"Ces mutations doivent être inclusives, à défaut elles seront inopérantes"

"Ces mutations doivent être inclusives, à défaut elles seront inopérantes"

02.12.2024

Gestion du personnel

A l’occasion de la sortie du livre "2030 le travail a changé", Gilles Gateau, directeur général de l’Apec, ancien DRH, analyse les grandes mutations du travail. Pour cet expert, les évolutions à venir doivent être menées à travers le dialogue social, avec l’appui des partenaires sociaux. Et par le dialogue professionnel, entre manager et salarié. Interview.

Quelle est la genèse du livre (1) ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

Découvrir tous les contenus liés

A l’initiative des partenaires sociaux du conseil d’administration, l'Apec s’est livrée, fin 2022, à un exercice de prospective pour élaborer les grandes tendances du marché du travail des cadres à l’horizon 2030. Une échéance qui permet de sortir des réflexions à court terme, sans pour autant relever de la science-fiction. Car disons-le, certaines tendances sont déjà à l’œuvre mais d’autres commencent juste à poindre. Ce travail a été conduit avec des sociologues, des économistes, des DRH mais aussi bien sûr avec les équipes de l’Apec.

Parmi les mutations à venir, vous évoquez l’idée d’un collectif éclaté, avec une multiplicité de formes de travail (télétravail, tiers-lieux) et de statuts au sein même de l’entreprise. Comment, dans ce contexte, gérer et fédérer ces communautés complémentaires ?

 Si le salariat conserve un attrait certain, d’autres formes d’emploi se côtoient, free-lancing, management de transition

C’est le grand défi des organisations. Les entreprises vont devoir composer avec une organisation flexible, combinant travail en présentiel et distanciel, mais aussi avec une organisation hybride incluant de multiples statuts. Ces transformations remettent en question l’unité de lieu et de temps, en vigueur jusqu’ici.

Car si le salariat conserve un attrait certain, d’autres formes d’emploi se côtoient, free-lancing, management de transition, et redessinent le paysage professionnel.

Cette évolution répond à la fois aux aspirations de certains cadres en quête d’autonomie. Mais aussi aux intérêts des entreprises qui voient à travers ces relations de travail des formes de relations contractuelles plus flexibles et la possibilité d’avoir des compétences pointues.

Certes, l’ "entreprise étendue" n’est pas tout à fait nouvelle. Depuis plusieurs années, les organisations tendent à puiser hors leurs murs des compétences et des idées, en externalisant une partie de leurs activités réalisées par des travailleurs souvent invisibles, en France ou à l’étranger. Ce qui a généré une segmentation du marché du travail. Mais ce qui est nouveau, c’est que cet éclatement concerne aujourd’hui le cœur du métier, le noyau dur de l’activité.

C’est donc toute une organisation du travail qui est à repenser dans les entreprises françaises. D'où un indispensable soutien des DRH pour accompagner les managers, chargés de forger une communauté de travail avec des profils plus hétérogènes et de créer toutes les conditions propices pour nouer une relation fidèle et compatible avec l’ensemble des parties prenantes.

Selon vous, le code du travail répond-t-il à ces évolutions ? Vous évoquez l’exemple de l’entreprise Mazars qui a décidé de supprimer la clause d’exclusivité figurant dans les contrats de travail pour permettre aux salariés d’exercer une autre activité professionnelle ?

Est-ce que le lien de subordination sera un élément structurant dans le futur du travail ? 

Il est encore prématuré pour savoir si ce type d’évolution qui permet de cumuler différents emplois sera ou non une tendance lourde pour un certain type de salariés, ceux qui sont le mieux armés en termes de diplôme et de qualification. A défaut ce cumul d’emploi sera subi. Mais une chose est sûre : derrière cette tendance, se pose une question primordiale : celle portant sur le lien de subordination qui est au cœur de la définition même du salariat. Est-ce que ce lien sera un élément structurant dans le futur du travail ? Ce sujet avait d’ailleurs été évoqué lors des Assisses du travail en 2022.

Il s’agira dans ce cas d’une véritable révolution culturelle pour certaines sociétés, pas toujours préparées à une telle configuration.

Comment voyez-vous la fonction RH d’ici à 2030 : outre l’IA générative, comment doit-elle évoluer pour tenir compte des aspirations croissantes des cadres pour une politique RH plus individualisée ?

Les DRH doivent poursuivre leur approche collective

Cette tendance, déjà portée par le compte personnel de formation, à la main du salarié, ne peut que se poursuivre. Les DRH ont d’ailleurs pris la mesure de ces aspirations, en s’aventurant au-delà de leurs sphères traditionnelles de compétences pour se pencher sur des sujets qui étaient jusqu’ici considérés comme relevant de la vie privée. La parentalité en est un exemple. La plupart des DRH proposent des aménagements du temps de travail à la carte, en fonction du statut de chacun (père, mère) afin de combattre toute forme de discrimination notamment salariale envers les femmes.

Mais en même temps, ils doivent poursuivre leur approche collective. D’une part, travailler sur l’intergénérationnel, nécessaire avec le choc démographique à venir afin de faciliter l’intégration des seniors au sein de leurs organisations. D’autre part, sur l’interculturel. La France, comme les pays voisins, auront besoin de faire appel à des compétences hors du périmètre de l’Union européenne, en raison du vieillissement de la population.

Quant à l’IA, gare aux malentendus. L’intelligence artificielle pourrait faire disparaître certains process, chronophages et administratifs, mais sûrement pas les métiers qui pourraient, eux, gagner en intérêt, notamment en se focalisant davantage sur des relations plus authentiques et plus humaines.

Comment anticiper les mutations liées à la transition numérique et écologique ? Comment faire en sorte que ces transformations ne soient pas au détriment des salariés ?

Ces transformations doivent être menées à travers le dialogue social

L’une des difficultés lorsque l’on est DRH est de devoir faire face à quatre grands chocs en simultané, le choc numérique, démographique, climatique mais aussi l’évolution du rapport au travail. Ce sont quatre mutations qu’il faut mener de front, elles sont toutes primordiales.

D’autant qu’aucun mode d’emploi n’existe, il n’y a pas une réponse mais mille réponses, en fonction de la culture, des pratiques et des stratégies d’entreprises.

Mais attention ces transformations ne peuvent être conduites seules. Elles doivent être menées à travers le dialogue social, avec l’appui des partenaires sociaux. Et par le dialogue professionnel, entre manager et salarié. Car ne l’oublions pas : ces mutations doivent être inclusives, à défaut elles seront inopérantes. L'une des erreurs serait qu’elles s’opèrent au détriment de certains travailleurs.

Sans faire de la science-fiction, quels autres signaux émergents voyez-vous se dessiner d’ici à 2030 ?

 Nous sommes très inquiets de certaines positions très idéologiques venant des États-Unis

Côté positif, j’image un certain équilibre sur les modes de travail avec un bon dosage entre télétravail et présentiel, aspirations des salariés et attentes des entreprises. Cet équilibre pourra contribuer à favoriser le bien-être au travail.

Côté négatif, nous sommes très inquiets de certaines positions très idéologiques venant des États-Unis. Certains acteurs politiques tentent de faire pression sur les entreprises pour qu’elles abandonnent les politiques de diversité et d’inclusion déployées depuis plusieurs années. Or, celles-ci sont extrêmement précieuses : en activant des mesures pour combattre l’homophobie, le sexisme, elles apportent la preuve que le vivre-ensemble est possible. Les DRH devront donc jouer un rôle crucial pour préserver ces fondamentaux.

 

(1) "2030... Le travail a changé, Livre mené sous la direction de Gilles Gateau, Le Cherche midi, octobre 2024.

Anne Bariet
Vous aimerez aussi