Ainsi, selon le CPH et conformément à la décision du CEDS, on ne peut laisser subsister des situations dans lesquelles l’indemnisation accordée ne couvre pas le préjudice subi.

En outre, le CPH juge que "les barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs car ils "sécurisent davantage les fautifs que les victimes". En d’autres termes, non seulement, la réparation ne peut pas être adéquate mais elle n’est pas dissuasive. Enfin, le CPH aurait pu rajouter qu’il n’existe aucune voie de droit alternative à la voie de droit plafonnée, contrairement d’ailleurs à ce qu’a jugé le CPH du Mans. La responsabilité civile de droit commun de l’article 1240 du code civil ne peut en effet compenser le plafonnement puisque, selon la jurisprudence, elle ne peut être invoquée que pour indemniser un préjudice distinct de la perte d’emploi, lié notamment aux conditions vexatoires dans lesquelles le licenciement a été prononcé.

Quelle suite sera donnée à ce jugement ?

L’inconventionnalité de l’article L. 1235-3 du code du travail étant caractérisée, le barème est de ce fait écarté, permettant dès lors aux juges prud’homaux de retrouver leur pouvoir d’appréciation total sur le préjudice subi par le salarié dans cette affaire.

Le raisonnement mené par le CPH de Troyes est globalement cohérent et sérieux, même si quelques facilités ont pu être relevées. Pourtant, comme le fait remarquer le ministère du travail avec d’ailleurs un certain mépris vis-à-vis des conseillers prud’hommes en insinuant qu’une telle décision serait la preuve d’une formation juridique insuffisante (7), le jugement contredit frontalement le raisonnement mené par le Conseil d’Etat dans son arrêt 7 décembre 2017 (8). Toutefois, cet arrêt est lui-même tout à fait discutable. Reprenant quasiment mot pour mot les éléments de langage juridique du ministère du travail, le Conseil d’Etat balaie d’un revers de la main la décision du CEDS en en faisant une lecture très parcellaire et en exagérant les potentialités offertes aux juges dans l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse. En définitive, le jugement du CPH de Troyes ne mérite ni indignité, ni glorification. Il démontre, après celui du Mans, que le contrôle de conventionnalité n’est pas qu’affaire de sensation mais également de droit. Le jugement peut sans doute être discuté mais le raisonnement qui est tenu n’a rien à envier à celui du Conseil d’Etat.

L’avenir nous dira si, à l’instar du CPH de Longjumeau pour le CNE, le CPH de Troyes restera dans histoire du droit du travail comme celui qui aura donné le coup d’envoi à l’invalidation du barème Macron.

 

(1) CPH, 26 septembre 2018, n°17/00538 ;
(2) CPH, 13 décembre 2018, n°18/00036 ;

(3) v. not. les analyses de J. Mouly : Dr. soc. 2017, 785 ; Dr. ouv. juillet 2018, p. 435 ;
(4) CE, 10 févr. 2014, n°358992 ;
(5) CE Ass., 11 avril 2012, n°322326 ;
(6) Finnish Society of Social Rights, n°106/2014 ;
(7) CEDS, "Le plafonnement des indemnités prud’homales jugé contraire au droit international", Le Monde, 14 déc. 2018 ;
(8) CE, 7 déc. 2017, n°415243.

 

Julien Icard
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