Branche de l’expertise comptable : les négociations salariales s’enlisent dans l’avocasserie
20.03.2023
Gestion d'entreprise

Les négociations sur les salaires ont-elles été rouvertes à temps cette année dans la branche de l’expertise comptable comme le prévoit la loi pouvoir d’achat ? Oui, selon le patronat. Non, selon l’intersyndicale. Bloqué sur une divergence de forme pour un désaccord de fond, le dialogue est rompu. Et l’inflation continue. Récit.
Au cœur du barouf qui ébruite la branche de l’expertise comptable depuis le mois dernier, une mécanique inédite proposée par le patronat (ECF et Ifec) pour revaloriser les minimas conventionnels : modifier une composante de la formule de calcul fixant la rémunération annuelle minimale, au lieu de ré-augmenter les valeurs de base et hiérarchique, comme attendue par l’intersyndicale (CFDT, CFDT, FO, CGT)*. Une manœuvre licite pour le premier, un artifice qui la contourne "scandaleusement" pour la seconde, qui a fait part de son mécontentement dans un communiqué du 13 février. Derrière le juridique, les propositions d’augmentation font le grand écart.
Depuis le 1er janvier 2023, le salaire minimum annuel brut d’un collaborateur débutant et/ou sans qualification de la Convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes (20 319,60 €) est en deçà du Smic annuel brut calculé sur la base de la durée légale du travail, 35 heures hebdomadaires (20 511,40 €). L’article L.2241-10 du code du travail oblige en pareil cas les organisations liées par une convention de branche à se réunir pour "négocier sur les salaires". À défaut d'initiative de la partie patronale dans les 45 jours, la négociation s'engage dans les 15 jours suivant la demande d'une organisation syndicale de salariés représentative. Un délai raccourci par la loi pouvoir d’achat du 16 août 2022 (3 mois auparavant).
"Au lieu de lancer une négociation sur les salaires, le patronat nous propose en février une modification de la convention collective, maugrée Valérie Baggiani, secrétaire fédérale de la CGT, qui précise que la négociation sur les salaires a été demandée par l’intersyndicale le 6 janvier. Nous pensons que cela n’est pas une réponse à notre demande. Modifier la grille de classification, ce n’est pas ouvrir les négociations sur les salaires. Pis, c’est nous couper l’herbe sous le pied de la négociation sur le sujet qui doit arriver au second semestre ! Quand je pense que nous sommes garants de l’application de la loi et du respect de la réglementation en matière de comptabilité…", souffle-t-elle.
Même son de cloche du côté de Stève Dupuis, secrétaire général de la CFDT. "La branche patronale a joué sur la concordance des temps, voulant régler d’une pierre deux coups la nécessaire augmentation salariale et le problème indiciaire des premiers niveaux sur lesquels la CFDT a demandé un rattrapage, explique-t-il.

D’une part, le patronat propose une modification de la convention collective avant même que le groupe de travail n'ait pu rendre son avis sur l’intégralité de la révision de la convention collective, un problème beaucoup plus large. D’autre part, la négociation sur l’article 5.1.1.1 de la convention collective [article fixant la rémunération des salariés visés par l’annexe A] n’est pas une négociation salariale, même s’il est vrai que mécaniquement, cela apporterait une augmentation sur le premier niveau qui permettrait de repasser au-dessus du Smic."
"Est-ce que la loi oblige de rentrer dans une négociation globale des salaires ?, s’interroge le secrétaire général de la CFDT. Nos juristes en interne le pensent. En tout cas, nous n’avons qu’une proposition. Ce n’est pas une négociation. C’est un ultimatum." Ainsi, la négociation sur les salaires n’aurait pas été ouverte, comme l’oblige le code du travail. "Les organisations syndicales de la branche ne peuvent que déplorer cette velléité de contourner la loi et renouvellent leur demande d’ouverture des négociations sur les salaires, qui ne pourra pas être traitée dans les temps et en cela, représente une première infraction", interpelle l’intersyndicale dans son communiqué de février.
"Réunie fin décembre, la délégation patronale a choisi de ne pas attendre la fin des 45 jours en février pour agir, relate de son côté Dominique Hubert, représentant de la délégation patronale Ifec et ECF. En séance le 6 janvier, nous avons informé les organisations syndicales que nous rouvrons des négociations pour envisager la revalorisation de l’ensemble des minimas conventionnels. De toute bonne foi, nous avons proposé de relever le nombre de points de base de 164 à 170, ce qui modifie l’ensemble de la grille en privilégiant plutôt les petites rémunérations, ce qui répond à une demande exprimée en septembre par la CFDT", explique-t-il.

"Nous avons été très surpris de ce communiqué de presse alors que les négociations sont en cours, déplore Corinne Barrez, représentante de la délégation patronale ECF et Ifec. La modification de la convention collective n’est que la résultante de la proposition liée à cette loi du 16 août pour remettre au-delà du Smic les rémunérations les plus faibles de notre grille. Ce qui revient quand même à une augmentation générale. Il s’agit seulement d’une mécanique différente. Nous sommes attachés au dialogue social. La négociation a été faite, elle est en cours", défend-elle.
"L’esprit de la loi du 16 août est une actualisation permettant de ne pas attendre un an pour faire en sorte que les minimas conventionnels des branches ne soient pas en-deçà du Smic, enchérit Dominique Hubert. Tout comme la mécanique du Smic revalorisé automatiquement en France, qui n’a pas été utilisée depuis 40 ans, qui s’applique lorsque l’inflation dépasse 2 % sur une certaine période, illustre-t-il. Notre avocat-conseil nous a dit que nous étions dans les clous : aucun texte ne précise quelles sont les modalités à utiliser pour varier les salaires. Notre position est claire : nous avons ouvert des négociations avec une mécanique qui respecte l’esprit de la loi du 16 août 2022, revalorise l’ensemble des minimas conventionnels et relève le premier niveau au-delà du Smic", résume-t-il.
Derrière le problème d’interprétation de l’article L.2241-10 du code du travail - confondu parfois avec la loi pouvoir d’achat - se cache sans surprise une divergence de fond sur le montant de l’augmentation souhaité. La mécanique du patronat reviendrait selon Dominique Hubert à + 1,37 % au niveau du coefficient 170, + 1,16 % au niveau du 220 et à + 0,87 % au niveau du 330. "Ça tasse, sans tasser", modère-t-il, quand Valérie Baggiani regrette la volonté du patronat de vouloir supprimer des niveaux. "C’est un peu cavalier dans ce cadre-là", glisse-t-elle.
"Avec la mécanique du patronat, on est très loin de l’inflation et de la remontée très probable du Smic dans un délai assez court [une revalorisation automatique du Smic d’au moins 2 % devrait intervenir au printemps selon l’Insee]", regrette Stève Dupuis. "Nous sommes mandatés pour avoir une politique de pas à pas", rétorque Dominique Hubert, rappelant vouloir privilégier les bas salaires, l’inflation impactant davantage les plus les faibles revenus.
Côté syndicats, la demande est de + 5 % (en plus des + 4,5 % du 1er janvier 2023 et des + 2,9 % du 1er avril 2022). "5 % de 2 000 €, ce n’est pas pareil que 5 % de 10 000 €", expire Dominique Hubert, qui indique ne pas pouvoir suivre une telle demande et engager la responsabilité de l’ensemble des cabinets qu’il représente. "L’inflation affecte tout le monde même si on la vit certainement différemment selon les salaires", répond Stève Dupuis.
"Dans les cabinets d’expertise comptable, on oublie souvent que vous avez des assistants, des collaborateurs paye, collaborateurs comptables qui selon les tâches qui leur sont dévolues, ne sont pas à des niveaux de salaires cadre, colère Valérie Baggiani. Le minimum chez nous, c’est à peu près 41 000 € à l’année, à peu près le PMSS [plafond mensuel de sécurité sociale]. Vous trouvez ça normal pour des personnes dont la responsabilité est celle de tenir les comptes ?"
Le 8 mars, comme annoncé, l’intersyndicale indique avoir interpellé par courrier la direction générale du travail (DGT). Dans l’attente d’un arbitrage du ministère du travail qui pourrait intervenir lors de la prochaine réunion de la commission mixte paritaire le 6 avril prochain, la négociation sur les salaires de la branche de l’expertise comptable se trouve dans une situation semblable à celle du chat de Schrödinger : à la fois ouverte et fermée, à la fois conforme et non-conforme au délai de 45 jours imposé par la loi pouvoir d’achat. "C’est dommage, se désole Stève Dupuis, car je suis persuadé que l’on a un patronat avec qui nous pouvons discuter. Je n’ai pas de doute que nous avons en face de nous une branche qui peut être à l’écoute. Il faut revenir à la raison."
Les minimas conventionnels ont-ils une incidence sur l’attractivité des cabinets ?
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"Pour moi, il n’y a aucun lien entre les minimas conventionnels et l’attractivité des branches. Lorsqu’un jeune vient au sein de nos cabinets, il a rarement la convention collective dans son cartable, ironise le représentant patronal de l’Ifec. Rarement, il nous dit j’irais bien dans votre profession mais j’ai regardé les minimas conventionnels, ils ne sont quand même pas élevés. Le jeune négocie son salaire à lui, il sort d’une école de commerce, d’un master 2… Il ne sait même qu’il y a des minimas conventionnels dans la branche." Une vision partagée par Corinne Barrez. "Les prétentions salariales des nouvelles recrues ne sont absolument pas basées sur les minimas. C’est véridique." "Souvent, lorsque l’on négocie les salaires, on nous oppose de très bons salaires. Mais dans les cabinets d’expertise comptable, on oublie souvent qu’il y a plein de petites mains dans la comptabilité en réalité, défend de son côté Valérie Baggiani. Vous avez par exemple une partie du travail, la gestion de paie, qui n’est pas nécessairement un métier de l’expertise comptable. Or, quand vous allez dans d’autres secteurs d’activité que l’expertise comptable stricto sensu, c’est mieux payé que lorsque vous restez dans un cabinet d’expertise comptable. Le patronat nous explique que les difficultés de recrutement proviennent d’un problème d’image. Je peux vous assurer que ce n’est pas qu’un problème d’image." "Globalement, les négociations sont tenues par les représentants du Big 4, embraye Stève Dupuis. C’est un marché très oligopolistique. Or, ce sont des entreprises qui ne sont pas très impactées par ce qui se passe dans la branche puisqu’ils ont des accords d’entreprise qui sont bien au-delà. En revanche, les petites entreprises collent aux minimas salariaux. Il y a une importance notoire à négocier. On a bien senti que la négociation était tenue par les grosses entreprises et non les petites, alors que ce sont ces dernières qui seront impactées financièrement. Le risque d’un blocage dogmatique n’est pas impossible, alors que l’inflation alimentaire est proche de 20 %." |
*La formule actuelle de calcul du salaire minimum conventionnel est : Salaire minimum = (164 x valeur du point de base) + [(coefficient - 164) x valeur du point hiérarchique]. La délégation patronale Ifec/ECF proposent la formule suivante : Salaire minimum = (170 x valeur du point de base) + [(coefficient - 170) x valeur du point hiérarchique].
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