Brexit : "des problématiques vont émerger sur les contrats en cours, sur les relations futures, ainsi que sur le contentieux", selon Emmanuel Tricot

Brexit : "des problématiques vont émerger sur les contrats en cours, sur les relations futures, ainsi que sur le contentieux", selon Emmanuel Tricot

27.06.2016

Gestion d'entreprise

Conséquences de l'évènement pour les entreprises, "war room" qui se mettent en place, plan à adopter, Emmanuel Tricot, avocat associé du cabinet Veil Jourde (Paris - Bruxelles) revient pour nous sur la stratégie de changement à intégrer.

Les résultats du référendum sur l'avenir du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne sont sans appel. Les Britanniques ont décidé de fermer la porte à l'Union. Il reste au futur gouvernement, qui prendra les manettes du pays, d'entamer les négociations de sa sortie après avoir déclenché la procédure de l'article 50 du TUE (Traité sur l'UE). Une période de 2 années de pourparlers - minimum - sera alors ouverte.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Quelles vont être les conséquences du Brexit sur l’activité des entreprises ?

Lorsqu’on évoque la sortie de l’UE, on pense tout d’abord à la perte du passeport européen pour les institutions financières britanniques, ce qui va contrarier leur accès aux marchés de l’UE. La réciproque est vraie pour les institutions du continent, pour leur accès au marché britannique. Ainsi, l’aptitude de certains acteurs à continuer d’exercer une concurrence dans les domaines bancaires et financiers devient incertaine. Par voie de conséquence, les entreprises européennes, exerçant dans ces domaines en particulier, auront à prendre en compte cette évolution du périmètre de l'environnement concurrentiel de leurs activités pour adapter leur stratégie, défensivement ou offensivement.

Les entreprises qui exportent ou importent vers et depuis le Royaume-Uni auront à gérer d’autres incertitudes. Elles pourraient subir une mise en œuvre de droits de douanes entre l’UE et le Royaume-Uni ainsi que des variations de taux de change ou de règle de droit. Des problématiques vont émerger sur les contrats en cours, sur les relations futures, ainsi que sur le contentieux entre entreprises de l'UE et britanniques. Les actionnaires britanniques, au sein d’entreprises continentales européennes, pourraient également, pour diverses raisons, voir leur capacité à investir, ou à se maintenir dans une structure, changer du fait du Brexit. Dans cette hypothèse, leurs partenaires devront faire valoir leurs droits.

Quelles sont les problématiques auxquelles elles vont être confrontées ?

L’enjeu principal est l’évolution de l’application du droit européen aux relations des entreprises du continent avec un partenaire britannique. Le droit européen est le pivot de toutes les problématiques futures. Des questions vont se poser au croisement de cette matière et du droit des sociétés, de la fiscalité internationale, de la monnaie, du droit boursier, du droit douanier, etc.

Par ailleurs, les relations contractuelles avec un partenaire britannique pourront voir leur équilibre économique initial modifié et dès lors potentiellement questionné. Si le Brexit ne devrait pas permettre de justifier des résiliations contractuelles, l’exécution de certains contrats pourrait être affectée. Cela se manifestera de différentes manières, par exemple par l’apparition de certains obstacles pour le partenaire britannique limitant sa capacité à distribuer ses produits et services dans l’UE dans les conditions économiques prévues. Une renégociation du contrat pourrait, dans cette hypothèse, être envisagée, avec de possibles opportunités à la clé. Il faudra aussi veiller au respect du contrat si le partenaire invoque un changement de ses conditions économiques, imprévisible selon lui, l’amenant à ne pas l'exécuter conformément à ses termes initiaux. Les entreprises dont l'activité est réglementée ou encadrée par des normes contraignantes seront affectées au premier chef.

Quel plan les entreprises peuvent adopter ?

Depuis le 24 juin, certaines entreprises organisent des « war rooms », pour réagir à cette situation inédite alors qu’elles n’avaient pas toujours véritablement envisagé la question. Personne ne connaît, ou ne peut prédire avec certitude, les évolutions à venir sur les deux prochaines années et au-delà. Il faudra faire preuve de pragmatisme et de modestie. Les analyses de l'ensemble des questions liées au contexte Brexit doivent être menées à 360 degrés par des équipes pluridisciplinaires (droit européen, droit financier, droit des sociétés, droit fiscal, droit douanier, droit de la concurrence et de la régulation, droit public, aides d’État, etc.), en considération des enjeux particuliers de chaque secteur et de chaque entreprise (contractuels, de concurrence, selon les contentieux en cours, et évidemment selon la nature des liens qu’entretient l’entreprise avec le Royaume-Uni).

Des préconisations juridiques devront être formulées. L'��laboration d’une stratégie doit associer étroitement avocats, juristes et opérationnels qui connaissent le business. Un bon conseil doit être, en principe, indifférent aux intérêts britanniques, et prodigué de manière dynamique, en lien permanent avec les institutions européennes, de manière à intégrer dans la réflexion le sens et l’évolution des négociations qui vont s’ouvrir entre le futur gouvernement du Royaume-Uni et les représentants de l’UE. Dans ces conditions seulement, il sera possible de déterminer les lignes de force tant des réactions à court terme de l'entreprise que de sa stratégie à moyen terme.

Un « best case scénario » peut-il être imaginé si le Royaume-Uni négocie le bénéfice de certains aspects du droit européen ?

Pour les entreprises, la question n'est pas de savoir si le Royaume-Uni va choisir une option EEE (Espace économique européen), AELE (Association européenne de libre-échange) ou autre. Il est d'ailleurs douteux, dans le contexte actuel, que le Royaume-Uni puisse choisir le cadre dans lequel il va poursuivre ses échanges et ses relations avec l’UE. Car la négociation est bilatérale : entre les 27 États membres et le Royaume-Uni. Cela ne se réglera pas par un accord de reconnaissance mutuelle venant sanctuariser la situation actuelle. Quelles que puissent être les intentions des 27, les futurs dirigeants britanniques n’accepteront pas que le Royaume-Uni demeure soumis aux directives européennes pour commercer sur le continent européen car cela constituerait un paradoxe politique, juridique et diplomatique. Ils n’enverraient dans une telle hypothèse aucun signal d’indépendance à leurs électeurs et cela reviendrait à accepter des règles qu’ils ne participeront plus à élaborer. Un statu quo n’est pas crédible.

Peut-on imaginer des difficultés dans le cadre de procédures en cours ?

Oui. Prenons l’exemple du droit européen des pratiques anti-concurrentielles. L’impact d’une pratique sur une partie substantielle du territoire de l’UE permet l'application du droit européen, ce qui détermine potentiellement la compétence de la Commission européenne. Or, il est depuis longtemps acquis qu’un État membre de bonne dimension, comme le Royaume-Uni, constitue nécessairement une partie substantielle du territoire de l’UE. Lorsque vous êtes une entreprise poursuivie ou victime de telles pratiques localisées en tout ou partie au Royaume-Uni, quid de la procédure en cours à partir du moment où son territoire ne fait plus partie de l’UE ?

Nous n’avons pas encore de réponse indiscutable à ce type de questions. Du jour au lendemain, vous pourriez vous retrouver avec une procédure qui s’éteint, soit au bénéfice des entreprises poursuivies, soit au détriment des entreprises qui en étaient victimes. Les dossiers contentieux durent souvent de longues années. Des procédures débutées avant la sortie de l’UE et qui vont s’étirer sur 4 ou 5 ans seront affectées par de tels aléas, lesquels devront être appréciés en fonction de la manière dont les Britanniques adapteront leur législation au droit européen.

N’y a-t-il pas un risque de voir la machine législative européenne s’enrayer ?

Pour discuter des conséquences du Brexit, le Conseil européen devrait se réunir sans le Royaume-Uni, à 27. Au Parlement européen, les députés britanniques continueront en revanche à siéger tant que le Royaume-Uni fera partie de l'UE, mais ils ne devraient pas avoir le droit à la parole lorsque les 27 décideront des conditions dans lesquelles les relations évolueront. Pour la Présidence du Conseil, il n'existe pas à ma connaissance d'obstacle juridique à ce que les Britanniques assument comme prévu ce rôle en juillet 2017. Politiquement, cependant, il semble assez évident qu’ils ne le feront pas. Concernant les fonctionnaires britanniques de l’UE, ils peuvent craindre d'être à terme remerciés. Le travail législatif devrait être ralenti par ces réorganisations, et affecté par la perspective de la perte de la contribution britannique au budget de l’UE. En tout état de cause, pendant 2 ans l’UE va nécessairement se concentrer sur le Brexit, ce qui devrait affecter son travail législatif et réglementaire dans tous les autres domaines. Il faut espérer également qu’elle n’aura pas à réfléchir à la sortie d’autres États membres.



 

propos recueillis par Sophie Bridier
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