Pour mesurer la charge de travail, les entreprises tâtonnent. Plusieurs cabinets ou organismes, à l'instar de l'Anact, Secafi et du groupe Silamir, ont développé leur propre méthodologie pour préparer le terrain. Laquelle retenir ? Le point sur les initiatives en cours.
D’ici à quelques mois, Orange devrait boucler un accord d’entreprise sur la mesure de la charge de travail. Les négociations, entamées à l’automne dernier, devraient définir une méthodologie pour permettre aux équipes de s’emparer localement du sujet. "La simple mesure du temps de travail n’est pas suffisante pour évaluer la charge mentale de travail", observe Christine Lanoe, DRH France de l’entreprise. L’objectif est de proposer des outils (questionnaires…), des indicateurs (alertes). Mais pas seulement. "Car la question de la charge de travail doit être en priorité un objet de débat afin d’ajuster et de réguler les contraintes et les changements bien souvent imprévus". Avec, parmi les nouvelles prérogatives du management, "moins de contrôle et plus de dialogue sur le travail". Ce sera l’un des tous premiers accords sur le sujet. Orange a, d’ailleurs, un temps d’avance.
Cette réflexion est l’une des questions majeures soulevées par le rapport de Bruno Mettling, le DRH groupe et adjoint de Stéphane Richard (nommé à partir du 1er mars DG adjoint Moyen-Orient), remis au gouvernement en septembre dernier. Cette problématique pourrait être reprise dans le projet de loi travail porté par Myriam El Khomri. Le rapport conseille ainsi "d’intégrer par le dialogue social une mesure de la charge de travail plus adaptée que celle du temps de travail", en faisant de cette question "un préalable indispensable pour pouvoir étendre les cas d’usage du forfait-jours de façon raisonnable". Et d’inviter à expérimenter les outils de mesure qui existent déjà.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Or, c’est là que le bât blesse. Car sur ce sujet, les entreprises tâtonnent. Peu d’entre elles savent comment appréhender cette problématique. En cause : la notion de charge de travail est pour partie subjective. "La perception ne sera pas la même d’un salarié à l’autre", admet Thierry Rousseau, chargé de mission au sein de l’Anact. Surtout, "une reconnaissance professionnelle forte peut contribuer à accepter une intensité de travail importante".
Gare également "aux outils de contrôle intrusifs : présence de logiciel appelé "keylogger" (en français "détecteur de touches"), caméra, système de badgeage…, souligne Eric Pérès, secrétaire général de FO-cadres. Car ce type de contrôle met à mal l’autonomie supposée des cadres en forfait-jours". L’entreprise prend alors le risque d’entraver le travail de ses équipes. Voire de les déresponsabiliser.
Surtout, l’irruption du numérique rend les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle de plus en plus poreuses. "Cette perméabilité, auparavant limitée aux cadres de haut niveau, se généralise aux niveaux inférieurs", alerte Laurent Maunier, chargé de mission au sein de Secafi.
De quels leviers disposent les DRH pour organiser la régulation de la charge de travail ? Quels sont les indicateurs à prendre en compte ? Que cherche-t-on précisément à évaluer ? Pour l’heure, il n’existe aucun mode d’emploi. Pour les y aider, plusieurs cabinets tentent d’apporter des réponses. Secafi, par exemple, devrait publier prochainement, avec le CNRS, les résultats d’une étude visant à mesurer la charge mentale des cadres. "3 000 salariés, cadres et ingénieurs de l’aéronautique, dont 90% en forfait-jours ont été sondés", rappelle Laurent Maunier, psychologue et ergonome au sein du cabinet Secafi, à l’initiative de cette étude. Parmi les facteurs évalués, figurent, par exemple, les contraintes temporelles. Le travail est-il réalisé dans l’urgence ou a-t-il été anticipé, dépend-il de la contribution d’un tiers, interne ou externe ? Le délai est-il compatible avec un travail de qualité ? Le questionnaire met également l’accent sur les exigences cognitives des tâches. Les tâches sont-elles interrompues régulièrement ? Font-elles appel à des automatismes ou nécessitent-elles de la réflexion ? L’attention à fournir est-elle importante ? Les sources d’information sont-elles multiples ou proviennent-elles d’un seul interlocuteur ?
Réalisée à la demande des organisations syndicales, dans le cadre de la négociation Qualité de vie au travail (QVT) et du rapport Mettling, cette étude pourrait être dupliquée à d'autres entreprises.
Le cabinet Silamir, spécialisé dans l’accompagnement de la transformation métier et digitale de grands groupes, a, de son côté, lancé l’Observatoire de la charge de travail, en partenariat avec le cabinet Lusius Avocats.
Sa méthode ? Traquer les "irritants", c’est-à-dire les contraintes survenant dans le travail pour les résoudre : par exemple, la lourdeur des process informatiques pour valider des mots de passe ; le temps à rallonge pour élaborer des reportings en raison d'outils peu efficients. "70% à 80% des contraintes sont liées au digital : pas d'accès aux mails en cas de déplacement, plusieurs mots de passe..., observe Juliette Soria, directrice associée du groupe Silamir qui devrait publier un livre blanc d’ici à quelques semaines. Aussi le numérique peut-il limiter les tâches chronophages et améliorer l'ergonomie des postes de travail".
Autre initiative : celle menée par l���Anact. L’approche est ici différente. "Car la mesure n’est pas la seule composante, observe Thierry Rousseau, chargé de mission à l’Anact. D’autres indicateurs entrent en ligne de compte". L’agence fait ainsi la distinction entre la charge de travail prescrite, c’est-à-dire théorique, la charge de travail réelle qui résulte des moyens mis à la disposition du salarié pour atteindre les objectifs fixés et la charge subjective, celle qui est vécue. L’objectif est de confronter les perceptions, entre salariés et managers. Quels sont les moyens mis à la disposition du collaborateur ? L’ordre des priorités ? Ses marges de manœuvre ? D’où la nécessité de mettre en place des groupes de discussion sur le sujet pour mieux réguler le débat. "Il ne s’agit pas seulement de traquer d’éventuelles surcharges de travail mais de laisser s’exprimer ces réalités différentes, de mesurer leur écart et de créer un dialogue entre les acteurs - direction, management, salariés", avertit Thierry Rousseau. Avec l'objectif de "prendre en compte les décalages entre le prescrit et le réel".
La question de la charge de travail "pose la question de l’organisation du travail", complète Eric Pérès. Car cette mesure ne doit pas être un carcan. Elle ne peut pas être réglée au niveau de l’individu. En clair : elle doit être appréhendée collectivement.
Reste donc pour les DRH à choisir la bonne mesure. L’enjeu est, en effet, crucial: la Cour de cassation admet la faute inexcusable d’un employeur qui ne prend pas la mesure du risque pour l’un de ses salariés victimes d’un accident de travail. En outre, une convention individuelle de forfait-jour peut être privée d’effet si l’employeur n’a pas organisé un suivi régulier de la charge de travail garantissant que l’amplitude et la charge de travail restaient raisonnables. Le groupe BPCE l’a, d’ailleurs, appris, à ses dépens. Il a été condamné, le 18 décembre dernier, pour avoir enfreint la loi sur le temps de repos minimal quotidien et sur le travail de nuit.
C’est pour éviter ce type de dérives que le groupe Bosch a, par exemple, instauré un système de badgeage pour ses 2 000 cadres aux forfaits-jours (sur 8 000 salariés). "L’objectif n’est pas de mesurer le temps de travail … mais celui de repos, argue Dominique Olivier, DRH de l’entreprise. Soit 12 heures consécutives entre deux jours de travail". En cas de non-respect de ces horaires, un mail est adressé automatiquement au salarié concerné ainsi qu’à son manager. Des messages récurrents l’invite alors à contacter la DRH… Autres garde-fous : les réseaux QVT, présents sur chaque site, permettent de déclencher des alertes en cas de dépassement d’horaires. Une équipe d’ingénieurs a ainsi été rappelée à l’ordre en juillet dernier. Une entreprise avertie…
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